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Historicisation de l'intervention militaire de la Russie au Moyen-Orient dans l'histoire. Trump peut-il inverser le jeu planétaire ?

par Medjdoub Hamed*

Pour comprendre la décision de Trump de rétablir les sanctions économiques contre l'Iran, il faut d'abord remonter l'histoire pour venir aux motifs qui ont permis la concrétisation de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Il est évident que cela relève d'un contexte historique précis, comme d'ailleurs l'annonce de rejeter l'accord de Vienne de juillet 2015 relève aussi d'un contexte historique qui a changé.

Tous les grands États qui ont participé au PAGC sur le nucléaire iranien (Plan d'action global conjoint) sont unanimes à dire que l'accord de juillet 2015, résultat de treize ans de négociations, constitue un pas en avant considérable dans leurs efforts de s'assurer que le programme nucléaire iranien n'est pas de nature militaire. Il faut seulement se rappeler la situation de l'Iran, de l'Irak, de la Syrie, du Hezbollah qui se trouvaient, à l'époque, dans une situation très difficile avec les groupes armés dont Daesh le plus actif. Et le risque que pouvait impliquer le programme nucléaire iranien dans cette guerre qui s'est généralisée à l'Irak, la Syrie et le Yémen.

En 2012, le Daesh commençait à s'étendre en Syrie. En avril 2013, il se proclame l'État islamique en Irak et au Levant (EIIE). En juin 2014, une grande partie du territoire irakien et syrien est sous son contrôle. En 2015, l'État islamique est à son apogée. Occupant de nombreuses villes en Irak et en Syrie, il continuait sa poussée sur les territoires encore tenus par les forces armées des gouvernements loyalistes d'Irak et de Syrie. Le risque de scission de ces pays était une option qui pouvait se réaliser. Plus grave encore, le gouvernement de Damas risquait même de tomber. Une telle situation qui se posait pour l'Iran, si son régime politique islamique se serait trouvé « menacé » ne pouvait qu'être poussé au seul recours susceptible de l'immuniser de toute attaque extérieure directe ou indirecte. Ce serait évidemment « Passer le seuil nucléaire ». S'il passe le seuil nucléaire, et doté de vecteurs balistiques, c'est tout le Moyen-Orient qui serait menacé de guerre nucléaire. On aurait une « réplique de la menace de la Corée du Nord au niveau régional ». Le risque d'une guerre nucléaire qui effacerait des villes voire des pays entiers dont en premier Israël, l'Arabie saoudite, et tout pays allié, et bien entendu l'Iran serait d'un coût insupportable pour les États-Unis et pour l'humanité. Rien ne sera plus comme avant. Le monde changera complètement. La « destruction mutuelle » entre les grandes puissances nucléaires, après une guerre nucléaire massive régionale, ne sera plus qu'une fiction. Tout sera possible, le retour à l'« âge de pierre » menacerait réellement le monde.

On comprend donc qu'un Iran « isolé » n'aurait pas d'alternative que rechercher rapidement à se doter de l'arme nucléaire et balistique pour se défendre. D'autant plus que trois mois et demi avant la signature d'accord sur le nucléaire iranien, le 26 mars 2015 l'Arabie Saoudite, à la tête d'une coalition, s'est lancée dans une guerre contre les rebelles houthistes, des chiites originaires du nord du Yémen. Et ces chiites yéménites étaient soutenus par l'Iran. Comme l'annonce l'agence Reuters, les États-Unis venaient en appui à la coalition militaire menée par l'Arabie saoudite. « Depuis le début de l'engagement saoudien en soutien au gouvernement yéménite en exil à Riyad, en mars 2015, les Etats-Unis ont fourni du renseignement et une aide logistique à Riyad (ciblage, ravitaillement en essence) qu'ils appuient également par d'importantes ventes d'armes. En juin, des conseillers américains chargés de cette coopération sur le sol saoudien ont été rapatriés, et les équipes aidant à la planification de ces missions depuis d'autres bases ont été réduites. » (5)

En clair, affaiblir l'Iran en Irak et en Syrie par Daesh et les groupes rebelles armés, et par une campagne de bombardements des positions houthistes par la coalition saoudienne au Yémen était une stratégie porteuse pour les puissances occidentales. Il ne manquait alors que le nucléaire iranien qu'il fallait à tout prix « neutraliser », et c'est là où réside l'intérêt de lier l'Iran par un accord sur son nucléaire. Ce qui a amené les 4 pays occidentaux signataires (États-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne) parmi les P5+1 à consentir de suspendre les sanctions internationales contre l'engagement de l'Iran de ne pas rechercher l'arme nucléaire. Le 14 juillet 2015, à Vienne, l'accord sur le nucléaire iranien est conclu entre l'Iran et les six puissances négociatrices (5+1). Il est ensuite validé par le Conseil de sécurité.

On constate là un souci occidental constant à la fois pour neutraliser l'Iran par un accord sur le nucléaire, affaiblir le pouvoir irakien et syrien et le Hezbollah face à Daesh et aux groupes rebelles fortement armés, qui ont pris plusieurs villes et une grande partie des territoires irakien et syrien, et enfin au Yémen, par les bombardements aériens de la coalition, pour affaiblir les houthistes, alliés de l'Iran. On comprend que si ce plan avait été mené jusqu'au bout, l'Iran serait confronté à des conséquences graves. Perdant ses alliés, il se retrouverait isolé, affaibli et son régime menacé.

En second lieu, l'Iran n'est pas seul menacé, les autres pays arabes sont aussi dans l'œil du cyclone islamique. En effet, allant de succès en succès, l'État islamique va gagner du terrain poussant toujours plus loin les frontières du territoire qu'il contrôle. Rappelons que l'EI a rétabli le califat le 29 juin 2014. Et par cette proclamation, il appelle tous les groupes djihadistes à mettre de côté leurs rivalités et à s'unir. L'EI devenant ainsi le fédérateur de toutes les organisations djihadistes. Une telle situation amènera forcément l'affaiblissement des régimes politiques des autres pays arabes d'Afrique du Nord, du Sahel, y compris les régimes monarchiques arabes. Par conséquent le risque est grand que le monde arabo-musulman soit entièrement bouleversé.

Cela aurait pu arriver, et que le plan stratégique global occidental réussisse et les résultats visés par l'Occident arrivés à leur fin s'il n'y avait pas les contingences de l'Histoire qui ont changé totalement le cours des événements. En effet, les États-Unis n'ont pas pris en compte la réaction de la Russie, deuxième puissance militaire dans le monde. Ayant déjà annexée la Crimée en 2014, mettant en échec les menées subversives occidentales en Ukraine, la Russie qui a une base militaire à Tartous en Syrie ne pouvait rester inactive dans les guerres en Irak et en Syrie. Si le plan occidental avait réussi, la Russie serait obligée de se retirer de Syrie. Ce qui serait un recul géostratégique très grave pour la Russie et l'équilibre des forces dans le monde. A fortiori dans une région centrale du monde où non seulement se trouvent les plus grands gisements de pétrole du monde, mais, par les transactions pétrolières qui s'y opèrent, facturées en dollars, conditionnent l'évolution de l'ensemble des économies du monde.

Précisément, sur appel du gouvernement loyaliste de Damas, l'intervention de l'aviation militaire russe en Syrie, le 30 septembre 2015, va bouleverser les donnes et changer complètement le cours de l'histoire. En deux ans et demi, elle inverse le rapport de force et met à néant le plan stratégique occidental pour la Syrie. La Turquie est forcée de négocier avec la Russie et devient partie intégrante du processus de pacification de cette région. Au final, grâce à l'intervention militaire de la Russie, c'est l'axe Russie-Iran-Irak-Syrie-Hezbollah qui sort vainqueur. Les États-Unis et leurs alliés, européens et arabes, sont perdants.

Sur le plan des conséquences historiques qui auraient pu résulter, l'intrusion de la Russie le 30 septembre 2015 a non seulement préservé l'équilibre régional entre l'axe Russie-Iran-Irak-Syrie-Hezbollah et l'axe États-Unis-Union européenne-pétromonarchies arabes, mais évité un bouleversement des systèmes politiques des pays arabo-musulmans et surtout risque d'une « guerre nucléaire » qui aurait embrasé le Moyen-Orient. En effet, les États-Unis, constatant que le seul obstacle qui serait resté si son plan de domination a été total au Moyen-Orient était l'Iran, pourraient avec une forte probabilité envisager une guerre nucléaire contre un Iran qui aurait passé le « Seuil nucléaire ». Une guerre nucléaire avec toutes les conséquences inimaginables qui pourraient résulter pour l'ensemble des pays de la région et l'impact que cette guerre aurait sur le monde. On comprend dès lors qu'en historicisant l'histoire, l'intervention de la Russie a été positive pour l'ensemble des peuples de la région et du monde. En visant ses intérêts en Syrie et en intervenant militairement au Moyen-Orient, la Russie a été pour ainsi dire un instrument de l'histoire. En « pondérateur majeur » dans les guerres en Irak et en Syrie, elle a évité une tragédie encore plus grande aux pays musulmans et au monde.

Il est évident que la compréhension de l'intervention de la Russie au Moyen-Orient n'explique qu'une partie la décision de Trump de rétablir les sanctions économiques contre l'Iran. Depuis l'intervention de la Russie au Moyen-Orient, les États-Unis sont encore plus affaiblis qu'ils l'étaient avant 2003, i.e. avant l'occupation de l'Irak. Le retrait total de leurs forces armées de l'Irak en décembre 2011 a coïncidé avec l'irruption du « Printemps arabe ».

Tout le regain de force que leur a permis le « Printemps arabe » sur le plan géostratégique mondial s'est évaporé comme par enchantement avec l'irruption de la Russie dans le théâtre moyen-oriental. Cependant quand bien même les États-Unis sont allés d'échec en échec et sont en déclin, les derniers déboires se sont produits en Syrie depuis l'intervention russe en septembre 2015 ? la Russie est devenue ainsi un obstacle infranchissable à toute la stratégie de domination dans cette région centrale du monde ?, les États-Unis malgré ces revers ont pu rebondir et imposé leur marque habituelle à leurs adversaires. Ne pouvant venir à bout des puissances adverses sur le plan militaire, notamment les plus déclarées contre leur domination (Russie, Chine, Iran), ils tentent de perpétuer leur hégémonisme sur le monde en touchant ces pays à leurs portefeuilles.

Précisément, le président Donald Trump, depuis sa prise de fonction de président des États-Unis, le 20 janvier 2017, est allé de coup d'éclat en coup d'éclat. Du décret interdisant l'entrée aux États-Unis aux ressortissants de 7 pays musulmans, la sortie de l'accord de Paris sur le climat, la construction du mur avec le Mexique, la suppression de l'Obamacare... aux sanctions économiques contre l'Iran, la Russie, la Turquie. Et aujourd'hui, la guerre commerciale contre l'Union européenne, la Chine, le Mexique, le Canada. Et toujours la décision unilatérale américaine d'imposer des droits de douane contre les pays qu'ils soient des alliés ou non dans le but d'exiger des puissances leur alignement à sa politique de domination. En clair montrer que c'est l'Amérique qui commande, qui décide du monde.

La question qui se pose est quelles sont les « forces historiques » qui ont amené les États-Unis à décider de la marche du monde tant dans son développement économique que dans son évolution géopolitique. Et par ces « forces historiques », les États-Unis utilisent tantôt des politiques bellicistes extrêmement agressives, le « hard power », tantôt des politiques économiques qui sont aussi extrêmement agressives, le « soft power », pour « plier » les pays adversaires à sa politique de domination mondiale.

« Ces forces historiques sont-elles négatives ? » D'emblée peut-on dire non. L'Histoire ne va pas comme les hommes le voudraient, l'histoire va comme l'Histoire le veut, ce qui est totalement différent. L'homme, les peuples et leur évolution sont les produits de l'Histoire avec un grand H. Pour cause, un Japon brisé, nucléarisé deux fois, occupé, en 1945, en moins de trois décennies, se hausse à la deuxième place dans l'ordre économique mondial. On appelle cette transformation un « miracle » parce qu'on ne trouve pas d'autres qualificatifs. De même l'Allemagne occupée, brisée, 10 millions de morts, à la fin du conflit mondial, en 1945, est aussi qualifiée de « miracle allemand ». Aujourd'hui, l'Allemagne a un poids central dans une Union européenne constituée de 28 pays.

En réalité, c'est l'Histoire qui fait les peuples, et non les peuples qui font l'histoire malgré que ce soit eux qui font l'histoire. Ils sont les instruments de l'histoire mais non l'« Essence » de l'histoire. Tout relève de conjonctures historiques. Comme, par exemple, les deux conflits mondiaux ont été nécessaires pour mettre fin aux empires européens et libérer l'Afrique et l'Asie du joug colonial. Si les guerres 1914-1918 et 1939-1945 n'avaient pas eu lieu, les peuples d'Afrique et d'Asie seraient-ils indépendants ? Probablement, ils seraient encore colonisés ou sous protectorat. Et c'est la raison pour laquelle, aujourd'hui, les sanctions économiques américaines contre Téhéran qui sont en place depuis mardi, le 7 août 2018, ont un sens. Trump a prévenu ses alliés qu'ils ne pourraient plus commercer avec les Etats-Unis s'ils continuaient à le faire avec l'Iran. La première vague de sanctions est entrée en vigueur à 00h01 heure de Washington (04h01 GMT). Elle porte notamment sur les transactions financières en dollars, sur le commerce de l'or et des métaux précieux, sur le charbon et sur le secteur automobile. Mais, dans cette décision, on ne peut penser que Trump impose ses sanctions que parce que les clauses de l'accord sur le nucléaire iranien n'englobent pas une sécurité totale et vérifiable de la région et du monde. Il est évident que le président américain vise d'autres objectifs.

Et pourquoi l'Union européenne, pourtant alliée aux États-Unis, fait savoir, avec la Russie et la Chine, qu'elle est déterminée à sauver l'accord de Vienne de juillet 2015, qui encadre les activités nucléaires de l'Iran en échange d'une levée progressive des sanctions économiques frappant Téhéran ? Et pourquoi ces avertissements et menaces grandiloquentes de Donald Trump ? « En novembre, « elles (les sanctions) atteindront un autre niveau. Quiconque fera des affaires avec l'Iran n'en fera plus avec les Etats-Unis. J'appelle à une PAIX MONDIALE, rien de moins », écrit-il sur Twister.

Cité par la télévision publique iranienne, le chef de la diplomatie Mohammad Javad Zarif a de son côté affirmé que le rétablissement des sanctions américaines allait isoler Washington et ses alliés saoudiens et israéliens. « Leurs politiques répressives et leurs mesures violentes les ont isolés. Le monde a pris ses distances vis-à-vis de leurs politiques hostiles contre l'Iran », a-t-il dit. (1)

Que peut-on dire du retour de sanctions contre l'Iran ? La décision unilatérale de Trump peut-elle obéir au seul motif que l'accord sur le nucléaire iranien a été mal négocié par son prédécesseur ? Et pourquoi l'Europe est-elle réticente au désengagement américain sur l'accord nucléaire ? Il est évident que tout n'est pas dit dans la politique américaine sur l'Iran. On peut même dire que des motivations stratégiques sur le plan géoéconomique et géopolitique d'une extrême importance pour les États-Unis l'ont poussés à cette prise de position contre l'Iran.

De même, qu'en est-il des sanctions américaines contre la Turquie ? Le président Donald Trump a annoncé, vendredi 10 août 2018, une forte augmentation des droits de douane sur l'acier et l'aluminium importés de Turquie. Ces droits, précise-t-il sur Twitter, seront désormais de 20% sur l'aluminium et de 50% sur l'acier. « Nos relations avec la Turquie ne sont pas bonnes en ce moment », ajoute le président américain. Les relations entre Ankara et Washington se sont tendues ces derniers jours avec le placement en résidence surveillée d'un pasteur évangéliste américain, Andrew Brunson, soupçonné de terrorisme par les autorités turques. Ce différend diplomatique secoue fortement la livre turque sur les marchés des changes. » (2)

Contre cette imposition de taxe douanière, le président turc a répondu : « S'ils ont des dollars, nous, nous avons notre peuple, nous avons le droit et nous avons Allah ! Il a exhorté vendredi ses concitoyens à soutenir la livre turque, dont la chute s'est accentuée après son appel à la « lutte nationale » contre la « guerre économique » déclarée selon lui à la Turquie. « Si vous avez des dollars, des euros ou de l'or, allez dans les banques pour les échanger contre des livres turques », a lancé Erdogan dans un discours à Bayburt (Nord-Est). Pendant son intervention, la monnaie a enfoncé le seuil de six livres pour un dollar. La devise, dont la valeur a fondu de près de 40% face au dollar et à l'euro depuis janvier, a enregistré une baisse spectaculaire de 19% sur la journée par rapport à la monnaie américaine, atteignant son plus bas historique. Le même jour, Donald Trump avait annoncé le doublement des droits de douane sur l'acier et l'aluminium importés de Turquie. » (3)

Peut-on penser que « c'est le placement en résidence surveillée d'un pasteur évangéliste américain, Andrew Brunson, soupçonné de terrorisme par les autorités turques » qui a motivé les sanctions économiques contre la Turquie ? Pourtant ce pays est membre de l'Otan. Comme le clame le président turc : « Il est mauvais d'oser mettre la Turquie à genoux avec des menaces concernant un pasteur », a lancé samedi M. Erdogan, lors d'un rassemblement à Unye, sur les rives de la mer Noire. « Honte à vous, honte à vous. Vous échangez votre partenaire stratégique de l'Otan pour un prêtre ». Comme pour l'Iran, tout n'est pas dit dans la politique américaine sur la Turquie. Des motivations géostratégiques globales sont derrière les sanctions américaines contre la Turquie.

Outre les sanctions mises en place contre l'Iran le 7 août 2018, contre la Turquie le 10 août 2018, la Russie subit aussi le même mois des sanctions économiques. Le 8 août 2018, les Etats-Unis ont annoncé de nouvelles sanctions contre la Russie, ce qui a fait chuter le rouble à son plus bas niveau depuis deux ans. « Ces sanctions prises dans le cadre de l'affaire Skripal, du nom d'un ex-agent double russe contaminé par un agent innervant début mars en Angleterre, concernent pour le moment des produits en lien avec la sécurité nationale américaine. Mais des sénateurs républicains et démocrates font dans le même temps circuler une proposition de loi prévoyant de limiter les transactions de plusieurs banques publiques russes et de restreindre leur accès au dollar ».

En déplacement vendredi en Sibérie, Dmitri Medvedev a promis que Moscou riposterait avec vigueur à toute initiative de ce genre. « Je ne souhaite pas commenter les discussions sur de futures sanctions, mais je peux dire une chose : si quelqu'un interdit les opérations de banques ou leur recours à l'une ou l'autre devise, nous pourrions parler très clairement de déclaration de guerre économique », a-t-il déclaré. » (4)

Là encore, le même processus de sanctions américaines contre l'Iran, la Turquie et la Russie, des pays souverains. Et la seule faiblesse de ces pays est qu'ils utilisent généralement le dollar américain dans les transactions commerciales dans leur commerce extérieur. Et le dollar dont seuls les États-Unis disposent et sont les seuls émetteurs au monde constitue une arme redoutable. C'est le talon d'Achille pour pratiquement tous les pays du monde, y compris pour les pays détenteurs de monnaies internationales à savoir la zone euro, le Royaume-Uni, le Japon et la Chine (depuis octobre 2016). Ces quatre puissances monétaires calquent généralement leur politique monétaire sur la politique monétaire de la Banque centrale américaine (Fed).

La seule explication est que les États-Unis qui en veuillent à toutes les puissances, y compris à leurs alliés de l'autre côté de l'Atlantique, et leurs alliés proches, le Canada et le Mexique, pourtant constituant l'ALENA, une zone de libre-échange nord-américain, sont en train de perdre pied dans le système économique mondial. Et que ce n'est pas le président Donald Trump qui décide de ces « décisions » bien que c'est lui qui les décrète. C'est « la situation de la place des États-Unis dans l'économie mondiale qui a changé » depuis l'avènement des grandes puissances économiques dont au centre la Chine, suivie de l'Inde, de la Russie, de la Turquie, et d'autres puissances économiques y compris l'Union européenne et la zone euro, qui cherchent par un jeu planétaire avec l'acceptation de l'Iran dans ce jeu planétaire à forcer les États-Unis à « se plier » au jeu géoéconomique qui se joue aujourd'hui dans le monde.

Évidemment, les États-Unis ne peuvent accepter ce jeu planétaire imposé de l'extérieur, et surtout amoindrissant leur place dans le système économique mondial, et donc leur place dans l'économie mondiale. Qu'en est-il de ce « jeu américain se confrontant au jeu planétaire Chine-Union européenne-Russie-Turquie-Iran » ?

Nous ne pouvons en développer ce jeu aujourd'hui, par manque de temps et de place. Nous le laisserons pour une prochaine analyse. Cependant, il faut se dire que tout événement a fortiori majeur dans l'histoire du monde a un sens dans la marche du monde. « Historiciser le jeu américain à travers les décisions grandiloquentes de Donald Trump et le jeu planétaire Chine-Union européenne-Russie-Iran permettrait de mettre à nu l'histoire du monde dans la finalité de son action et sa marche dans le temps. » Ce sont certes les hommes et les peuples qui font l'histoire, mais il faut se dire qu'ils ne la font pas sans la finalité historique qui est la pièce centrale du puzzle. La multiplicité des événements historiques s'ordonnance à la fois avec eux, pour eux et contre eux. Et dans ce « avec eux, pour eux et contre eux » ne signifie pas qu'ils sont tous affectés de la même façon, il y a des avancées pour des peuples et des régressions pour d'autres dans le sens que l'histoire tourne mais toujours en avançant. Et dans l'ordonnancement du jeu planétaire contre les États-Unis ne signifie pas que l'Union européenne fait alliance avec la Chine ou avec la Russie pour soutenir l'Iran contre les États-Unis. Ce ne sont que des conjonctures qui assemblent ou désassemblent même des alliés de longue date selon que les forces historiques sont pour eux ou contre eux. Prenons la guerre lancée par les États-Unis contre l'Irak, en 2003. Excepté le Royaume-Uni, les principaux pays de l'Union européenne avec la Russie étaient contre la guerre en Irak, ils ne cautionnaient pas l'action armée punitive américaine.

Un autre fait historique majeur dans l'histoire pour expliciter les avancées et régressions dans la marche de l'histoire. L'attentat du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles de New York a précipité le déclin des États-Unis. C'est grâce à une décennie de guerre et des déficits extérieurs sans interruption des États-Unis envers le reste du monde et la Chine, que cette dernière, accumulant des excédents commerciaux contre l'endettement américain et donc les plus grandes réserves de change au monde, qu'elle s'est hissée en deuxième place dans le podium économique du mondial. De même grâce à cet attentat et les guerres qu'il a provoquées que la Russie a pu renaître de ses cendres, non seulement s'est développée, mais est arrivée à accumuler près de 600 milliards de dollars de réserves de change, en 2012. De même, pour les pays arabes exportateurs de pétrole. L'Algérie, par exemple, en plus de ses formidables constructions et avancées économiques, devenu un « chantier à ciel ouvert par ses réalisations », a encore accumulé près de 200 milliards de dollars, en 2014. Donc, l'attentat du 11 septembre 2001 avait un sens dans l'histoire des États-Unis et du monde.

Et aujourd'hui, le président Trump n'est pas seul dans le bateau États-Unis, il a beau menacer le monde de sanctions économiques, et son staff a beau le conseiller dans cette voie, il demeure que, malgré le taux de croissance très positif, le taux de chômage qui s'est calé à 3,9 %, un des taux les plus bas du monde, les États-Unis sont dans une situation de déclin. Certes, le déclin n'est pas immédiat mais il progresse. Croire que Donald Trump cherche à régenter le monde n'est qu'une apparence, renforcée par les sanctions à tout va et les menaces tonitruantes du président. En réalité, c'est le reste du monde, en l'occurrence l'axe dont nous avons fait mention qui cherche à régenter les États-Unis. Cela paraît incroyable, mais c'est ainsi. Sinon pourquoi ces menaces grandiloquentes du président américain à tout va ? Ce qui dénote une fuite en avant de l'Amérique qui cherche à parer, ou plutôt à résister à un nouvel état du monde aujourd'hui en cours de reconstruction.

Cependant, historiquement parlant, on ne peut dire que l'hégémonie américaine sur le plan économique mondial est négative. Elle est plutôt positive. Elle a joué très positivement dans l'histoire de l'humanité. N'a-t-elle pas permis la reconstruction de l'Europe et du Japon après la Deuxième Guerre mondiale ? Le plan Marshall. Depuis 2000, après l'attentat du 11 septembre 2001, la dette publique américaine a explosé, passant de 5.500 milliards à 21.000 milliards de dollars en mars 2018, selon le département du Trésor américain. Une partie importante de la dette publique (environ un tiers) est détenue par les pays étrangers qui recyclent leurs excédents commerciaux aux États-Unis. Ce qui a rendu les pays du reste du monde (les pays émergents et exportateurs de pétrole) riches et créanciers des États-Unis. Et cela entre dans l'historicisation de l'histoire. Pourquoi les guerres ? Quelles sont leur finalité en bien et en mal ? Les conflits et les guerres sont, depuis la nuit des temps, accoucheuses d'histoire.

Précisément, par ce « soft power » voulu extrêmement agressif, basé sur le dollar, puisque le « hard power », politique de mise au pas par la guerre n'a pu remplir son rôle, Trump cherche un retour de manivelle. Comment mettre fin à cette évasion de dollars, issus des déficits extérieurs de l'Amérique, vers les pays du reste du monde ? Aussi cette question : « Peut-il inverser la donne eu égard au jeu planétaire Chine-Union européenne-Russie-Iran ? » L'Histoire le permettra-t-elle ?

*Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale - Relations internationales et Prospective.

Notes :

1. « Les Etats-Unis rétablissent des sanctions contre l'Iran », par RFJ. Le 07/08/2018

https://www.rfj.ch/rfj/Actualite/economie/Les-Etats-Unis-retablissent-des-sanctions-contre-l-Iran.html

2. « Alors que la monnaie turque s'effondre...Trump double les droits de douane sur l'acier et l'aluminium turcs », par la revue Capital.fr. Le 10 août 2018

https://www.capital.fr/economie-politique/trump-double-les-droits-de-douane-sur-lacier-et-laluminium-turcs-1302493

3. « S'ils ont des dollars, nous, nous avons notre peuple, nous avons le droit et nous avons Allah ! » par le journal Libération.fr. Le 10 août 2018

www.liberation.fr/.../s-ils-ont-des-dollars-nous-nous-avons-notre-peuple-nous-avons-le-droit-et-nous-avons-Allah

4. « Moscou met en garde les USA contre des sanctions visant ses banques », par Reuters. Le 10 août 2018

https://fr.news.yahoo.com/moscou-met-en-garde-les-usa-contre-des-113306529?sector.html