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Le pourquoi de tant d'incivilités à l'école

par Ali Derbala *

« L'éducation (la culture) c'est comme un parachute, quand on n'en a pas, on s'écrase» Pierre Desproges

Déjà à la fin du XIX siècle, le philosophe         Nietzche [1] se demandait quel sens donner à l'acte de «civiliser» ?

Que signifie domestiquer ? L'éducation de l'homme n'est-elle pas dressage ? Si la civilisation se caractérise par la plus extrême violence, la violence de l'esprit sur lui-même, rien d'étonnant à ce qu'il y ait des «retours de bâton», des retours du refoulé, des régressions barbares. Il n'y a pas d'école, de collège, de lycée et d'université uniques, la ségrégation existe non plus au sein de la classe, mais d'un établissement à l'autre. Des écoles, collèges et lycées de centres-villes ne ressemblent en rien à ceux des banlieues ou certains quartiers sensibles, quartiers du genre « favela », « kazdiri » ou « chaabaoui » (de populaire) ou « quartiers d'insécurité ». La violence des jeunes serait le reflet de la violence sociale : chômage, dysfonctionnements familiaux, ghettoïsation. De la nature et du principe physique de l'action et de la réaction, à la non-éducation s'associe et se développe la violence. Du second principe de la thermodynamique, tout élément subit les interactions de son milieu. Les élèves des banlieues ne demandent que d'être traités comme leurs camarades des «beaux» écoles, collèges et lycées des centre-villes. Même les programmes des études leur sont adaptés faute de présence de professeurs aguerris. Les banlieues ou certains quartiers sensibles ou difficiles sont devenues ce qu'on peut qualifier de Zones d'Éducation Prioritaire, ZEP, elles ne sont ni prioritaires ni éducatives.

De la violence en milieu scolaire et alentour

En France, une ZEP est un ghetto organisé, en général sur les périphéries des grands centres urbains, de façon à ce que les meilleurs élèves étudient tranquillement dans les «bons» lycées du centre-ville, sans être dérangés par une «racaille» descendue de quelque banlieue louche. Ces élèves «naturellement» sont destinés à alimenter les gros bataillons analphabètes[2]. La violence représente un défi social autant que sécuritaire. La violence n'est pas une invention récente. Nous subissons la violence depuis la colonisation en 1830, l'indépendance du pays en 1962 et l'arrêt du processus électoral en 1992. Le colonialisme n'est pas une machine à penser, n'est pas un corps doué de raison, il est la violence à l'état de nature et ne peut s'incliner que devant une grande violence [3]. «Incivilités» est un synonyme moins accentué ou minoré de violence, la violence des jeunes en général. En Algérie, les enseignants d'une même région et de n'importe quelle matière perçoivent le même salaire. En France, on alloue des primes aux enseignants pour les convaincre de supporter les insultes et les coups dans les quartiers de non-droit. On a su que les inspections pour la promotion de ces enseignants de la périphérie ne se déplacent pas ou se déplacent lentement, voire pendant des années. Dans ces quartiers difficiles ou laissés pour compte, on y envoie ou on mute en général des professeurs qui tiennent tête aux responsables, récalcitrants, à tête dure, etc. Des adolescents dont les héros ou idoles familiers sont des délinquants, circulent en tenant des animaux de compagnie des Pitbull et des Rottweiler, s'ils ne sont pas armés de gourdins et de sabres. Le recours à la violence peut être engendré par la fascination et la fascisation. Encore une fois, Nietzche [4] réalise et pense que la dureté, la violence, l'esclavage, le danger partout présent, dans la rue et dans les cœurs, la clandestinité, le stoïcisme, la magie et toute sorte de diablerie, tout ce qui est mauvais, terrible, tyrannique, tout ce qui tient de la bête fauve ou du serpent, chez l'homme, sert aussi bien que son contraire à élever le niveau de l'espèce humaine.

Comment estomper ou atténuer cette violence à l'Education nationale ?

Selon un pédagogue, voilà un moyen précis de mesurer la baisse programmée du niveau scolaire : aux élèves d'aujourd'hui, on apprend 15% de ce qu'on enseignait il y a vingt ans. Seul le travail rend l'élève respectable. Seul le savoir le fait accéder à l'humanité. On ne naît pas respectable, on le devient. Ce n'est pas avec de la nouvelle pédagogie que l'on tient ces classes, ni qu'on les fait progresser. C'est avec du savoir, avec la fascination du savoir. Un professeur n'a pas à être un bon didacticien, il lui suffit d'être admirable, à leur niveau. «Mais il faut bien que quelqu'un apprenne quelque chose à ces gosses», explique-t-on. «Il y a les jeunes licenciés pour ça. Ils ont le niveau requis et ont appris la pédagogie, n'est-ce pas ?», vous dit-on du côté de l'administration. Dans un entretien au Figaro Magazine (23 octobre 1999) Philippe Aleirieu, le pape de la Nouvelle Pédagogie en France, reconnaissait partiellement ses erreurs : «Il y a quinze ans, par exemple, je pensais que les élèves défavorisés devaient apprendre à lire dans des modes d'emploi d'appareils électroménagers plutôt que dans les textes littéraires. Parce que j'estimais que c'était plus proche d'eux. Je me suis trompé. Pour deux raisons : d'abord parce que les élèves avaient l'impression que c'était les mépriser ; ensuite, parce que je les privais d'une culture essentielle ».

Conclusion

Dans un temps pas trop lointain, plus on étudie haut, plus on prétend à une position sociale élevée. L'échelle sociale n'est plus déterminée par le niveau des études. En Algérie, on a dévalué la valeur des études, de l'effort et du travail. Un étudiant me demanda combien gagnait un jeune maître-assistant. Je lui dis qu'il gagnait 46.000 DA après bac + 7 s'il est titulaire d'un magister ou d'un doctorat. Il n'avait pas envie de l'imiter. «Mais c'est ce que je me fais par semaine au marché Guessab de Blida!», dit-il sincèrement peiné. Toujours violence, mais cette fois instauratrice. Résister sans violence exige le maximum de sagesse, de décision et d'endurance. La violence est simple et facile, c'est l'arme des gens stupides et elle ne laisse derrière elle que le chaos [5].

*Universitaire

Références

1. Friedrich Nietzsche. Généalogie de la morale. GF-Flammarion, Paris, 1996. Note 129. p.213.

2. Jean-Paul Brighelli. La Fabrique du Crétin. La mort programmée de l'école. Préface de Bernard Lecherbonnier, Gallimard, 2005.

3. Le Monde Diplomatique, décembre 2015, p.24.

4. Friedrich Nietzsche. Par-delà le bien et le mal. Traduit de l'allemand par Geneviève Bianquis. Union Générale d'Editions. Paris VI, 1988. Titre original : Jenseits von Gut und Böse, p.85.

5. Pearl Buck. Viens, mon bien-aimé. J'ai Lu. 1978, p.290.