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Cinquantenaire du vol Apollo 11: Un petit pas de l'Homme et... Morphée

par Sid Lakhdar Boumédiene*

Imaginez que les images en direct par satellite aient toujours existé dans l'histoire. Imaginez-vous alors rater le débarquement de Christophe Colomb sur une terre qui allait redessiner le destin du monde ? Ce serait tout à fait incompréhensible. Pourtant...

Oui, pourtant, lorsque l'humanité bascula une seconde fois dans une autre dimension, un adolescent, qui avait alors 14 ans, allait rater un événement unique dans une vie et bien au-delà. Et pourquoi ?

Il était malade, empêché par une circonstance majeure ou atteint d'une surdité accompagnée d'une cécité ? Non, rien de cela, un certain adolescent d'Oran, présent ce jour-là avec son père, dans un appartement de la rue Didouche Mourad à Alger, venait de s'endormir, stupidement. Il sera rongé par le remords, encore un demi-siècle après.

On dit que l'écriture est l'un des remèdes psy pour affronter les plaies profondes, me voilà donc pour cela à raconter cette fameuse nuit du 20 au 21 juillet 1969 où l'Homme posa le pied sur une terre extérieure au domaine de son existence depuis son apparition sur la planète Terre. Le nom du lieu de l'alunissage est inoubliable et sonne comme une promesse d'avenir pour l'humanité « Mer de la tranquillité ».

Tout d'abord, pourquoi tous les journaux mentionneront-ils « la nuit du 20 au 21 juillet 1969 » ? Tout simplement parce que l'alunissage se produisit le dimanche 20 juillet à 21 h 56, heure du centre spatial à Houston, et le 21 juillet à 2 h 56 pour les pays de notre méridien.

Trois hommes se dirigeaient depuis des heures vers le satellite de la Terre, nous les avions suivis, minute par minute. Le jeune garçon que j'étais faisait réellement partie de ces millions de personnes dans le monde à avoir le transistor collé aux oreilles, depuis l'extraordinaire exploit d'Apollo 8.

Lorsque l'événement fut transmis à la planète entière par les célèbres images de la télévision, Morphée retenait prisonnier ce pauvre jeune garçon, comme une lourde peine à son enthousiasme des choses de l'espace depuis des mois et des mois. La divinité grecque de la nuit et du sommeil l'en empêcha.

Et comme tous les écoliers allaient, pendant cinq siècles, apprendre par cœur les noms des trois bateaux qui emmenèrent Christophe Colomb vers le destin de l'humanité, je peux citer les noms des trois hommes d'un trait, sans recherche préalable sur Internet. Ces trois héros portaient le nom de Neil Amstrong, le capitaine, Buzz Aldrin, le second, et Michael Collins, le pilote du module de commande.

Ce dernier connaîtra la gloire de la mission mais ne mettra pas les pieds sur la Lune puisqu'il devait rester en orbite et attendre ses camarades pour le voyage du retour.

Nous savions depuis des mois que la phrase historique que devait prononcer Neil Amstrong lors de la pose du premier pas était prête. Le secret fut bien gardé et la population mondiale allait la découvrir lorsque le moment fut venu, c'est à dire lorsque je ronflais de mon sommeil de l'innocent (comprenez le mot avec sa seconde acception dans le dictionnaire, un abruti).

Personne ne fut déçu de cette phrase si attendue, « Un petit pas de l'Homme, un pas de géant pour l'humanité ». Rien d'autre ne pouvait résumer aussi justement un tel moment historique, bouleversant et à la hauteur de l'événement.

Les images de l'alunissage ont été vues des milliers de fois en ces cinquante ans. La qualité de l'image, qui pourrait faire croire aux adolescents d'aujourd'hui qu'il s'agissait d'une époque aussi lointaine que celle de Néandertal, était pourtant pour nous un exploit extraordinaire de la science et de la technologie.

Ce que nous racontons souvent aux jeunes étudiants est que cet exploit fantastique fut réalisé avec un matériel de bord disposant d'une puissance de calcul (on disait déjà à l'époque qu'il s'agissait d'un ordinateur) à peine égale à une calculatrice d'un collégien de nos jours. Pour alunir, Neil Amstrong s'était retrouvé confronté à un relief du sol lunaire beaucoup plus accidenté que celui qu'avaient prévu les ingénieurs de la Nasa. Il a du hésiter plusieurs fois et, à chaque remise de puissance, le carburant menaçait de descendre au-dessous de la limite nécessaire pour un décollage futur. Nous voyons sur les images combien fut décisif le calme du commandant pour éviter un drame à l'alunissage tout en évitant la panne de carburant (les conditions de vol ne permettaient pas l'embarquement d'un poids en carburant supérieur à la limite fixée par les contraintes).

Lorsque Buz Aldrin sortit à son tour, un ballet avait été offert avec ces deux hommes sous scaphandriers qui sautillaient avec des bonds extraordinaires à faire sauter tous les records humains d'athlétisme. Même si nous connaissions de longue date ce phénomène du à une pesanteur différente de celle de la terre, déjà immortalisé par les célèbres et prémonitoires dessins d'Hergé dans « On a marché sur la Lune », nous en étions fascinés. C'est que j'ai bien vu ces images mais avec le décalage du réveil, vous l'avez compris.

Les trois héros revinrent sains et saufs, les États-Unis puis l'humanité entière se souvient encore du gigantesque honneur qui les a accueillis. Ils venaient d'offrir au monde une ouverture de l'Humanité vers des horizons inconnus.

Moralité de cette affaire, n'acceptez jamais une invitation de votre père à aller visiter la capitale, surtout lorsque vous avez 14 ans, l'âge des grosses veillées nocturnes entre copains comme des gros sommeils.

Pour moi, ce jour où tout bascula pour l'humanité, ce fut la seconde hypothèse. Moi, le passionné de l'espace, j'avais raté le moment le plus extraordinaire de son histoire. Mais, croyez-moi, rien au monde ne pouvait me faire rater la finale du Brésil à la coupe du monde de 1970, une année plus tard. Non, rien, j'étais vacciné de Morphée et c'était, cette fois, en plein jour.

*Enseignant