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Comment sortir de la crise

par Abdou Berber

La candidature pour un cinquième mandat du président sortant Bouteflika a suscité l'indignation des citoyens algériens. Le comble a été atteint lorsque des responsables se sont mis à faire campagne en promenant une photographie encadrée du président-candidat. Spontanément les Algériens sont sortis dans la rue pour protester, en famille. Partout les témoins parlent d'une liesse, de joie, d'une parole libérée.

Mais progressivement des blocages apparaissent. L'euphorie du début est pondérée à présent par une inquiétude naissante. Les risques de dérapage sont réels, avec au bout l'inconnu quant aux conséquences. Il est donc vital de parvenir à un compromis. Avant d'étudier la faisabilité de cette possibilité il faut examiner la situation et analyser le comportement des parties en présence. Ceci sans langue de bois, mais avec le respect du à chacun.

L'Armée algérienne s'est modernisée à un rythme accéléré dans la dernière décennie. Son budget est approximativement de 4,5% du Pib. Elle est devenue la première armée d'Afrique et est classée au 17ème rang mondial. Les plus hauts gradés encore actifs sont les deux généraux de corps d'armée Ahmed Gaid Saleh et Benali Benali. Elle s'est engagée dans une politique de production d'armement, pour soulager la facture en devises mais aussi comme gage de l'indépendance nationale. En 2013, à la suite de la prise d'otages de Tiguentourine, et au vu des évènements, les cadres de l'armée ont exigé, sous peine de rébellion, d'être débarrassés de la tutelle pesante du DRS, avec à sa tête Toufik Mediene. Abdelaziz Bouteflika saisit l'opportunité de l'affaiblissement de la position de Toufik pour le limoger et tenter de réorganiser le service de renseignement. Toufik est sorti par la porte pour revenir par la fenêtre. Même incarcéré, il dispose de nombre de partisans et compte sur la scène politique algérienne. Enfin remarquons que l'Armée n'a pas pris le pouvoir. Dans le cas contraire nous aurions eu l'état d'urgence et la suspension de la Constitution. Un point positif qui va dans le sens du compromis.

On parle de 16 millions de citoyens qui sont sortis dans la rue pour demander un changement. Cette démonstration assoit la légitimité de cette revendication. Nul ne peut l'ignorer. Par contre les slogans qui sont développés et le manque d'objectifs clairs pose problème. Les partis politiques d'opposition n'ont pas pu jouer le rôle de synthèse et d'impulsion. Car ils sont identifiés, à juste titre, comme un rouage du système, enchainés par la corruption. Le professeur Ahmed Bensaada de l'université d'Oran a fait un travail remarquable sur le contenu des slogans et des outils de manifestation (voir son site internet www.ahmedbensaada.com). Bensaada démontre que les éléments de propagande sont largement inspirés de ceux des révolutions colorées, avec donc pour objectif de favoriser le désordre. Ensuite il est plus aisé de promouvoir une solution prédéfinie. Les relais de ces éléments étaient les supporters des clubs de football. Bien organisés, très nombreux, ayant l'habitude des mouvements de foule, déjà en partie politisés, ils ont fait « merveille ».

Un autre sujet fondamental est celui de la place de la religion dans la vie politique de la cité. Certains voudraient imposer un choix de démocratie à l'occidental réputé universel. Ce modèle se caractérise par un individualisme forcené, avec des « avancées » sociétales absurdes. C'est le modèle de l'ultralibéralisme décadent. Le peuple algérien est dans son écrasante majorité favorable à un modèle de société musulman. C'est un ciment de la cohésion nationale. Les opinions athéiste et/ou laïciste doivent avoir droit de s'exprimer mais ne peuvent pas prétendre être démocratiques tout en imaginant imposer leur point de vue. La aussi le bon sens milite pour une démarche mesurée. Le temps permettra de dénouer en douceur les conflits. Nous parviendrons alors à obtenir un parti de Démocratie musulmane comme existe la Démocratie chrétienne ou celle hindouiste. Par contre, en exigeant de confiner la démarche religieuse à la sphère privée, on court le risque de favoriser le prosélytisme wahabite et la confrérie des Frères musulmans. Et ce sont les deux grands ennemis des peuples musulmans. Sur cette question aussi la nécessité du compromis s'impose.

Nous ne devons pas non plus oublier la composante des cadres actuels, qu'ils soient élus ou appartenant à l'administration. Nous avons 48 wilayas, 547 dairas, près de 1550 communes, au total environ 20 000 élus. Il faut compter également avec les cadres de l'administration encore plus nombreux, sans négliger certains plantons de ministère, plus puissants que des chefs de service. Vouloir un changement à la hussarde, une chasse aux sorcières c'est contraindre ces cadres à s'opposer au changement. Alors que beaucoup d'entre eux en sont partisans. Les autres se plieront ou devront partir.

Avant de passer à la partie propositions prenons un peu de recul. L'Algérie est indépendante depuis 1962. Dans trois ans ce sera la date anniversaire des 60 ans de la République algérienne. Ce bouleversement nécessite un temps d'adaptation avant que la société ne trouve un point d'équilibre et de stabilité. Le temps des nations est plus long que celui des individus. Ces 60 ans ont été nécessaires. Cette terre dans la période et depuis longtemps a dévoré nombre de ses enfants. Les citoyens ont conscience de la fragilité de la paix civile. Ils savent que la région est la proie de troubles endémiques et que nous vivons une quasi troisième guerre mondiale larvée. Heureusement les indices économiques et les évolutions sociologiques prêtent à l'optimisme pour le futur. Cet optimisme sera partagé par nos concitoyens, et particulièrement les jeunes s'ils voient apparaître les premiers résultats. Nous avions évoqué dans un précédent article le potentiel de développement économique que l'Algérie recèle. Mener de front le changement politique avec l'essor économique créera la dynamique indispensable.

Il eut été préférable que l'élection présidentielle soit reportée de 2 ou 3 mois. Une telle mesure nécessite une modification de la Constitution. A l'époque le président sortant avait procédé à des changements constitutionnels de circonstances. Dans notre cas il faudrait introduire une autorisation de report unique en cas de force majeure. Cette mesure se ferait en prévoyant les contrôles démocratiques appropriés. La survenue d'un tremblement de terre important, que Dieu nous en préserve, ou un autre évènement de gravité similaire peut parfaitement justifier une telle décision. Ce délai aurait alors été mis à profit pour passer de la contestation au débat citoyen.

Dans un régime présidentiel, le choix d'un bon élu revient à trouver l'oiseau rare. Bourguiba dans le temps avait déclaré qu'il n'y a qu'un seul génie politique par continent et par siècle, en Asie Mao Tse Toung, en Europe De Gaulle et en Afrique lui-même. Le créneau du XXIème siècle ne semble donc pas être occupé pour l'Afrique, nous pouvons garder espoir. Mais même dans l'hypothèse favorable, l'oiseau rare risque de s'envoler un jour. Pire, il peut se transformer, une fois le fauteuil conquis, en vilain canard, en chef de clan cramponné au pouvoir comme la misère au Monde. Avoir des élus de terrain honnêtes, compétents et accessibles aux citoyens est fondamental. Ils auront alors le soutien des électeurs et ne pourront pas être transformés en godillots d'un pouvoir personnel. D'ailleurs c'est de ce terroir que pourra émerger dans quelques années un candidat présidentiel consensuel.

En tout état de cause une mesure indispensable pour bannir la fraude est l'installation de caméras de surveillance dans les bureaux de vote. Elles doivent être actives depuis l'ouverture des bureaux jusqu'à la fin du dépouillement et la déclaration des résultats par bureau de vote. Les vidéos de ces caméras doivent être diffusées et accessibles à tous en direct via internet. Ces caméras ont un effet dissuasif sur les fraudeurs si la sanction pénale est brandie. Les citoyens, sous réserve de participer au processus électoral, auront les moyens de leur action. Cette solution a été adoptée dans quelques pays et a contribué de façon très significative à éradiquer la fraude.

Le temps des manifestations est passé, doit venir celui ou le Peuple Algérien prend effectivement son destin en main.