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L’Algérie face à la pénurie d’eau potable

par Akram Belkaïd, Paris

Voilà donc l’Algérie (de nouveau) confrontée à une grave pénurie d’eau. On pourrait dire la chose autrement : voilà donc l’Algérie rattrapée par la réalité. En ce début de XXIème siècle, l’eau potable est une ressource très rare en de multiples points de la planète dont le Maghreb. La situation est structurellement inquiétante car le réchauffement climatique ne va pas arranger les choses. Ce stress hydrique d’ores et déjà amène quelques réflexions, la première étant que l’eau mériterait de figurer en tête de liste des urgences nationales.

Que dit la Constitution ?

Pas d’eau, pas de vie. On dira que c’est une lapalissade. Pour les citoyens, ou supposés tels, l’accès à l’eau potable est un droit et toute pénurie est vécue comme un manquement à ce droit. De façon générale, nous pensons tous que cet accès nous est garanti mais les textes sont plus nuancés. Si l’on examine la Constitution de 2020, elle affirme effectivement que « l’Etat veille à assurer au citoyen l’accès à l’eau potable et à sa préservation pour les générations futures » (article 63). Mais la formule « L’Etat veille » ne signifie pas qu’il est obligé de le faire en toutes occasions. De même, il n’existe pas dans ce texte de formule de type : « l’accès à l’eau potable est un droit permanent et inaliénable pour tout citoyen. » Une telle formulation obligerait l’État à remplir ses devoirs en toutes circonstances ce qui, de mémoire d’Algérienne et d’Algérienne, n’a jamais été le cas en ce qui concerne l’eau potable.

En cette période de pénurie, nombre d’Algériens s’inquiètent aussi de l’état des réserves hydrauliques souterraines dans le sud du pays. Résumons la situation. Une agriculture sous serre, avec usage immodéré d’insecticides, met en péril ces ressources qui pourraient garantir plusieurs décennies de consommation aux Algériens. Peu de gens savent les conditions réelles de cette exploitation or, toujours selon la Constitution, « l’Etat veille à l’utilisation rationnelle de l’eau, des énergies fossiles et autres ressources naturelles. » (article 21) Là-aussi, le terme est suffisamment général pour offrir une large marge de manœuvre. Dans les années qui vont venir, il sera certainement nécessaire de durcir le texte pour créer les obstacles constitutionnels afin d’empêcher la poursuite de cette exploitation qui va finir par polluer ces précieuses ressources. Et ne parlons pas des projets, toujours en cours, d’exploration des hydrocarbures de schiste. Une extraction, on le sait, hautement toxique pour l’environnement.

La fausse piste du privé

Les crises d’approvisionnement en eau potable débouchent souvent sur des discours favorables à la privatisation. En Algérie, les eaux sont « propriété publique » et « biens de la collectivité nationale » (article 20 de la Constitution) mais, dans le même temps, le Parlement peut légiférer sur le « régime général de l’eau » (article 139). Autrement dit, rien n’empêche la privatisation de la distribution d’eau potable. Dans les années 1980, le monde entier a connu une montée en puissance des délégations de service public au profit de sociétés privées. Aujourd’hui, la tendance s’inverse peu à peu. De nombreuses municipalités, lassées par les excès de ces opérateurs privés (facturation excessive, opacité des comptes, absence d’investissements) reprennent la main. En Algérie, le problème est complexe : ni l’Etat ni le privé n’ont été capables d’assurer correctement leur mission. L’eau potable, bien public, mais payant, demeure rare et risque d’être de plus en plus chère. Soixante ans après l’indépendance, cela se passe de tout autre commentaire.

La chronique économique s’interrompt durant la période estivale et reprendra le mercredi 8 septembre 2021.