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Pourquoi sommes-nous dans cette impasse ?

par Djamal-Eddine Bouabdallah*

Le pouvoir en Algérie, assuré par le commandement de l'Armée nationale populaire jusqu'au 19 décembre, a bien été transmis au président de la République M. Abdelmadjid Tebboune.

Le président adossant également le poste de ministre de la Défense et chef des Armées a produit la restructuration du pouvoir après les élections, élections rejetées par une proportion du peuple algérien, le Hirak. Cette restructuration unilatérale s'est effectuée avec célérité afin d'assoir une légitimité républicaine. Quelles en sont les raisons ?

La feuille de route du pouvoir, si nous nous référons à ses déclarations durant les dix mois qui ont succédé au déclenchement de la contestation, était de :

1- Faire démissionner le président malade et inactif ;

2- Juger les conspirateurs contre le peuple algérien ;

3- Juger les responsables des détournements des deniers publics et leurs soutiens (premiers ministres et ministres) ;

4- Anéantir l'Etat profond du pouvoir précèdent ;

5- Sécuriser le mouvement de la contestation ;

6- Normaliser la situation et démocratisation de l'Algérie.

En revanche la feuille de route du Hirak, appelée aussi « la révolution du sourire » ne comporte qu'un seul et unique acte, à savoir le départ de ce système qui prend ses racines à partir du renversement du GPRA en 1962, résumé par le slogan « YETNAHAW GA3 ».

Au tout début, le Hirak faisait les affaires du pouvoir en mode « nouvelles inflexions et nouveau personnel ». Après le départ du président Bouteflika et l'emprisonnement de la Issaba, le mouvement commençait, sans catalyseur aucun, à se démarquer de la feuille de route du pouvoir et logiquement sans aucune préméditation commençait à arranger les perspectives de la Issaba et qui consiste à en finir avec tout ce système et juger certains oubliés au passage. Il n'en demeure pas moins que de réels investissements du clan adverse (la Issaba) ont été opérés, notamment pendant l'été et à la rentrée. Il semblerait que des alliances officieuses mais concrètes ont été établies entre les islamistes radicaux et réseaux de la Issaba au sein du Hirak pour bloquer les élections, ceci arrangeant tactiquement les hirakiens dans la mesure où cet itinéraire menait toujours et certainement vers l'objectif assigné, à savoir le départ du système. Ceci étant que le Hirak demeure populaire dans son essence et quoi qu'en pense d'aucuns, les Algériens se gardent de douter de la sincérité de la majorité des hirakiens, de leurs aspirations à la liberté et la démocratie, et de leur honnêteté.

Les infiltrations se sont caractérisées par des slogans préétablis :

le Hirak a toujours servi de tremplin avec toute la subtilité qui s'imposait d'où l'expression « le caresser dans le sens du poil » dans son début par le pouvoir nouveau look et maintenant par la Issaba associée.

En faveur du pouvoir : BRI - SA3IKA (dans le giron de la présidence) makanch el khamsa ya bouteflika. Klitou el blad ya saraquin, le tribunal de Sidi M'hamed ouvre grand ses portes, djaich cha3b khawakhawa, bouquets de fleurs tendus au forces de l'ordre, qui aussitôt le président destitué se sont mis sous la tutelle du commandement de l'ANP.

En faveur du clan adverse : dawla madania machi 3askariya, djaich cha3b khawa khawa wa el gaid m3a el khawana, les généraux à la poubelle, makanch el intikhabat m3a el Issabat et même des slogans à caractère régional « kasba bab el oued imazighan ».

La réaction ne s'est pas faite attendre : emprisonnement des hirakistes avec l'emblème berbère que le pouvoir considère comme une atteinte aux valeurs de novembre et à l'Algérie en tant que nation, et emprisonnement de certaines figures emblématique du HIRAK. Le pouvoir a très vite considéré, vers la fin de l'été, que le Hirak a été sérieusement infiltré et récupéré au détriment du peuple honnête qui est sorti revendiquer sa liberté et une gouvernance démocratique pour notre pays. Cette situation ne faisait que renforcer les convictions et les arguments du pouvoir à vouloir tourner la page du Hirak le considérant comme une nouvelle façade de la Issaba et que seule une élection présidentiel pourrait donner un sens aux décisions futures dont a besoin l'Algérie pour se moderniser et faire sa mue qualitative vers un cap de modernité et de liberté.

De son côté le Hirak s'est retrouvé emprisonné en termes d'actions par un pouvoir qui ne le reconnaissait plus et par les réseaux de la Issaba qui l'ont infiltré. J'en vois pour preuve qu'aucune initiative d'organisation de comités de la société civile n'a été possible, aucune possibilité d'organisation de représentation indirecte n'a pu prendre forme, car représenter le Hirak directement est une chimère et une idée farfelue, d'autant plus que le Hirak susceptible de se manifester en termes d'actions, est très limité dans l'espace, les autres régions du pays ne faisant que reprendre et répéter les slogans du Hirak central et parfois impulsés par des hirakiens venant d'Alger essentiellement.

Dans ce contexte, qui peut prétendre dialoguer au nom du Hirak, et avec qui peut-on dialoguer ?

La situation étant véritablement sans issue, à entendre que la balle est belle et bien dans le camp du nouveau président Abdelmadjid Tebboune revient à dire qu'on lui reconnaît de fait une certaine légitimité.

Le président Tebboune ne peut pas dialoguer avec le Hirak directement et encore moins avec ceux qui sont en détention que d'aucuns considèrent comme représentant le Hirak de facto. Néanmoins il peut mettre en application une nouvelle feuille de route à même de rétablir la confiance, et qui consisterait à procéder à l'ouverture du pays à travers de grandes décisions politiques :

Libérer la justice, pour aller vers une justice complètement indépendante ;

Libérer les prisonniers du hirak n'ayant aucune implication avec la Issaba, par la justice libre ;

Libérer les médias ;

Constituer des commissions de réflexions inclusives, n'excluant aucune partie, pour réfléchir sur le devenir de la nouvelle Algérie, la constitution et le modèle de société ;

Libérer les initiatives et remettre les Algériens au travail ;

Donner la chance et appuyer ceux qui produisent ;

Renforcer les institutions de la République dotées de prérogatives structurelles et fonctionnelles et les sacraliser.

En conclusion

Cette nouvelle feuille de route déclarée par le président Tebboune semblerait être La solution pour sortir l'Algérie de ce cycle de crises politiques aiguës qui se perpétue dans une redondance quasi tous les 20 ans. Cette feuille de route a pour condition irréfragable l'honnêteté intellectuelle, la sincérité et l'urgence pour certaines actions. De cette manière le peuple algérien choisira à travers des circuits et structures officielles ses représentants. Il n'est pas à douter vraiment de la faisabilité de ce passage vers une nouvelle Algérie car en substance nous ne pouvons plus continuer dans un système d'exclusion et de corruption à tous les niveaux, un système dépassé, folklorique à tous azimuts, un système insultant les Algériens dans leurs fiertés. Il n'existe pas d'autres options si nous aspirons à ce que notre Algérie reste debout. À charge, donc au nouveau président Abdelmadjid Tebboune de lancer les travaux de cette nouvelle Algérie à travers un gouvernement national de compétences. Les premières actions consisteront à redonner confiance aux Algériens, à leur redonner goût à la vie sans ambages et sans manipulations, à les fixer pour participer au développement de leur pays et à reconstruire cette administration qui fut l'instrument de déstructuration et de débandade de l'Etat algérien. Il est temps et même urgent de renouer avec les valeurs du travail source de tout développement économique, social ou politique, soit-il.

*Chef d'Entreprise et Economiste