Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

LES CLASSES POPULAIRES EN RETRAIT

par K. Selim

La machine du quatrième mandat - sauf situation imprévisible - est en marche. Même si elle crée un fort sentiment d'indignation à l'égard de ceux qui infligent aux Algériens cette épreuve surréaliste, elle n'a rien pour l'arrêter. Au plan formel, elle a ce qu'il lui faut : des candidats qui vont participer à la partie sans contester à Bouteflika le «droit» d'être candidat. Le mouvement Barakat, lui, n'est pas une génération spontanée. Il exprime une indignation désarmée - c'est le cas de le dire - et inorganisée face à un régime décidé à expédier le rendez-vous électoral sans s'arrêter à ces «petits» détails qui font de l'Algérie une bizarrerie historique. Mais encore une fois, une colère et une indignation ne font pas un mouvement.

N'oublions pas que si la Tunisie s'est mise en mouvement, c'est parce que Gafsa, Sidi Bouzid et Kasserine ont bougé. En clair, c'est l'irruption des classes populaires qui a changé la donne, pas les blogueurs ou Facebook. Et les classes populaires en Algérie restent en marge, en retrait, profondément marquées par le traumatisme des années 90. Bien décidées à ne «pas se faire avoir une fois de plus». Le constater ne relève pas du passéisme mais d'une réalité encore présente. Cette période a d'abord heurté frontalement le principe démocratique avant de faire basculer dans la violence et la régression. Et le crépuscule du militantisme. Plus personne et plus aucun parti ne mobilise plus. Il y a bien l'effet de l'étouffement policier mais il y a surtout une méfiance profonde des classes populaires à l'égard de la politique. Que l'avènement du militant «virtuel» sur les réseaux n'est pas près de corriger.

Cela sert, bien entendu, le régime. Tant que les classes populaires ne bougeront pas, il est relativement tranquille. Mais pour que les choses restent en place, le régime a cédé à de nombreuses revendications salariales ou corporatistes qui se sont exprimées sur le mode implicite «donne un peu, sinon je te fais ma Tunisie». Si les Tunisiens ont fait «leur Tunisie», c'est que le militantisme est resté relativement plus vivace et que la dichotomie laïc-islamiste n'a pas eu fortement raison de l'idée démocratique. De manière facile, certains s'en prennent aux Algériens qui ne seraient devenus que des «estomacs» sans se rendre compte de l'injustice du jugement. Où sont les avant-gardes ? Les militants ? Or, même si les journaux ont réussi plus ou moins à donner quelques illusions, l'Algérie est devenue un désert politique.

Le football et le fric, eux, n'ont pas besoin de «militants» tandis que les traumatismes des années 90 ont dégoûté les classes populaires de la politique. Le cyber-militantisme, avec tout le respect que l'on doit à ceux qui y croient, n'est pas près de compenser le crépuscule du militantisme «classique». Celui qui va au contact, organise, explique, défend et projette. Place Audin sans les classes populaires, cela permet à la «gestion démocratique des foules» de s'exercer sans grande difficulté. L'indignation est là, mais la machine continuera sa marche. Le roi est nu ! Il ne l'ignore pas, mais il ne craint pas la colère des sujets qui regardent sa nudité. Cette colère est impuissante.

Comment retrouver les chemins d'un militantisme qui admet que l'Internet n'est qu'un outil - magnifique - mais qu'il ne sert pas à lever l'énorme contentieux qui a été créé, au cours des années 90, autour de l'idée démocratique ? Là est la question. Et si Internet permet aujourd'hui de discuter ouvertement dans les «six mètres» du régime, il ne faut pas croire que cela suffira. Le régime algérien a précédé les autres régimes arabes en permettant aux journaux de «dire» beaucoup de choses mais en privant les Algériens de tous les instruments du changement. Il n'y a pas de solution miracle à une impasse. Il y a un travail, laborieux et difficile, de reconquête des classes populaires pour les intéresser à la politique, c'est-à-dire au domaine public. Mais d'ici-là, ce sont bien les contradictions internes au sein du régime qui sont déterminantes.