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La mesure de ce qui doit être fait

par Arezki Derguini

La peur des élections, de l'épreuve démocratique semble être désormais partagée par le pouvoir et la société malgré la nouvelle donne, malgré un mouvement social qui aurait pu parvenir à contrôler le processus électoral.

Le système [1] n'en aura pas peur : la société comme d'habitude ne participera que faiblement. On sait ce qu'il arriva quand elle par ticipa massivement. Tant mieux, c'est une peur en moins. Le système ne pouvait neutraliser les élections qu'à la condition que la société ne lui dispute pas un tel contrôle maintenant qu'elle le peut de par sa mobilisation massive. La société, sa jeunesse d'abord qui n'a pas la peur au ventre, n'a pas connu de président autre que Bouteflika, ne partira pas à l'assaut du système, ne défera pas ses forces pacifiquement [2], ne le contraindra pas à une réaction violente. Le système avec ses deux pôles dominants, ne veulent pas de « vrais présidents », ne veulent pas prendre de risque avec une forte participation de la société aux élections. Aussi s'arrange-t-« il » du dégagisme, un rapport de non-négociation avec la société, pour éviter que celle-ci ne participe aux élections, ne lui dispute le contrôle du processus électoral et ne défasse son unité. Dans un rapport de confrontation et de rejet systématique, les élections sont neutralisées comme épreuve démocratique et le caractère pacifique de la protestation place les manifestants dans un rapport de soumission. La violence étant condamnée, la réaction face à la contrainte physique est désarmée. Les forces de l'ordre peuvent canaliser, elles sont dans leur fonction qu'on ne contestera pas. Les manifestants devront rentrer chez eux « la queue entre les jambes ».

Ceci étant, du fait que le système a toujours refusé à la société d'autres représentations que celle factice qu'il lui présentait, du fait qu'il ait toujours réussi à neutraliser les élections comme épreuve démocratique, on ne peut parler d'opposition politique. Elle ne constitue pas une alternative, seulement un semblant d'opposition. De plus, aller aux élections avec une telle mobilisation sociale c'est aller à une confrontation plus certaine que celle à laquelle exposerait l'attitude actuelle du mouvement social avec son dégagisme et à laquelle elle n'est pas préparée.

L'enjeu est ici bien réel : remettre un président aux civils face à des autorités militaires et à une société qui continuent de ne pas leur faire confiance n'est pas un gage de sécurité.

Oui l'opposition, la vitrine politique de l'État profond et non pas une représentation alternative de la société, n'est pas à la hauteur ni du pouvoir politico-militaire ni du monde. Elle ne peut aider le système à muter que malgré elle. Elle ne connaît vraiment ni l'un ni l'autre, elle n'a jamais eu la possibilité de penser de leur point de vue. Elle ne s'en est pas donné les capacités qu'on lui a refusées. Coupée de la société, elle a subsisté dans les rets du système, elle n'est plus en mesure de s'en séparer, de posséder quelque autonomie de réflexion ou d'action.

Elle ne s'est plus nourrie de la vie de la société, de ses interactions. C'est ce que la société entend en vérité par le mot d'ordre « i rouhou gaa » (dégagez-les tous) !

Les politiques ne font pas partie de son monde, de ses interactions, de sa « biochimie ». Les cadres politiques et institutionnels actuels ne sont pas capables d'accueillir l'expérimentation sociale. La rue, ce nouveau concept réifié, n'est qu'un réceptacle, un déversoir, qui accueille des forces qui vont se perdre dans l'indifférencié.

L'opposition ne voit pas que le système cherche des voies pour s'adapter, imposer ses réformes. Elle ne voit pas que Gaïd Salah et l'État profond doivent coopérer pour sauver le système, organiser sa mutation. Cela pourrait ne pas être plus mal. Que peut faire en effet une classe politique qui ne peut pas organiser la société, qui ne peut pas mieux faire que se poser en s'opposant, qui ne peut pas s'amarrer à la société ? Elle refusera d'elle-même l'épreuve démocratique. Elle poussera donc la société à ne pas participer aux élections pour laisser place à la démission sociale, ouvrir la voie à la fraude et au candidat du système qu'elle dénoncera pour demander que le système lui octroie la représentation.       

Tout se passe comme si, jusqu'à présent, il y avait une complicité fondamentale entre la société et le « système » : le rejet de toute représentation, de toute différenciation du politique et du militaire ; l'inactualité d'une institutionnalisation du pouvoir. Cette complicité constitue le succès du système. Le rejet de toute différenciation a été produit par la corruption que le système a instrumentalisée pour gouverner. Les corruptions coloniale et postcoloniale ont marqué le rapport de la société et de la représentation. La société n'en est pas encore revenue. Tout se passe comme si le système coupait les têtes, corrompait les élites, avant qu'elles ne soient coupées, corrompues par d'autres, plus puissants que lui.        

Aujourd'hui, il n'a plus les moyens de sa politique. La carotte peut faire place au bâton et la gestion de la corruption peut changer de maître, si l'on n'y prend pas garde.

Car la survie du système dépend aujourd'hui de sa capacité à faire accepter à la jeunesse des réformes douloureuses, de quelque point de vue que l'on puisse se placer. Nous revoilà avec le concept d'économie de guerre de Belaïd Abdesslam. Depuis l'indépendance, le politico-militaire a économiquement désarmé la société, il lui a enlevé sa capacité d'épargne. Avec l'industrialisation et après son échec, il a persisté dans une politique de soutien de la demande.

Car c'est en « soutenant » la demande, privant la société de son épargne, qu'il a voulu industrialiser le pays, qu'il a cru pouvoir réduire ses coûts [3]. Il n'a finalement réussi qu'à les accroître en bureaucratisant la société. En vérité il a développé une mauvaise politique de la demande. Il a adopté une politique étatiste de la demande à la manière keynésienne qui définissait la demande de manière passive et non active. Nous avons fait comme dans les sociétés de classes, où ce n'est pas la demande de la société par son épargne qui orientait l'investissement, l'offre, mais celle de la classe supérieure. Une demande passive comme celle des pays qui avait une industrie et avait besoin de diriger la consommation de masse. Dans notre pays le caractère passif d'une demande qui n'est pas dirigée par une industrie locale la livre à un mimétisme vis-à-vis de l'extérieur.

Nous n'imitons pas une élite dont la demande dirigerait notre industrie, mais « le monde ». Nous voulons vivre comme les autres sans travailler, produire comme eux. Nous constituons des marchés secondaires pour l'industrie mondiale. Notre « élite » se dispute les parures du monde et non pas son intelligence. L'offre crée sa demande, disait-on à la naissance de l'économie politique. Avec la production de masse, l'émergence des États-Unis et l'essoufflement des empires coloniaux apparut la première grande crise de surproduction. L'offre aura désormais besoin de nouveaux artifices pour créer sa demande. J.M. Keynes vint à la rescousse du système capitaliste avec sa politique de soutien de la demande. Une nouvelle intelligence du système capitaliste, mais toujours dans l'esprit de la loi des débouchés de J. B. Say : l'offre créera toujours sa demande, grâce à une intervention étatique pour remédier à un marché défaillant, incapable d'accorder offre et demande. J. M. Keynes, reste toujours dans le cadre de cette loi de l'offre propre à la société de classes et sa consommation de masse. La demande globale et effective n'étant plus à la hauteur de l'offre, la demande interne s'essoufflant et les marchés extérieurs étant plus disputés, il fallait un nouveau palliatif : soutenir la demande, corriger la structure de répartition du revenu, pour éviter une crise surproduction.

L'offre qui avait besoin de la puissance militaire de l'État pour créer des marchés extérieurs doit aujourd'hui faire développer une politique économique interne pour créer une bonne demande interne.

À la différence des pays industrialisés, qui disposent d'une offre excédentaire, d'une demande qui ne répond pas à l'offre, nous avons une offre qui ne répond pas à la demande, nous disposons d'une demande excédentaire. Nous ne produisons pas, notre élite ne produit pas, notre propre demande. Parce que nous avons renoncé à nos traditions collectives. Si nous ne pouvons pas adopter Keynes dont les prémisses de sa politique (une société riche qui épargne trop et ne consomme pas suffisamment) sont différentes des nôtres, c'est quand même du point de vue de la demande qu'il nous faut gérer l'offre. C'est du point de vue de la demande que la société peut s'investir, s'efforcer de produire un surplus. La fin de la production c'est la consommation, rappelait pertinemment J. M. Keynes. Il pensait à la consommation présente, nous penserons à la consommation présente et future.        

C'est du point de vue de la demande que la société peut transformer ses préférences temporelles : épargner pour consommer demain plutôt que consommer aujourd'hui. Pour accroître nos ressources et celles des générations futures plutôt que de les dissiper, en consommant plus que nous produisons. Et gérer la demande de manière active, autrement dit de manière à déterminer l'offre, cela signifie gérer l'épargne, le rapport de la consommation présente à la consommation future. Dans le contexte actuel, pour améliorer nos équilibres internes et externes, nous devons épargner pour une meilleure insertion internationale. Notre souci : avoir une meilleure part dans la production mondiale. Chose que l'on ne peut obtenir sans une certaine gestion de notre consommation. Consommation qui nous sera imposée au travers d'un accroissement des inégalités ou que l'on aura adoptée au travers d'une politique égalitaire de consommation.

Avoir une meilleure part dans la production mondiale c'est placer la demande sociale du point de vue de l'offre mondiale. Nous ne pourrons pas améliorer notre consommation future si nous ne prenons pas une nouvelle part dans la production mondiale. Il nous faudra produire longtemps pour ne pas consommer. Voilà notre Djihad. Cela n'est pas soutenable sans une politique égalitaire de consommation. Ce que nous pouvons obtenir du monde tient de ce que nous pouvons lui offrir, les ressources naturelles ne suffisant plus. Que pouvons-nous offrir au monde pour qu'il nous rende en retour ce que nous ne pouvons pas nous offrir et ce dont nous avons besoin ? Ces arbitrages ne peuvent pas concerner que nos experts économistes. Aussi, qu'il me soit permis d'imager une telle solution par un certain attelage : Mouloud Hamrouche reprenant Belaïd Abdesslam.         

C'est en effet dans une économie de guerre, une mobilisation générale, qu'il nous faudra entrer, non pas contre la société, mais avec elle pour reconquérir ses marchés.

Le politico-militaire ne voulait pas d'une demande et d'une épargne actives. Sa socialisation au lieu d'égaliser les conditions d'épargne s'acharna à monopoliser l'épargne, à détruire celle privée. Au lieu de concéder la terre à la moyenne propriété, il la confia à la bureaucratie sous couvert d'autogestion ouvrière. Au lieu d'adopter une économie de crédit qui aurait permis de transformer la rente en profit et de convertir le capital naturel en de nouvelles formes de capital, il dissipa la rente en patrimoines privés. Au lieu d'opter pour la compétition internationale, la société dominante s'enferma dans un capitalisme d'État protectionniste. Le socialisme n'exclut pas la compétition, nationale et internationale. Notre socialisme, à l'image du socialisme soviétique, n'a pas privilégié la compétition économique. C'est le refus de la compétition internationale du fait de la faiblesse de la confiance de l'élite politico-militaire, en elle-même et en la société, qui l'a empêché de trouver la voie du succès. Ce refus a été étayé par un aveuglement idéologique. Comment dès lors avec une telle culture de la démission sociale se retourner vers la société et lui demander de faire face au monde, d'entrer en compétition avec lui pour reconquérir ses marchés ?

Comment lui faire admettre d'aller à contre-courant pour ne pas verser dans l'abîme ? Il ne suffira pas de livrer quelques grands thuriféraires de l'ancien régime à la vindicte populaire pour ce faire. Il lui faudra une nouvelle élite qui pourra mobiliser ses ressources, la conduire dans la compétition internationale et lui rendre la confiance en elle-même.

Car une société qui n'épargne pas pour son éducation, ne se dispute pas la meilleure éducation, ne peut pas être compétitive, ne peut pas survivre à la compétition internationale. Nos politico-militaires ne veulent pas admettre que nous avons échoué à sortir du cercle vicieux de la pauvreté, que l'épargne publique, le pétrole, n'a pas réussi à nous en faire décoller. Ils ne veulent toujours pas reconnaître que seuls l'effort social et l'épargne sociale peuvent nous en sortir. Ils ne veulent pas convenir de notre échec. Ils persistent à vivre de nos faiblesses, à nous accompagner dans la chute. Comment peut-il être aisé de se remettre à épargner après avoir désappris à le faire ? Où ira-t-on chercher une telle volonté pour éviter de nous enfoncer dans le cercle vicieux de la pauvreté ? Pour remettre la société à épargner, il faut croire en l'avenir.

La jeunesse y est disposée, mais de quelle manière et en aura-t-elle les moyens ? Et que dire de ses dirigeants ? Nous avons besoin d'exercer sur nous-mêmes une forte contrainte pour perdre nos habitudes de consommation. Accepterons-nous une telle contrainte de bon gré ? Nous disposerons-nous de la bonne manière pour qu'elle ne cause pas de graves dommages aux plus faibles ? Réapprendre à épargner ne peut pas aller sans une certaine contrainte, le corps et l'esprit doivent accepter une nouvelle discipline, ils doivent apprendre de nouvelles habitudes de comportement. Ils doivent accepter une certaine discipline quasi militaire.

Un peu à la chinoise. Je me rappelle les propos d'un de nos géographes illustres, Marc Cote, qui disait qu'il nous faudrait comme une paysannerie chinoise pour développer notre agriculture. L'objectif étant déterminé, la connaissance de soi et d'autrui étant acquise, l'exécution doit être quasi parfaite. La liberté doit avoir ici un sens précis.

Se défaire des chaînes de la dépendance économique extérieure exige une certaine discipline. Il ne faut pas confondre liberté négative et liberté positive (Isaiah Berlin, A. Sen)[4]. Celle-là ne donne pas forcément accès à celle-ci, les pauvres ne peuvent pas jouir de l'égalité des droits et les femmes plus que les hommes.

Quoiqu'il en soit donc, l'État profond doit imprégner toute la société et l'État profond s'imprégner du monde. La société doit se mettre à sa hauteur.

Car en vérité c'est dans cet État que se réfugie notre élite ainsi que dans la diaspora, il doit cependant renoncer à sa gouvernance par défaut. L'État profond s'est construit dans un certain rapport au monde à la différence de la société qui en a été protégée. De la guerre de libération jusqu'à nos jours.

Il dispose d'une meilleure connaissance de la société et du monde. Ce qui bloque son processus de civilisation - amener la société au niveau du monde, l'État profond au niveau de l'État de droit -, ce qui bloque l'institutionnalisation du pouvoir, c'est son imprégnation de l'imaginaire féodal qui a empêché la société de se structurer pour se mettre à la bonne hauteur.

Il a voulu la soumettre à des croyances qui n'étaient pas les siennes et l'a maintenue dans l'indifférenciation et l'ignorance. Le socialisme et son parti unique ont constitué une opportunité pour des forces putschistes de monopoliser les ressources matérielles et symboliques et confisquer la souveraineté à la société. Opportunité seulement, car il n'est pas dans la nature du parti unique de monopoliser les ressources économiques, comme le montre désormais les expériences chinoise et vietnamienne, mais de réaliser une certaine unité de l'économie et de la société : grands groupes et travailleurs s'y retrouvent. Le parti communiste chinois a cessé de ne représenter que la classe ouvrière, il s'apparente désormais à une élite qui tient de plus en plus son inspiration de traditions chinoises, du confucianisme et des examens impériaux. Il n'est pas sûr que le pluripartisme idéologique à l'Occidental soit la meilleure solution à nos problèmes.

Il a été utilisé par l'État profond comme un moyen de gestion autoritaire de la société. Il n'est pas sûr que la société puisse en faire un usage profitable.

Le pluralisme doit être assis sur de réelles alternatives et des cadres qui ne soient pas ceux de la société de classes.

Il nous faut bien voir que l'économie commande au politique, en dernière instance disait les marxistes, si l'on n'y prend pas garde dirai-je. En particulier lorsqu'on ignore une telle possibilité. Ignorer la contrainte économique c'est la faire se resserrer sur soi. Pour rendre précisément au politique son autonomie, il faut savoir tenir une telle contrainte. Il faut la connaître pour la desserrer et libérer de la marge de manœuvre. L'économie pour les militaires c'est la logistique, quand elle ne suit pas, ça ne marche pas. Nous ne sommes jamais totalement libres de contraintes. Nous ne sommes libres que par le fait qu'elles nous ménagent des choix, certains choix qu'il faut reconnaître. Le possible est inscrit dans le potentiel.

Le déterminisme ne tient pas tous les champs de nos actions ni nos interactions. Choix et contraintes se mêlent, il nous faut seulement savoir là où nous avons le choix et là où nous ne l'avons pas.

En vérité, c'est en soumettant l'économie à une philosophie politique, à une éthique sociale que l'on peut commander à l'économie, que nos choix économiques peuvent être soumis à nos choix éthiques. Cela sera l'œuvre de la société, l'État représentant la société globale et ne s'y substituant pas. Nous commandons à notre consommation présente et future, privée et collective, qui est l'horizon (la fin disait Keynes) de notre production. La volonté de livrer cette fin au hasard, parce que l'on considère le marché meilleur arbitre que tout autre, ou à un ordre collectif, tient de nous. Je rappellerai ici l'exemple mozabite : on peut vivre du marché sans lui soumettre son ordre social. Avec l'automatisation des processus de production qui s'accélèrent et qui accroissent les inégalités de répartition des richesses, raréfie le travail et polarise la société, je crois que le monde sera de moins en moins soumis à l'idéologie du marché automate.

Le populisme qui gagne les anciennes sociétés industrielles en est le signe précurseur. Plutôt que d'adopter l'idéologie libérale, il nous faut théoriser nos propres expérimentations, nos propres solutions.

Epargner pour améliorer notre insertion mondiale étant donné le laxisme dans lequel nous avons vécu dans le passé, exige de nous foi et persévérance : forte croyance en la jeunesse et discipline quasi militaire. Il ne faut pas nous tromper de bataille. Notre échec est celui de la bataille de la production à laquelle nous avons tourné le dos en restant attachés à une dictature militaire, à une indifférenciation sociale du politico-militaire et de l'économique.

Car c'est en se détachant du politico-militaire que l'économique fonde l'autonomie du politique. Si un tel objectif - améliorer notre insertion mondiale - devient clair pour chacun d'entre nous, il nous faut retrouver une certaine unité du civil et du militaire, de l'économique et du politique, ils doivent s'échanger les rôles et les positions, assumer une égale discipline qu'elle soit celle de notre sécurité physique ou économique, celle de notre consommation ou de nos comportements en général, pour remonter la pente que nous avons descendue.

Il ne faut pas non plus dissocier liberté négative et liberté positive ni croire que le droit va s'incarner de lui-même.

Liberté négative pour tous, n'est pas synonyme de liberté positive pour tous. Du point de vue de l'égalité sociale, la liberté négative ne doit pas seulement profiter à une minorité. Il nous faut trouver le chemin qui nous permette d'associer ces deux libertés, de ne pas laisser les jeunes et les femmes sur le bord du chemin. Mais ce n'est pas en écartant l'expérience que nous y parviendrons. Car, répétons-le, ce n'est pas aux hommes qu'il faut faire confiance, mais à l'expérience et aux procédures de vérification. Il faut donc permettre aux jeunes et aux femmes d'expérimenter.

Comment donc sans mobilisation sociale porter un tel projet ? Il faut un nouveau sentiment de liberté que des élections honnêtes et transparentes seules ne peuvent pas donner. Le mouvement doit trouver un nouveau souffle en étant engagé dans de nouvelles expérimentations.

Il ne doit pas s'essouffler et s'installer dans une politique du tout ou rien, dans l'impasse du dégagisme. Pour le système et la société, passer au travers de l'épreuve des élections, éviter la confrontation est seulement un compromis d'étape, il évite des dérapages, mais la tâche principale demeure et devient incontournable : il faut muter, trouver de nouveaux compromis qui favorisent une telle mutation et qui rende cette épreuve profitable. Il faut confier des objectifs à la société et non plus à l'État comme substitut, cela dans les cadres qui en rendent possibles le contrôle de la réalisation et de la vérification.

C'est autour du concept de guerre, de mobilisation générale, qu'il faut penser la réorganisation de la société et de ses pouvoirs. Je ne sais pas grand-chose du concept d'économie de guerre de l'ancien ministre de l'Industrie de Belaïd Abdesslam, qui a fini par s'imposer dans ce texte, pour me prononcer. Je veux dire qu'un tel concept ne doit pas porter la construction d'une société de classes.

Ce qu'il faut aujourd'hui penser n'est pas tant une « société sans État », comme l'a fait la science sociale occidentale et en contraste avec la société de classes européenne, mais un État comme ordre social d'une société différenciée sans classes, en mesure de se défendre contre les occupations étrangères, économiques et militaires. Encore une fois, l'organisation sociale mozabite auquel la science sociale a peu accordé d'attention, sera ici en ligne de mire.

Notes

1- On entendra par système ce qu'on entend par là habituellement : ce qui fait tenir le tout. Parfois, il se resserrera autour de son noyau politico-militaire.

2- Voir notre article « Se discipliner ou être discipliné » le QO du 25.04.2019

3- Je me rappellerai toujours les propos du général Giap au président Boumediene quand celui-ci l'emmena visiter l'une de ses réalisations, un village de la révolution agricole : pour quoi travailleront-ils ?

4- La liberté positive est la possibilité d'agir pour réaliser son potentiel personnel, par opposition à la liberté négative qui est l'absence de contrainte.