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Silmya, l'arme redoutable du Hirak

par Slemnia Bendaoud

L'automne dernier aura été une saison dominée par un climat particulièrement sec. Cette saison des pluies et grands espoirs paysans, était plutôt bien avare en bonnes promesses.

Dans nos campagnes, un climat d'inquiétude prit étrangement possession de ces lieux de labeur, où l'on sue énormément au contact du soleil pour gagner son quignon dès la lueur du jour, à la sueur de son front. L'attente des pluies hivernales fut très longue à supporter. Les prémices d'une année de véritable disette se dessinaient à l'horizon. Et seul un tonnerre de forte intensité était en mesure de bousculer l'ordre établi. Au lieu que sa déflagration se propage à l'air libre et en pleine nature, ce fut plutôt au sein de la coupole olympique que son grondement et explosion eurent lieu.

Dès lors, point de pluie bienfaitrice pour le malheureux paysan algérien ! Car le bruit qui s'est produit dans cette grande coquille blanche venait de définitivement signer le pacte d'un potentiel 5e mandat présidentiel au profit de Bouteflika l'omnipotent, ce président sortant, déjà absent lors du dernier quinquennat.

Ce fut comme si cette pourtant généreuse nature tenait encore rancune à ce pauvre paysan algérien, pour le punir d'avoir manqué à son devoir de mieux considérer sa terre nourricière. Loin s'en faut ! Ce sont au contraire les hommes politiques du système qui étaient visés par le bruit assourdissant de ce tonnerre très artificiel, provoqué à dessein en un théâtral huis clos, savamment orchestré par ses initiateurs pour à nouveau humilier le peuple algérien.

Au soir du déroulement de cette honteuse comédie politique qui fut une véritable insulte à l'intelligence humaine, la voûte céleste, comme pour se raviser à ne jamais exclure le bon paysan de l'utilité ce précieux liquide et autres dons du Grand Seigneur, se couvrit soudainement la face à l'aide de gros nuages noirs.

Et dès que leurs poches furent pleines de cette eau bénie, la terre en reçut pour son grade, par giboulées saccadées, afin de sourire à nouveau à ce pauvre paysan qui avait des mois durant la tête accrochée aux portes de ce ciel, restées longtemps hermétiquement fermées à la moindre goutte de pluie destinée à arroser un sol aride et flétri.

Les lois implacables de la nature restent assez souvent clémentes vis-à-vis des hommes de notre grand espace rural, eux qui côtoient dans leur quotidien cet animal domestique dont dépend leur vie et que le Ciel n'oublie jamais d'étancher sa soif de se désaltérer.

Ainsi fut plié en un tournemain « le volet précipitations » qui inquiétait des mois durant le monde paysan, en quelques utiles jets de ce liquide précieux que les pluies des mois de mars et d'avril vinrent, à leur tour, lui tracer les vrais contours d'une saison agricole sauvée in extrémis, sinon tirée par les cheveux.

Reste alors ce « volet purement politique » qui intéresse notre sujet. Bien avant cet orage politique du 10 février 2019, annonçant la candidature officielle pour un 5e mandat présidentiel du président Bouteflika, il y avait de l'électricité en l'air. Une odeur de poudre se répandait dans une atmosphère déjà lourde à supporter. Un vent de colère populaire et de panique du régime soufflait à pleins poumons sur toute la largeur du pays.

Quelques heures plus tard, comme pour lever l'affront, ?'Mouatana'', cette fille naturelle de ?'Barakat'' de 2014, monta au créneau pour dénoncer ce complot politique perpétré contre la nation, œuvre du cabinet noir du système politique algérien.

La date du 24 février 2019 fut initialement proposée pour y organiser une manifestation à hauteur du degré du rejet des élections, à Alger, en dépit de tous les interdits qui se dressaient devant une telle initiative. Aussitôt, ce sont les réseaux sociaux qui se saisirent de ce mot d'ordre pour imposer à tout le monde cette journée du 22 février 2019.

Mais ce furent des villes comme Bordj Bou Arreridj, Kherrata et Khenchela qui prirent tout leur monde de vitesse. Le fœtus du Hirak allait-il donner naissance à un bébé prématuré d'un mouvement révolutionnaire qui pointait à l'horizon ?

Que non... ! Car, il fallait encore gagner cette « Bataille d'Alger » où marcher dans ses rues pour manifester son refus était encore assimilé à ce crime de lèse-majesté que punit sévèrement la loi.

Dès lors, ce vendredi 22 février était vraiment jugé comme déterminant. Le peuple y jouait son destin, le pouvoir son va-tout ou hypothétique survie. À situation exceptionnelle, ne faut-il pas des moyens exceptionnels ? Aussi, les manifestants se devaient-ils de les traduire en ce nombre impressionnant de marcheurs qui allaient tôt le matin gagner les Rues d'Alger.

Et dès jeudi soir, toute l'Algérie retenait son souffle. L'anxiété était de mise, et l'inquiétude jamais de trop ! Ici et là, on s'impatientait déjà de faire de son mieux, plutôt bien mieux que les villes de Kherrata, Bordj Bou Arreridj et Khenchela réunies ! En d'autres lieux, la fièvre de la peur de voir la marche réprimée montait en puissance, en cadence, ou de plusieurs crans.

Entre les possibles chances et les supposés risques de cette position-ci et de celle-là, les pronostics allaient bon train. Mais encore fallait-il se rendre compte que de la stratégie adoptée par les manifestants allait incontestablement dépendre le destin du peuple algérien.

Silmya fut donc ce mot-clef facile à prononcer, à la hâte inventé, pour capter avec l'adhésion du monde entier à la cause des marcheurs. Tel un vrai passe-partout, il fut capable à lui seul d'ouvrir toutes les voies du secret de la réussite de cette manifestation, jugée comme vraiment capitale dans l'Histoire contemporaine du peuple algérien.

Ils (les manifestants) se sont fait passer le secret de l'objet du « mot sacré » consacré à cette recette magique dont dépendait justement l'avenir de leur marche pacifique. À l'image d'un soldat qui se préparait très sérieusement à croiser le fer avec son adversaire le plus redouté.

En ce jeudi 21 février 2019, les prémices d'un grand jour se précisaient, heure après heure, pour décider ce petit monde des laissés-pour-compte et autres exclus ou marginalisés de la société algérienne à prendre place parmi les voyageurs de ces wagons de la « procession revendicative » qui allait le jour suivant en nombre important écumer les Rues d'Alger.

Se préparer à affronter pareil écueil ne fut pas chose aisée, dans la mesure où les manifestants furent dans l'obligation de violer ce « couvre-feu diurne » imposé d'autorité au peuple algérien au sein de la Capitale, depuis 2001. Au motif que ces manifestants étaient assimilés à de potentiels casseurs et éléments perturbateurs de l'ordre public.

Mais comment se comporter face au pouvoir pour ne pas paraitre comme d'éventuels casseurs ou perturbateurs ?

Fallait-il opter, face à ce pouvoir omnipotent et menaçant, au profit d'une « très diplomatique poignée de mains » ou alors s'engager contre celui-ci dans un plutôt « trop risqué bras de fer » lequel pouvait inéluctablement déboucher sur une nouvelle « sortie sans issue » ?

Cependant, aller vers une « guerre pacifique » semblait plutôt bien convenir à tout le monde dans cette « situation d'imbroglio » où le Hirak, cette « arme nouvelle de revendication citoyenne » s'inspire du caractère pacifique d'un coup d'état blanc pour finalement imposer une « très douce révolte populaire » qui peut vraiment « avoir du caractère » et surprendre tout son monde.

L'idée méritait d'être très sérieusement triturée, dès lors qu'elle permettait au peuple d'imposer, comme dans un matche de football, une stratégie qui consistait à user d'une très savante pratique de la « défense en ligne » où le pouvoir allait à chacune de ses offensives se retrouver en « position hors-jeu ». Un pari osé, mais possible tout de même !

À l'exemple d'un coup d'état blanc, le Hirak se déroula, fort heureusement, sans la moindre goutte de sang. Plutôt dans la liesse et en toute finesse. L'un et l'autre sont, à vrai-dire, bien comparables. À la seule différence que le second est le résultat d'une revendication populaire, au moment où le premier est le propre d'un putsch des militaires.

Dans les deux cas de figure, le pouvoir est appelé à changer de main. Pour rester aux mains d'autres militaires dans le premier cas, et pour être désormais exercé par le peuple à travers ses représentants élus, tel que le prévoit cette manifestation populaire.

Dans l'une comme dans l'autre de ces deux alternatives, il est question de ce brusque changement, à la base très violent pour l'un, et vraiment pacifique pour l'autre. Ici et là, ces hommes du passé sont dégagés, de force ou à l'usure d'une authentique démocratie naissante.

Fusionner les avantages de celui-ci avec ceux propres à celui-là (poignée de mains et bras-de-fer) était cette formule-magique qui pouvait dérouter toutes les très puissantes stratégies sur la base desquelles était pensées les plus drastiques pratiques défensives du système en place.

Ainsi est finalement née cette « Révolution joyeuse » où l'humour, cette subtile forme de résister tient le haut du pavé. Où les manifestants offraient de belles fleurs aux forces de sécurité, venues en nombre pour les encadrer.

Où les rues de la Capitale et celles des autres villes d'Algérie sont balayées après la fin des manifestations. Où les réseaux sociaux et autres nouvelles techniques de communication sont mis à profit pour orienter et encadrer ces marches pacifiques...

Le réveil du peuple algérien a surpris tout le monde, ses dirigeants les premiers. Face à cette nouvelle farce d'un 5e mandat de Bouteflika qui avait grand-peine à se réaliser dans le sillage des présidentielles antérieures, le peuple s'est levé comme un seul homme pour marquer sa désapprobation et son désaveu.

Jour après jour, marche succédant à une autre marche, il est en train de marquer des points importants dans le décompte final de son bras-de-fer engagé avec détermination contre ce pouvoir qui refuse par des moyens détournés de répondre favorablement à ses pourtant légitimes revendications.

Chaque vendredi de manifestations, colorées et grandioses, les écriteaux affichés en banderoles d'auréoles changent systématiquement de thème et de message à transmettre, séance tenante, parfois aussi de vive voix, en direction des gouvernants du pays qui leur font la sourde oreille.

Tous les week-ends, le spectacle se renouvelle ou s'accélère, encore de plus belle, désormais plus engagé et très puissant, livrant à la Rue ce torrent humain mouvant qui sait chanter en vrai rebelle, à coup de joyeux décibels son énorme plaisir à marquer son désir à changer de le système de manière pacifique et très artistique.

Depuis le 22 février 2019, les « Vendredis-foot » ont définitivement cédé du terrain à ces « Vendredis de la marche pacifique » où la fête dure plus dans le temps, fait dans la mixité et se déroule dans l'intimité pour dénoncer le dictat de ses dirigeants hués et traités de tous ces noms d'oiseaux de mauvais augure.

Dans le sillage de cette superbe fin de semaine, se sont faufilés ces « mardis de marches estudiantines » qui font plaisir à ce monde qui exprime haut et fort, à cri et à cor, son désir ardent de recouvrer sa citoyenneté et ses nombreux attributs, depuis déjà longtemps spoliés par un régime vacillant et chancelant, mais qui refuse manifestement de répondre à ses doléances et nombreuses attentes.

Dans leurs souhaitées retrouvailles hebdomadaires, ils se donnent en accolades, se livrent aux embrassades, se baladent mais restent toujours en rade, se conduisent en ces marcheurs civilisés, évitant les bousculades, en affichant leurs vœux à travers des slogans qui transmettent des messages clairs et très sincères.

Chaque semaine, ils sont encore là, marchant et chantant le long des grands boulevards de toutes les villes d'Algérie, toujours aussi nombreux et si disposés à scander à tue-tête leurs slogans arborés en véritables étendards, pour exiger de vive voix le départ des hommes du régime et leur désuet système.

Dans toutes les contrées du pays, le peuple comme désormais bel et bien conscient que seule la Rue est mesure de répondre à ses aspirations pour constituer son arme de guère, naguère interdite aux manifestants, combat inlassablement pour cette démocratie à arracher de haute lutte.

Mois après mois, à un intervalle hebdomadière très régulier, les manifestants se serrent les coudes et renforcent leurs rangs pour investir la Rue, dans l'étoffe de vrais combattants pour la liberté, mettant de côté tout ce qui peut les diviser pour ne se consacrer que sur cet Idéal démocratique à instaurer au sein du pays comme gage de respect dû à leur citoyenneté.

Séance succédant à une autre séance, les manifestants avancent à petits pas pour marquer de précieux points. Ils le font dans cette transe, véritable danse, drapés de l'emblème national et levant bien haut des banderoles sur lesquelles sont transcrites leurs revendications de la semaine qui changent en fonction du discours de chaque mardi que distille presque régulièrement l'institution militaire.

Flux combiné à un autre flux, le fleuve humain charrie son monde dans une ambiance de grande fête que seul le peuple algérien sait célébrer par cet acte pacifique qui vient de supplanter toutes les pratiques démocratiques, encore en usage, prenant déjà une bonne longueur d'avance sur les traditions et règles en la matière.

Venelle débouchant sur une autre venelle, ou la traversant en perpendiculaire, les masses populaires collent les unes aux autres dans leur marche commune qui s'ébranle en un défilé ininterrompu de personnes de tout âge, distillant à l'unisson des chansons-maison adaptées à la situation du moment.

Ruelle associée à une autre ruelle, les manifestants se révèlent, au fil des rendez-vous, ce talent fou à faire dans un humour utile et subtil qui dénonce le responsable ripoux pour sommer le corrompu à rendre à la caisse du pays les sous qu'il a pillés, avant que la justice ne le dépouille de tout bien indument détourné.

Faubourg se confondant avec un autre faubourg, la marée humaine provenant des nombreux bourgs de l'Algérie profonde s'installe par grappes humaines au cœur de la Capitale, le vendredi de chaque semaine, pour davantage coller à ce peloton de première ligne qui tire, à la manière d'une vraie locomotive, les manifestants des quartiers périphériques d'Alger vers la Grande Poste, ce lieu de combat préféré pour l'envoi des messages forts à l'intention des gouvernants du pays.

Face à cette colère diplomatiquement contenue de Silmya que fait le pouvoir ?

Plus que jamais, le pouvoir parait complètement désemparé. Plutôt que d'anticiper le mouvement du Hirak, il semble le suivre des yeux. De loin. À la traine. Car incapable de s'inscrire dans cette nouvelle dynamique qui le laisse sur le carreau.

Il reste encore prisonnier de ses vieux réflexes et autres chimères croyances pour marquer comme de tradition son incapacité à pouvoir esquisser la moindre thérapie qui fait référence à ce génie de la prospective, lequel s'appuie dans son imagination et action ?entre autres- sur le haut niveau de développement atteint par les nouvelles techniques de communication.

Par dépit, il marque le pas. Ne pouvant s'élever au niveau des attentes des populations. Cherchant toujours à comment torpiller ce très dynamique mouvement social qui a pris tout son monde de vitesse pour clouer au pilori les plus perspicaces études de prospectives initiées par ceux en charge de la chose publique.

Au moment où le monde entier tend l'ouïe à la Rue algérienne, le pouvoir se bouche les oreilles. Il se capitonne dans sa très surveillée zone, se calfeutre dans ses très feutrés bureaux, se pelotonne dans ses nombreuses barricades, se mure dans sa grande armure...

Le Hirak : pourquoi maintenant et pas avant ?

Entre l'explosion populaire extraordinaire de 1988 et le sursaut insurrectionnel de 2019, il y eut, en effet, ce feu de paille de 2011, véritable coup d'épée dans l'eau qui prit si étrangement tout son monde en défaut. Ce fut un parfait contre-pied de l'Histoire. Ce stand-by politique indispensable à une action future restait -contre toute attente- sans la moindre explication.

Et seule cette « génération post-décennie noire » autrefois encore immature pouvait, éventuellement, lui donner une quelconque signification. C'était sans compter sur ce génie algérien et la réelle capacité de son peuple de ressusciter qui pouvaient surprendre tout son monde à un moment où l'on s'y attendait le moins possible ! Car tout peuple rebelle demeure imprévisible dans son action et réaction !

Autant le drame de l'hécatombe de la décennie noire que la frustration de ce printemps Arabe avorté, auront été de véritables cas d'école pour le peuple algérien. Ila pu en tirer cette très grande expérience qui lui dictera la maitrise de soi et surtout cet extraordinaire pacifisme qui allait accompagner son long combat au profit de la démocratie.

Nantie de cette très précieuse lecture de l'Histoire algérienne, une génération de vrais combattants pour la démocratie venait ainsi de naitre au sein du pays sans que ses gouvernants -toujours occupés à s'entre-déchirer entre eux pour la conquête du pouvoir- ne pouvaient voir arriver ce pourtant imminent danger de la Rue qui allait en un seul saut qualitatif démettre de facto ses gouvernants et disqualifier l'opposition.

Le coup était parfait. Car techniquement, il fut à la base très bien préparé. En effet, Internet et réseaux sociaux aidant, cette jeune génération savait très bien qu'il lui fallait s'écarter du caractère violent, éruptif et insolent de son action revendicative pour, en échange, lui substituer ce combat d'une totale rupture avec les pratiques du passé reposant sur un lutte inscrite dans la durée et très pacifiée.

Il s'agissait de mener un combat qui se reconnait au sein d'une approche civilisée. Celle-ci devait s'articuler autour d'une stratégie de lutte en mesure de défier l'arme à feu, car pourvoyeuse de cet élan populaire qui revendique le recouvrement d'une citoyenneté à jamais spoliée par un régime de dictateurs et d'oppresseurs.

Elle fut cette arme fatale qui lui permet désormais d'occuper la Rue. Pour en faire son vrai terrain de combat au profit de cette quête d'une tout espérée démocratie, dont les vrais contours se décident tous les vendredis.

Et pourtant, des signes d'un malaise social étaient déjà perceptibles depuis plusieurs décennies !

Le travail comme source de richesse et de prospérité a été fortement négligé, souvent dévalué au profit d'une cooptation qui s'inscrit dans l'allégeance à un système qui se nourrit de la rente pétrolière pour perpétuer la seule philosophie des hommes forts du régime.

Toutes les valeurs citoyennes pérennes étaient mises entre parenthèses, au placard, abandonnées à l'histoire ou à leur sort, sinon sciemment travesties en vue leur substituer ces toutes nouvelles pratiques du régime qui leur font écran pour s'imposer de droit à leur place.

Véritable fer de lance du mouvement social du pays, le Hirak est né dans la douleur d'un combat inégal dont souffrait énormément le peuple algérien dans ses nombreuses insurrections menées de front à l'effet de recouvrer sa citoyenneté et sa dignité.

Sauf à s'inspirer du génie de communication de ces jeunes générations, on ne pouvait nullement soupçonner les prémices de son développement et maturation à un très haut niveau de la gouvernance du pays, pour avoir tout le temps imposé au peuple algérien des conditions drastiques qui protègent ?'le blackout politique'' contre toute tentative de le mettre en échec ou de lui substituer le jeu démocratique transparent.

Ce piège politique si savamment édifié était longtemps imprenable, étanche, solidement barricadé au point où la volonté populaire qui aspirait à un quelconque changement était très vite détectée, noyautée, instrumentalisée, pour finalement la dissuader de définitivement s'écarter de la ligne du projet défendu.

La stratégie adoptée guettait le moindre mouvement suspect. Dans le but de l'étouffer pour ensuite carrément l'éliminer. Durant près de deux longues décennies, cette recette-miracle a donnée ses fruits. Et tout reposait, en fait, sur cette façon d'opérer qui guidait la philosophie d'un régime vivant sur le qui-vive, sur sa défensive, au prix de l'esquive, de l'invective afin de fuir un quotidien des plus incertains.

Pourquoi le cri du Hirak n'a pu être entendu par nos gouvernants ?

Le Hirak est le résultat de la conjonction d'une multitude d'éléments convergents qui sont le prélude à son avènement. Leur solide imbrication et savante interaction ont précipité le jour de son déclenchement. Le poids d'un quotidien de misère devenu insupportable pousse le peuple à l'inscrire dans la durée. Et à en faire, à présent, leur seule arme de combat.

À présent que le coup est déjà parti, autant le peuple que ses gouvernants du moment se tiennent sur leur garde, chacun suspectant son « partenaire » de faire dans d'inutiles enchères politiques. Chacun d'eux espère gagner du terrain chez l'autre, afin de pouvoir à la longue prendre le dessus sur son adversaire dans ce combat pour la démocratie.

Fait étrange tout de même : chacun des deux parties en conflit s'appuie justement dans son analyse et développement sur ce concept de la Démocratie, dont il vante le mérite des articles de la Constitution qui le confortent dans son propre raisonnement et nécessaire ou logique action.

Considérée par la pouvoir en place, tantôt comme une très usée serpillière, tantôt tel un véritable étendard identitaire, notre pauvre Constitution n'est brandie à la face du peuple qui ignore jusqu'à sa confection, puisque tout le temps triturée dans son dos, que pour lui tenir court la bride, et l'amener à accepter des situations considérées comme désuètes et dépassées par le temps et les évènements.

Ce pouvoir qui l'a pendant longtemps piétinée se ravise enfin à la respecter dès lors que l'alternative qu'elle suscite ou propose lui permet d'en faire présentement un outil de blocage au jeu démocratique auquel appelle chaque semaine une Rue surexcitée mais très disciplinée. Et qui sait attendre sans jamais s'impatienter afin d'arriver au but qu'elle s'est fixé, bien loin de toute forme de violence et autres destruction de biens de la communauté.

Moyen de lutte démocratique, la Rue s'impose comme ce seul acteur incontournable qui fait plier le dictateur et partir les spoliateurs. Le peuple y tient pour s'adonner à son Hirak hebdomadaire du vendredi, convaincu qu'il fait valoir son droit citoyen et légitime pour être entendu par qui de droit.

Ses pancartes levées en triomphe expriment clairement ses revendications. Celles-ci ne changent de thème qu'en fonction des développements de la semaine politique, intervenus alors dans son morose quotidien.

En face de lui, la gouvernance du pays fait la sourde oreille. L'écho que lui renvoie l'appel de la Rue la met en difficulté. Il sonne son départ imminent et la somme de quitter rapidement les lieux.

À vouloir trop longtemps user délibérément du rétroviseur, ne finit-on par manquer le chemin emprunté ? À l'image d'un sprinteur installé à la tête du peloton et qui s'occupe plus que de raison de ses concurrents à l'approche de la ligne d'arrivée, le régime était plutôt intéressé par sa propre survie que par des impératifs liés à la bonne gouvernance du pays.

La fraude électorale combinée à ce passage en force au profit d'un 5e mandat pour un candidat absent, étaient suffisants pour deviner que ce régime courrait à sa propre perte !

Il reste qu'à l'ombre de ces pratiques despotiques, le peuple algérien a gagné en maturité pour se dresser en vrai rempart contre sa mort programmée. Dans un sursaut d'orgueil, il inventa ce Hirak qui le fit ressusciter de son long sommeil politique. Le monde entier en est resté stupéfait ! En retour, il lui loue ces indéniables qualités et lui manifeste sa très grande admiration !