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Pourquoi la conduite de la transition par les 3B aboutira à une impasse

par Reghis Rabah*

Il faut rendre au peuple ce qui est au peuple et à Dieu ce qui est à Dieu. L'application de l'article 102 et la conformité à la constitution est une revendication quasi unanime du mouvement populaire durant ses premiers actes dont l'entêtement de ce qu'on appelait l'entourage de Bouteflika l'ont «inflaté» à «Rouhou Gâa », ce qui était admis par tout le monde étant donné cette obstination de présenter un candidat par procuration qui s'était dit lui-même plus tard « n'a jamais été dans mon intention d'être candidat ».

Cette manière d'humilier tout un peuple devant le monde entier était, et est à ce jour la goutte qui a fait déborder le vase. L'armée algérienne et non Ahmed Gaid Salah qui exprimait publiquement la position d'une institution en tant que premier responsable a pris les choses en main conformément à ses prérogatives constitutionnelles d'être garante de la souveraineté nationale qui revient de droit au peuple et qui l'exerce par l'intermédiaire des institutions. En général, dans le tiers monde, il est de coutume que c'est l'institution militaire qui est choisie. C'est le cas en Algérie où la fraternité entre le peule et son armée et non « l'armée et son peuple » comme le décrivent les medias étrangers, a été fortement revendiquée durant pratiquement toutes les sorties populaires, hormis celle du vendredi 22, pourquoi ?

1- L'armée algérienne n'est pas Ahmed Gaid Salah

On lit par exemple dans le journal « LE TEMPS » (01) suisse « Pour rassurer un tant soit peu les Algériens sur ses bonnes intentions, Ahmed Gaid Salah a promis un «accompagnement de l'ANP (Armée nationale populaire, ndlr)» dans «la préparation des élections présidentiellee». Petit bémol: après avoir déclaré faire siennes les revendications du peuple, le militaire juge désormais ces dernières «irréalisables». Clair, net et précis: l'armée a sa propre feuille de route pour la période de transition en cours et entends l'imposer à la rue comme à l'opposition.» Les uns et les autres, tentent de coller

à Ahmed Gaid Salah, un charisme à la Sissi égyptien ou à la Haftar le libyen pour certainement brouiller les cartes. Dans les faits, l'armée algérienne est formée en majorité d'officiers supérieurs éduqués dans les écoles de la révolution, elle est républicaine et sait lier le passé au présent et appréhende le futur avec pragmatisme (02).

Cette génération fortement imprégnée de la révolution de leurs ainés du premier novembre sait mettre le curseur là où il faut, soit une ligne rouge entre l'avant et après l'indépendance de l'Algérie. Les jeunes d'aujourd'hui fortement influencés par les historiens et les analystes d'outre- mer douteront peut être de l'opportunité de la révolution algérienne de 1954. Il n'y a pas de doute et aucun Algérien ne croira à cette propagande car en réalité la société algérienne fut une des plus dépossédées du monde : la colonisation de peuplement avait expulsé une partie de la paysannerie de sa terre et condamnait, par son existence même, les chômeurs ruraux à ne pas trouver d'emploi dans le secteur agricole.

La majorité des postes de cadres moyens ainsi que des fonctions administratives subalternes étaient dévolues aux Européens. Enfin l'identité algérienne elle-même était niée, le pays ayant un statut départemental tandis que l'amazigh n'était pas évoqué dans les écoles. Le succès de l'insurrection du 1er novembre 1954 trouve là ses sources. Tous les mouvements nationalistes fussent ils petits -bourgeois, n'avaient d'autre programme que l'indépendance, d'autre idéologie que l'anticolonialisme. Donc le million et demi de martyrs morts pour la patrie n'a pas été vain. Maintenant sa description de l'été 1962 pourrait être comprise comme l'incapacité des dirigeants qui sont venus après de comprendre ce qu'ils feraient de cette indépendance et donc ont tous échoué. Donc cette tentative de créer une discorde entre le peuple et son armée en se focalisant sur la personnalité de Gaid Salah est vaine.Pourquoi ? Ce personnage est connu pour sa position apolitique et viscéralement tourné vers le corps de métier militaire, strict et fidèle à l'unité de commandement. En valeur absolue, de nombreux témoignages des personnes qui l'ont connues disent que c'est quelqu'un qui depuis son installation à Alger n'a jamais fréquenté le cercle oligarque et encore plus les courtisans du système du club des pins. Il faut lui reconnaitre tout cela, même si de mauvaises langues affirment que ses enfants ont profité de sa position sociale pour faire fortune. Qui ne l'est pas fait dans ce système ? Pour les habitants de Annaba et sa région, ils lui reconnaissent que ce qu'il a gagné dans sa vie, il l'a investi pour l'éternité dans la construction d'une mosquée. La preuve, aucune pancarte hostile au vice ministre n'a été vue dans les wilayas de l'Est, alors que c'était l'occasion propice de le faire.

Ce qui essaient d'orienter les revendications fortement populaires en la personnalisant autour de la personne Ahmed Gaid Salah pour porter atteinte à l'armée, ils ont d'autres intentions obscurantistes pour lesquelles les protestataires ont bien réussi durant cet acte VIII de préciser à travers une insistance de l'unité de leur mouvement sur une seule et unique demande : « pas d'ancien du système pour conduire la transition » et la « mise en place d'institution ad hoc pour conduire la transition ».

2- Pourquoi la France et son important lobby tentent de brouiller les cartes.

C'est un objectif longtemps exprimé : se débarrasser de la génération du premier novembre pour envouter celle d'après par des rêves de visa et en même temps évacuer les problèmes liés à l'histoire de leur long passage en Algérie qui est devenu récurrent d'un gouvernement à l'autre et à travers toutes les alternances politiques qu'a connues ce pays depuis l'indépendance de l'Algérie. Il ne s'agit plus d'un jugement de la jeunesse macronienne en état d'euphorie. On se rappelle du président Macron qui répondait à un jeune Algérien lors de sa dernière visite en Algérie à la question de l'histoire coloniale «Vous êtes nés comme moi après la guerre d'Algérie alors pourquoi vous vous embrouillez avec un problème dont vous n'avez aucune responsabilité.» Il s'agit là d'une volonté affichée d'enterrer le passé. Malheureusement ce n'est pas l'avis de la France profonde imprégnée des réalités de la relation historique France /Algérie, telle que détaillée par Frantz Fanon dans son livre «les damnés de la terre »»

La France pense que la génération d'aujourd'hui ,est la seule qui est capable de tenir tête à l'armée et mettre au pas les anciens combattants qui confisquent le pouvoir au nom de la légitimité révolutionnaire. Bernard Kouchner qui a crée un incident diplomatique en répondant à la question des journaliste lors la visite de Sarkozy en Algérie « que va-t-on trouver en Algérie ? Il dira « la génération de l'indépendance est encore au pouvoir, après se sera peut être plus simple ». La communauté Algérienne est imposante en France.

Bien que cela a crée une vive polémique dans les milieux d'extrême droite lors de son annonce, l'ambassadeur de France en Algérie, Bernard Emié avait déclaré début février2015 que « le nombre de Français ayant un lien direct avec l'Algérie avoisine les sept millions » Toute la question reste de circonscrire avec précision qui sont vraiment les musulmans de France ? L'Institut Montaigne a tenté d'apporter la même année une réponse sur la base d'un sondage commandé à l'Institut Farçais d'Opinion publique (IFOP). Cet organisme étatique a interrogé 15 459 personnes de 15 ans et plus, représentatives de la population française pour son sondage, dont 874 qui se disent de confession musulmane. Cela représente environ 5,6 % des répondants. Si l'on applique ce ratio à l'ensemble de la population française, on arrive donc à une estimation de 3 millions de musulmans sur la base de cette étude. Les chiffres officiels repris en 2018 confirment le chiffre de 7 millions soit près de 11% des 67,2 millions de Français avec un taux de natalité de 0,3%. Sur les 233 000 qui viennent chaque année, plus de la moitié est issue de l'émigration. Il se trouve que l'approche utilisée par l'IFOP n'a pas été du goût d'internautes et de sites d'extrême droite, qui l'ont accusée de largement sous-estimer le nombre de musulmans en France. Avec des arguments complètement erronés.

Depuis cette date, les spéculations sur le sujet vont bon train. L'Algérie par exemple, si l'on croit l'Institut national français des études démographiques (Ined), figurerait parmi les 15 pays qui fournissent le plus de migrants au monde. Pour l'Aida (Association internationale de la diaspora algérienne) basée à Londres, les Algériens ou personnes d'origine algérienne vivant à l'étranger en 2018, seraient au nombre de 7 millions d'individus, voire plus. En France seulement, ils seraient plus de 5 millions ! En Amérique du Nord, ils se situeraient entre 120 000 et 140 000 (110 000 au Canada, 30 000 aux USA et 2000 au Mexique). Dans les pays arabes, ils seraient quelques milliers et en Afrique plusieurs centaines. Si l'on croit les statistiques du ministère de l'intérieur français, repris par les réseaux sociaux, entre 1998 et 2017 plus de 400 000 Algériens ont obtenu la nationalité Française et 70 000 sont actuellement en instruction.

3- La transition par le biais des 3 B est vouée de facto à l'échec

Si l'armée et encore une fois Ahmed Gaid Salah, estiment « insensé » une solution à la crise hors un cadre institutionnel en dépit de la garantie de l'armée de suivre le scrutin et veille à sa transparence, c'est certainement la logique du discours politiquement correcte, peut être dans son fort intérieur, le responsable qui lisait le communiqué n'en croit pas un mot. L'impasse dans laquelle se trouve actuellement Abdelkader Bensalah est multiple pour au moins deux raisons. La première, avec des prérogatives constitutionnellement limitées, comment pourrait- il installer une instance indépendante de surveillance des élections que son prédécesseur a dissous, en plus qui, étant la pression populaire voudrait travailler avec lui pour cette échéance ? Le 1/5 du corps des magistrats a retiré sa participation même dans la révision des listes du corps électoral qui a déjà débutée cette semaine jusqu'au 23 du mois d'avril. La deuxième raison et pas des moindres, c'est qu'il vient de convoquer le corps électoral pour le 4 juillet, il ne se rend il pas compte que c'est exactement à 3 jour de la fin de son intérim. Imaginons et c'est fort possible qu'il aurait un deuxième tour. Donc la contradiction est qu'il vient de donner la preuve par 9 que c'est exactement le plan « A » de Bouteflika pour coopter un et un seul candidat pour reproduire l'ordre établi mais cela est trop tard au point où ont évolué les choses. C'est très loin des aspirations qu'on lit à travers les pancartes de ce huitième « Hirak » qui semble déterminé à mettre la barre très haut pour en finir une fois pour toute avec un système qui n'a que trop duré. Il s'agit de rester dehors le temps qu'il faudra pour créer les conditions favorables afin de refonder un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. L'environnement de gouvernance contiendrait des normes juridiques hiérarchisées de telle sorte que cette puissance publique s'en trouve balisée. Un tel système assurera une justice « juste et équitable » avec une juridiction indépendante. La souveraineté appartient au peuple, lequel peuple exerce le pouvoir public directement ou par l'intermédiaire de ses représentants qu'il aura à choisir lui-même en toute liberté et transparence.

Ce système dont la jeunesse d'aujourd'hui longtemps marginalisée, favorise l'initiative citoyenne pour en faire des citoyens socialement présents, intéressés au corps social, convergents vers les objectifs d'intérêt général, centripètes mais pas nécessairement identiques. Il s'agit là de tout un processus qui prendra du temps et reste unique dans son modèle de manière à n'attendre de l'aide d'aucun pays limitrophe voire africain ou Arabe. En même temps, quelle que soit la durée de cette période de transition, une constituante, présentera un danger pour l'unité réclamée. On est donc amené impérativement et éminemment de passer aux artifices politiques qui dérogera à la constitution actuelle pour mettre sur pieds un ensemble de règles consensuelles sous la forme d'une « constituette » pour faciliter la mise en œuvre de cette transition qui permettra des élections libres et transparentes pour un président consensuel pour finir le chemin qui demandera certainement du temps, lentement mais surement.

* Consultant, économiste pétrolier

Renvois :

01-https://www.letemps.ch/monde/karim-emile-bitar-regimes-autoritaires-faire-etouffer-revolutions

02-https://www.youtube.com/watch?v=p8bK6fCuv1A