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Immigration clandestine : Entre angélisme médiatique et lucidité diplomatique

par Farouk Zahi

«Toutes les fois que tu verras la presse acharnée après quelques gens puissants, sache qu'il y a là-dessous des escomptes refusés, des services qu'on n'a pas voulu rendre». (Honoré de Balzac).

Il n'aura suffi à M. Ahmed Ouyahia, sous la casquette de son parti, juste à se prononcer sur le phénomène d'une migration subsaharienne, annonciatrice de dérèglements sociétaux, pour qu'il fasse l'objet d'un frénétique tire de barrage. Est-ce à dire que la libre parole ne serait permise qu'à certains clochers ?       

Heureux, déjà, qu'un leader d'une formation politique s'exprime en dehors de joutes électorales sur un sujet d'ordre national des plus préoccupants. Bien avant M. Ouyahia, le malaise généré par cette migration sauvage s'est exprimé matériellement et violemment à Ouargla, Bechar, Dely Brahim et tout récemment à El Oued. S'il est vrai que la détresse humaine doit être atténuée par un comportement solidaire, elle ne doit pas, cependant, se faire au détriment de l'intérêt bien compris de la cohésion sociale. Un noyé n'aura la chance d'être sauvé que s'il y met du sien ; sans çà, c'est la noyade pour tous.         

On semble étonné du rejet qu'exprime une partie de la population vis-à-vis, non pas du migrant lui-même en tant que personne humaine, mais de certains de ses comportements qui tiennent d'us et coutumes que l'on considère comme permissifs vis-à-vis du conservatisme atavique ambiant. Les wilayas du grand Sud, notamment le Hoggar et le Tidikelt, ont, depuis des lustres, connu ses transfuges mais à une échelle individuelle ou même familiale pour ne pas déranger. A titre indicatif, à Tamanrasset, les quartiers de Gaata El Oued et de Tahagart ont été les premiers à accueillir, et ce depuis des décennies déjà, de pleines cohortes de migrants désemparés dans le dénuement le plus total. Intégrés socialement, ils devenaient par leur endurance dans le travail, presque invisibles. La jeune génération du palladium et du kit-man, sans jeu de mots, ne l'entend pas de cette oreille. Elle veut s'affirmer, même en terre d'accueil, ce qui obligatoirement crée des frictions avec les résidents allant jusqu'aux affrontements sanglants. A l'instar, de Sersouf el Feraille à Tamanrasset qui est devenu un véritable ghetto impénétrable, ces peuplements périphériques risquent, s'ils ne sont pas encadrés juridiquement et humainement, d'être à l'origine de débordements qu'il sera très difficile de maîtriser.

Et qu'on ne vienne pas raconter que l'Algérien est de nature raciste eu égard à la couleur de la peau de ces transfuges, car une bonne partie de notre population, notamment, celle du Sud est de teint foncé. D'ailleurs, ce vocable utilisé pas seulement dans le contexte africain, est même devenu anodin entre compatriotes.

Il suffit, parfois, qu'il y ait désaccord entre deux individus pour que le référent ethnique refasse surface. Quant à céder aux cris d'orfraie d'ONG et autres racistes notoires que sont Robert Ménard et consorts qui, au lieu de dénoncer vigoureusement ce qui se passe au Myanmar (ex. Birmanie) où on épure ethniquement et méthodiquement, au Yémen qu'on affame ou encore à Gaza qu'on extermine par un blocus inhumain, n'ont de point de mire que ce qui se passe en Algérie.

Le maire de Béziers, lepéniste avéré, chantre des droits humains -exclusivement judéo-chrétiens- n'a-t-il pas refusé l'accueil de migrants fuyant les conflits armés dans sa propre commune ? Notre plus grand malheur vient de notre amnésie sur les évènements majeurs qui ont marqué ces deux dernières décennies. On pensait ingénument que l'ingérence humanitaire chère à M. Kouchner allait sauver les Bosniaques de l'ethnocide serbe pratiqué à l'échelle de la Shoah et que l'élimination de Saddam Hussein allait ouvrir larges les portes d'une démocratie à l'américaine. Plus proche de nous, «Dégage» qu'on pensait être un effluve de jasmin de liberté en Tunisie voisine, n'a été qu'un «fleuve détourné». Les clameurs. La révolte de la Place Ettahrir du Caire, n' a été, en fin de compte, qu'une révolte facebookienne, bénie par le chantre de l'intégrisme religieux El Karadaoui grassement rétribué en billets verts. Quant à la Libye, tout le monde sait, maintenant, que le «Mossad», à travers Bernard Henri Lévi, la mouche du coche et le Hongro-macédonien Sarkozy paie jusqu'à l'heure actuelle l'insoumission de son défunt Guide. Notre presse indépendante, certes jeune, a été ingénue en chantant les vertus de ces soulèvements populaires dits spontanés contre les dictatures républicaines, passant sous silence tout ce qui était monarchique aussi bien au Golfe qu'au Maghreb.

Faut-il comprendre par là que nous avons été intelligemment manipulés pour être à l'image de cette vieille réclame «La Voix de son maître» du géant italien du gramophone ? Cette propagande montrait un caniche qui reconnaissait le timbre de la voix de son maître à travers un archaïque discophone de l'époque.

M. Abdelkader Messahel, ministre des Affaires étrangères et qu'on ne peut soupçonner d'immaturité politique, encore moins diplomatique, a eu, lors de l'atelier international ayant pour thème : «Rôle de la réconciliation nationale dans la prévention et la lutte contre l'extrémisme violent et le terrorisme» à faire cette déclaration qui ne souffre d'aucune ambiguïté discursive que nous reprenons extenso : «L'immigration clandestine est une menace pour la sécurité nationale». Cette sentence ex cathedra du chef de notre diplomatie ne s'arrête pas en si bon chemin, elle se prolonge par cette autre déclaration non moins tranchée : «L'Algérie n'a pas de leçon à recevoir d'aucun individu, organisation ou parti politique, et ses enfants ont le devoir de la défendre».

Il y a lieu de relever, ici, que le locuteur utilise le vocable «ses enfants» et non pas ses seuls gouvernement et armée. Aussi, les états d'âme que d'aucuns veulent exprimer à travers les réseaux sociaux et la presse, sont, dans le contexte mal venus quand le danger est en la demeure. Pour étayer son propos qui n'a rien d'une figure de style, M. Messahel assène cette autre information : «Environ 5.000 Africains figurent parmi les combattants étrangers au sein des organisations terroristes. Ce chiffre est énorme».

Aussi, les écrits journalistiques à l'emporte-pièce et à chaud, ne peuvent apporter que de l'eau au moulin des détracteurs et dénigreurs de cette Algérie qui refuse de plier l'échine. La presse, pour être libre, doit discerner entre la chose partisane et la chose nationale. A l'expérience, elle a été souvent dans le mur en fustigeant la politique étrangère de son pays, contrairement à celle de l'Occident qui a soutenu toutes les interventions armées au Moyen-Orient et en Libye.

La presse chérifienne quant à elle, même celle dite progressiste ou d'idéologie républicaine, n'a jamais été à contre-courant de la politique royale. Rappelons-nous les griefs retenus contre notre diplomatie pour ne pas avoir participé à la curée qui a démembré la Libye voisine. Elle hurlait avec les loups représentés par les chefs de guerre qui se sont découverts, subitement, une âme de grands démocrates-droithommistes. Tiguentourine mis fin à la candide rêverie et sonna, provisoirement, le glas des visées belliqueuses reportées sine die. Que ceux et celles qui chantent les vertus de l'universalisme dont l'Occident, présentement décadent, en fait son cheval de bataille pour mieux subjuguer les peuples, s'essayent à le pratiquer juste à l'échelle individuelle en accueillant dans leurs dépendances ou jardins ces hères qui ne demandent, en fin de compte, qu'un toit et une pitance ! Ce même Occident, ferait mieux de restituer leurs richesses minières et végétales à ces pays africains pour un mieux être de leurs populations jetées sur les routes de l'exil. M. Messahel a bien raison de dire que nous n'avons point de leçon à recevoir de quiconque, nous dont la profondeur culturelle et territoriale est d'abord et avant tout africaine.

Il est évident que si les luttes d'arrière-garde d'idéologies surannées venaient à prendre le pas sur la raison, il y aura tout lieu de s'attendre à plus de déchirement allant justement dans le sens du morcellement des Etats-nations, jadis objet de fierté et d'émancipation. Même s'il est mauvais élève, selon le bon mot du regretté général Giap, le colonialisme n'est cependant pas tout à fait cancre puisque il n'aura retenu de la mythologie hellénique que la légende du Cheval de Troie. S'inspirant largement de cette stratégie guerrière, il échafaude tous ses plans par la ruse instrumentalisant les judas de tout bord créant ainsi le phénomène d'implosion de sociétés jusque-là prospères et s'accommodant de leurs dirigeants. Faisant les choux gras de la presse naissante des années 90, le défunt Moudjahid Slimane Amirat choisissait l'Algérie à la démocratie. La suite est connue de tous.