Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Encore une lente guerre de Libération

par Kamel Daoud

On a marché à Alger. Quelques mètres. Mais c'est à l'arraché. Il reste deux millions de kilomètres carrés à libérer. Pays vaste où on ne peut pas courir, marcher, se promener, déambuler, marauder. Seulement se coucher ou se prosterner. Pays prisonnier. Jamais le pays n'a été aussi bien verrouillé, interdit aux siens et allongé parterre, mains sur la nuque. C'est presque la grande victoire de la néo-colonisation. Pas de dialogue avec nous, les indigènes. Pas d'écoutes, pas de négociations, rien. Après le crash des printemps arabes, entre l'islamisation horizontale, Daech, les instabilités régionales et l'argent fou du pétrole, le régime se sent fort et puissant et écouté à l'extérieur. Plus besoin de compromis, à l'intérieur. Mangez, priez ou partez. Pas d'autres voies pour répondre aux voix. Rien. Rigidité parfaite, durcissement, insolence, cécité. « Que peuvent-ils faire ? » s'interrogent le dictateur ou ses figurants ? L'Occident ne mise pas sur eux (nous) et le peuple est déjà à moitié installé dans l'au-delà. Donc, malade, le régime se sent en très bonne santé. Il va. Il marche assis. Il continue.

Vieux destin de notre pays : depuis un an, dix ans, un millénaire : lutter, sans cesse, pour la liberté de marcher chez soi, quand on le veut. Cela dure depuis des siècles. Droit brièvement arraché, très vite perdu. Parfois oublié. On n'a pas eu le droit de marcher, à Alger, avant même la fondation d'Alger. Liberté de mouvement, depuis si longtemps attendue, et qui a dévoré des générations entières et qui ne dure, chaque fois, que quelques jours, quelques semaines avant de se dissoudre. Toujours nous arrivent, en vents contraires, des Romains, des Espagnols, des Vandales, des Français, des Algériens colonisateurs, pour refaire les mêmes chaînes : ils nous frappent, nous enferment, nous fabriquent des lois qui étouffent la respiration et nous volent des puits ou des bétails. On se soulève, on le paye cher, on rit et chante un moment puis il nous font refaire le même le chemin. La France est un hexagone, l'Amérique, un octogone, la Palestine un pointillé mais l'Algérie est un cercle.

Donc images de l'opposition essayant de marcher à Alger. Images des policiers qui les frappent. Images vieilles depuis le rupestre. Images habituelles. C'est la même image depuis que je suis né. Un effort de libération, sans cesse, sans interruption, sans arrêt. Il continuera, après ma mort. Il est le moteur de l'Algérie, il est sa panne. Pays désiré, pays indésirable. Pays immobilisé ou l'histoire marche en rond. Pays depuis toujours colonisé et où les indépendance durent le temps d'un youyou. Encore une répression, hier, à Alger. Encore une lutte contre une autre colonisation.