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Le schiste, carburant politique

par Mahdi Boukhalfa

L'Assemblée populaire nationale (APN), en butte à une crise fomentée par le groupe parlementaire du FLN, se dirige furieusement vers un blocage inédit. Cinq groupes parlementaires, qui se sont mis d'accord pour demander le départ du président de la chambre basse du Parlement algérien, ont annoncé le gel de leurs activités. C'est un putsch déclaré et clair contre non pas le président de l'APN, dans un jeu de chaises qui n'a pas encore révélé ses tenants et ses aboutissants, mais bien plus contre le pays.

 Geler les activités parlementaires à un moment économique crucial pour le pays, c'est en quelque sorte dire au gouvernement de prendre des vacances exceptionnelles et, surtout, de bloquer les discussions sur le projet de loi de finances 2019, adopté la semaine dernière en Conseil des ministres. Geler l'activité parlementaire pour des considérations partisanes, liées à l'exigence de départ du président du Parlement, est terriblement dommageable pour le fonctionnement serein des institutions du pays et, surtout, noircit encore plus l'opinion des citoyens sur leur Parlement. Le moment est mal choisi pour provoquer une tempête inutile au sein du Parlement, premier canal pour l'adoption des lois de la République qui font tourner le pays. Un moment critique dans la vie difficile pour la nation qui ne survit plus que grâce à la planche à billets, l'économie étant en panne, et ne peut donc créer de la croissance et ainsi améliorer les fondamentaux financiers du pays.

 Cette étourderie politique qui sévit au sein du Parlement, à sept mois de la prochaine élection présidentielle, semble occuper les députés, les représentants du peuple, quand elle ne les distrait pas de l'essentiel, avec un agenda économique qui aurait dû attirer leur attention. Car au même moment le ministre de l'Energie leur annonce avec une simplicité déconcertante que l'Algérie est obligée d'aller exploiter ses gisements de gaz de schiste pour répondre à une demande nationale de plus en plus croissante. Le tableau dressé par M. Guitouni Mustapha aux députés la semaine dernière est terrifiant, car il dit que dans cinq à dix ans les exportations de gaz vont cesser, la production devant à ce moment-là être consommée localement. L'équation est simple, donc, avec cette facilité déconcertante de certains responsables du secteur énergétique qui veut que l'on aille rapidement exploiter les formidables réserves de gaz non conventionnel.

 Au Parlement, on devrait se méfier de ces discours alarmistes, sinon légitimant la voie la plus facile pour améliorer le volume et la valeur des exportations d'hydrocarbures. Le gouvernement actuel et le précédent ont également validé l'option du gaz de schiste, sans ménagement pour les populations vivant dans les régions de production. Sans considération pour les générations futures. Sans consulter comme cela avait été convenu les Algériens sur l'exploitation des richesses de leur sous-sol. Et, quand on a recours aussi facilement au financement non conventionnel pour éviter non pas l'endettement externe, mais plutôt les efforts à faire ensuite pour redresser l'économie nationale et la remettre de nouveau sur les rails de la croissance, on opte tout aussi facilement pour le gaz de schiste, parce qu'il est là, à portée de main, même si son extraction exige des techniques particulières.

 C'est donc à un moment où l'APN est entrée en pleine « récréation » politicienne que le gouvernement va imposer aux Algériens la production de gaz non conventionnel. Le danger de cette option est que les prix du gaz peuvent dégringoler à tout moment et que la manœuvre ne soit une autre hypothèque sur les richesses nationales.