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A GAUCHE, TOUT LE MONDE N'A PAS PERDU LA TETE !

par M. Saadoune

Samir Amin, économiste marxiste, a publié un texte alambiqué où l'on comprend que les islamistes, toutes tendances confondues, seraient une création des Occidentaux? et il aboutit à la conclusion qu'il faut soutenir l'intervention occidentale et donc française au Mali. Des présupposés à la hauteur de la conclusion ! Et comme il faut bien quelques précautions de style, le ci-devant chantre du tiers-monde précise que cette intervention n'apportera pas la «réponse qu'il faut à la dégradation continue des conditions politiques, sociales et économiques non seulement du Mali mais de l'ensemble des pays de la région».

Cette prise de position, à laquelle rien n'obligeait en apparence l'économiste basé à Dakar, est bien entendu applaudie en Occident par les néoconservateurs de tous bords et les anti-islamistes sans nuances. De la droite extrême à la social-démocratie coloniale en passant par le communisme anti-arabe. La posture procède directement du référentiel idéologique de la laïcité à la française, celle de l'anti-islamisme primaire. Quand on schématise des réalités complexes et que l'on semble admettre que la contradiction principale au Mali opposerait la démocratie incarnée par le régime de Bamako à un mouvement théologique représenté par les mouvements touaregs et les organisations islamistes, on prend la responsabilité de souscrire à un processus de recolonisation. S'il n'est pas question d'occulter les menaces posées par des groupes djihadistes - qui n'ont pas de cause réelle mais servent objectivement des drapeaux multiples -, il convient de s'interroger sur les enjeux réels du désastre malien, un Etat gravement déstabilisé depuis des années et méthodiquement placé dans une impasse empoisonnée.

L'appui apporté par Samir Amin à cette entreprise laisse d'autant plus perplexe qu'en France même, hors un unanimisme de façade, il ne manque pas d'hommes politiques et de penseurs pour contester l'argumentaire bateau que l'économiste franco-égyptien reprend avec un zèle étonnant. Qu'un intellectuel se réclamant de l'héritage de Fanon puisse se sentir obligé de se mettre publiquement dans la même tranchée que des forces étrangères dont le rôle sur le continent est éloquent ne manque pas de surprendre. Mais confirme la stérilisation de la pensée et la perte de sens de nombreux intellectuels africains et arabes «matérialistes» dépassés par les évolutions de leurs sociétés.

Le hasard - agréable - a voulu qu'au moment même de la sortie de l'étrange épître de Samir Amin, l'Algérien Sadek Hadjeres, militant de gauche au long cours, livre une analyse (sur le site électronique de La Nation) d'une remarquable limpidité qui se nourrit d'une trajectoire militante, concrète. Un regard qui puise sa force dans l'expérience réelle et historique des luttes anticoloniales et sociales des Algériens. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'on retrouve entre Sadek Hadjeres et Samir Amin la même distance que celle qui sépare l'ancien secrétaire général du PAGS des idéologues de l'éradication responsables de l'annihilation de l'organisation communiste algérienne. Face à ce qu'il faut bien appeler une guerre civile malienne, entretenue de l'extérieur, Sadek Hadjeres pose un regard réfléchi formé par l'expérience concrète des luttes anticoloniales. On sort ainsi des contorsions théoriques aussi abstraites qu'inconsistantes pour confronter le réel? Non à gauche, tout le monde n'a pas perdu la tête !