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LE FCE NE FAIT PAS DE «POLITIQUE»? LE FCE A TORT

par K. Selim

La faible dynamique de l'économie aLGienne est tout à fait préoccupante. Et les centaines de milliards de dinars investis dans le développement des infrastructures n'ont que très peu d'effets d'entraînement. Plus que jamais, le pays est dépendant des hydrocarbures pour tenir la tête hors de l'eau et régler la facture d'importations qui, au contraire des autres indicateurs, connaissent une croissance vertigineuse.

 Que le Forum des chefs d'entreprises fasse des propositions pour aller à une économie moins dépendante des exportations de ressources fossiles n'a rien d'anormal, bien au contraire. Le patronat, qui s'est appuyé sur les travaux d'un groupe d'experts nationaux, préconise la poursuite de l'effort d'investissement, mais piloté par les entreprises, afin d'atteindre des niveaux de croissance de 8 à 10%, selon le FCE, susceptibles de résorber le chômage et de réduire la précarité. Les mesures sont un véritable catalogue à la Prévert, où les éléments d'un programme économique de gouvernement visent quatre objectifs principaux : soutien à l'investissement, réduction de l'informel, simplification du cadre opérationnel et amélioration du climat des affaires.

 Ces recommandations découlent de l'observation des tares de l'organisation économique et sont pour l'essentiel des propositions de bon sens. Il n'est pas besoin d'un excès d'analyses pour aboutir au constat d'échec de la gouvernance économique. Elle est très en deçà des minima requis pour faire face aux besoins actuels et encore plus éloignée des défis posés par des lendemains incertains. Le «miracle» de l'augmentation des prix pétroliers a accentué la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures, stimulé une dépense publique stratosphérique et consacré la marginalisation des opérateurs privés et publics nationaux, au grand bénéfice des entreprises étrangères.

 Les propositions des patrons algériens sont donc une salutaire contribution au nécessaire débat sur les moyens de redresser une situation peu reluisante. Mais elles pèchent néanmoins par l'absence d'un préalable analytique fondamental qui est d'ordre politique et pas de nature technique. Qui doit mettre en œuvre un programme économique, quelle qu'en soit la nature ? Il s'agit, bien sûr, d'une prérogative gouvernementale : c'est bien l'exécutif qui doit conduire la politique économique du pays. Mais pas seulement, loin de là. C'est d'une administration performante à tous les niveaux que dépend l'efficacité attendue de toute politique économique. Pourtant, la dé-bureaucratisation est à peine évoquée dans les 50 mesures du patronat.

 C'est également un débat politique sur la nature de l'Etat et son rôle vis-à-vis de la société. Nul ne l'ignore : les pays qui émergent, ceux qui enregistrent des taux de croissance en ligne avec la situation sociale et démographique de leurs sociétés, sont précisément ceux qui disposent d'administrations performantes. L'amélioration de la qualité de l'administration est un prérequis que ces pays, fort différents, ont unanimement respecté.

 Ce qui saute aux yeux de n'importe quel observateur est bien l'insigne faiblesse de nos structures administratives, rongées par l'incompétence et une corruption endémique. Cette administration, qui, au fil des ans, s'est transformée en hydre bureaucratique, est l'un des principaux obstacles à la mise en œuvre de tout programme digne de ce nom. Elle est la vraie base du système de la rente et le reflet clinique du fait qu'il a sabordé l'Etat en pulvérisant tous les seuils d'incompétence.

 La remarquable inefficacité des dépenses publiques, les retards et les surcoûts gigantesques, l'incapacité à ouvrir des chantiers en faisant appel aux entreprises algériennes en sont des symptômes éloquents. L'élévation radicale du niveau de sa composante humaine, à tous les niveaux, et sa professionnalisation sont donc des préalables urgents. Le fonctionnement fluide de l'économie impose une véritable révolution administrative, faussement envisagée sous le seul angle de la simplification des procédures et de la dotation en équipements de bureau. Il faut oser le constat que les Algériens font constamment et dont le FCE se garde : l'état de l'administration correspond parfaitement à celui du régime. Est-il possible sous ce régime d'avoir une administration qualifiée et digne d'un Etat de droit ? Cela fait au moins deux décennies qu'on ne se pose plus la question.

 Et c'est pour cela que ces propositions, aussi intelligentes et cohérentes soient-elles, paraissent vaines. On n'évacue pas un problème politique par un tour de passe-passe technique.