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La réponse démocratique : une nécessité de la rationalité de l'Etat

par Bouriche Riadh *

Selon les événements de la journée du 9 avril 2019, le fait accompli constitutionnel est là : le président du Sénat a hérité de la présidence par intérim. Cet événement inaugure, du moins jusqu'au jour d'aujourd'hui, la « solution constitutionnelle » qui est apparemment en route en appliquant l'article 102 à la lettre. Le cadre constitutionnel comme scénario plausible à la résolution de la crise politique ne prévoit rien d'autre que la remise du pouvoir pendant 90 jours au président du Sénat en tant que chef d'Etat sans possibilité de changement du gouvernement et du président du conseil constitutionnel.

Mais la question que l'on peut se poser est : est-ce-que l'application aujourd'hui de l'article 102 tout seul est suffisante pour résoudre cette crise politique notamment quand on prend en considération tous les cris du peuple à travers les manifestations du septième vendredi ? Peut-on assurer une période de transition contre l'avis du peuple ? Il est clair que le peuple et la plupart des tendances politiques ont réitéré leur refus de voir la transition révélée à des personnages-symboles d'un système non crédible. En effet, ils ont crié très fort et à haute voix que ces personnes sont des purs produits de ce système contesté, car tout simplement ils ont des doutes que le changement puisse être possible avec un pouvoir auquel ils n'ont pas confiance. Au total, ils sont inquiets et savent bien que ce « processus constitutionnel absolu » ne peut pas répondre à leurs aspirations.

Cependant, il y aurait aujourd'hui surtout un sentiment d'amalgame et de non compréhension chez le peuple algérien, notamment après l'appel de l'armée à l'activation des articles 7, 8 et 102 de la constitution disposant que la souveraineté appartient exclusivement au peuple. Tout cela avait laissé entendre la possibilité d'une prise en compte de l'avis du peuple avec l'application d'un scénario évoquant la constitutionnalité d'un côté, mais une approche procédurale politique d'un autre côté. Il s'agit, bien évidemment, de la possibilité de l'installation d'une haute instance présidentielle composée de figures consensuelles ou bien le choix d'une personnalité consensuelle, et d'une haute instance de surveillance des élections indépendante, d'un gouvernement de compétences et d'un président indépendant du conseil constitutionnel...

Toutefois, dans l'hypothèse où le peuple continue à manifester pour le changement et n'accepte pas la solution constitutionnelle actuelle, il se peut qu'il y ait des modifications dans l'approche politique qui va enclencher le processus de transition avec une probabilité de changements au niveau du chef de l'Etat, du gouvernement et du conseil constitutionnel...

Le peuple est en attente de l'application d'un scénario qui nécessiterait peut être du « brainstorming » ou de « l'ingénierie constitutionnelle-politique », chose qui est possible avec l'apport d'experts en la matière car la période de l'après-démission du président de la république est pleine de complications. Il va sans dire qu'en « vraie politique » il faudrait éviter d'imposer aux Algériens une option qu'ils ont précisément rejetée. Il s'agit de surmonter les divergences avec le peuple et d'investir dans toutes les actions politiques qui seront à la hauteur des enjeux et des défis existants dans cette « étape rebelle» dans le but de bien fonder et édifier l'Algérie de la deuxième république. En fait, on est en présence d'une nécessité de la rationalité de l'Etat qui doit se donner pour objectif commun de mieux éclairer ce qu'il est convenu d'appeler la « réponse démocratique », c'est-à-dire les interactions positives de la part des gouvernants envers les gouvernés.

Théoriquement, la relation entre opinion et action publique s'autorégule sous la forme d'une « représentation dynamique », où les gouvernants, tout en s'employant à légitimer les institutions, intègrent les attentes des citoyens et où les citoyens leur répondent par effet de rétroaction. Ce modèle repose sur deux postulats forts. D'un côté, la structure des institutions est supposée distribuer des incitations fortes pour les gouvernants à tenir compte des préférences exprimées par les citoyens, via les élections en particulier mais également à travers la prise en compte d'autres modes d'expression de l'opinion. D'un autre côté, l'opinion publique est présumée envoyer des signaux considérés comme pertinents par les gouvernants.

La question de la « réponse démocratique » en Algérie aujourd'hui interroge directement les représentants politiques qui sont en place. En effet, le processus des manifestations a bien montré que les citoyens algériens prêtent suffisamment attention à l'action publique de tous les jours pour envoyer ensuite des messages qui puissent guider les gouvernants dans l'exercice du politique. Mais quel rôle les gouvernants d'aujourd'hui attribuent-ils à l'opinion du peuple dans la décision politique ? Comment ces gouvernants se saisissent-ils de cette opinion et jusqu'à quel point contribuent-ils à la traiter ? Quels autres acteurs participent à l'expression de cette opinion et interviennent comme médiateurs entre les citoyens et les gouvernants ?

Les situations de sortie de crise font donc apparaître le rôle central de l'Etat, que celui-ci soit défaillant ou prédominant. Les processus de transition se justifient parce qu'ils sont nécessaires à la reconstruction et à l'avancée démocratique du pays concerné et qu'il ne peut y avoir de paix et de développement sans une vraie «symbiose » entre le pouvoir et le peuple. L'on parle de la rationalité de l'Etat quand les politiques sont adossées à l'opinion publique (action, feed-back, réaction...).

A ce sujet, il est important de privilégier des critères formels de reconstruction de l'Etat algérien : il faut savoir que pour comprendre le processus de transition de l'Etat, il faut s'intéresser aux différents aspects qui déterminent la rationalité de l'Etat. En effet, la mise en place du processus de transition d'une manière non conforme aux aspirations du peuple peut mettre en évidence le fait que les décisions impopulaires ont un coût et que les erreurs ne seront pas permises.

En effet, pour décrire ce genre d'action politique, Patrice Duran, cité par Gilles Massardier dans « politiques et action publiques » en 2003, évoque « la tyrannie des processus », c'est-à-dire que les politiques sont alors plus incrémentales que changeantes, plus lentes que rapides... A travers des études de la sociologie de l'Etat, l'on s'accorde sur l'aspect limité de la rationalité des acteurs des politiques qui se chargent des transitions politiques sans la prise en compte des cris de la population... Dans ce cadre, et selon le même auteur, les acteurs des politiques « se débrouillent » plus qu'ils ne planifient une action rationnelle et stable. Leurs actions cumulées ne peuvent aller au-delà d'un changement marginal.

Enfin, même lorsqu'ils innovent, les acteurs politiques ne doivent pas « bricoler » des dispositifs par voie d'apprentissages lents basés sur l'acquisition de connaissances à la fois controversées et incorporées sur le long terme dans leurs échanges. Mais il s'agit de faire en effet remarquer que l'action politique globale qui vise une transition réussie et une rationalité de l'Etat se trouve entre « changement et recomposition », toute cette action est censée être en ébullition permanente avec les demandes politiques des individus qui se traduisent par un ensemble d'outputs. C'est pour cela qu'il est important de prôner l'ordre politique issu de l'histoire des démocraties pour redonner une visibilité au politique.

Il reste à dire que le commencement de la période de transition en Algérie continue à connaitre forcement beaucoup de questionnements autour des procédures et des étapes qui pourraient permettre justement ce changement démocratique. L'Algérie se trouve aujourd'hui face à un dilemme avec d'un côté la nécessité de rester dans le cadre constitutionnel pour une réalisation réussie de la transition, et d'un autre côté la nécessité d'une réponse démocratique c'est-à-dire être à l'écoute du peuple et tenir compte de ses revendications. Enfin, pour arriver à conduire de manière efficace cette transition en Algérie, il s'agit de mettre en avant la notion « d'ingénierie de gouvernance » qui doit viser efficacement l'ensemble des outils, des techniques, des dispositifs et des savoirs mobilisés dans la réponse démocratique avec une rationalité de l'Etat en « mixant » le politique au constitutionnel.

* Professeur-Docteur en sciences politiques ; Docteur en droit ; Titulaire d'un diplôme d'études approfondies en économie