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UN 5 OCTOBRE BRITANNIQUE

par K. Selim

La Grande-Bretagne serait-elle en train de vivre son 5 octobre ? Les émeutes qui secouent certaines des principales villes du pays ressemblent beaucoup à celles que l'Algérie a connues à la fin des années 80. Des dizaines, parfois des centaines de jeunes s'en prennent à la police, incendient des véhicules et mettent à sac des commerces et des centres commerciaux.

 Les images de ce dernier type d'incident sont diffusées à satiété par la presse britannique, dont les médias, en général très conservateurs, même quand ils se présentent comme proches du Parti travailliste, condamnent sans appel les émeutiers, accusés de semer le désordre pour pouvoir faire du «shopping gratuit», ainsi que l'affirme le quotidien The Independent.

 Les émeutes ont commencé samedi dernier au nord de Londres, après l'annonce de la mort d'un individu, soupçonné d'être un vendeur de drogue, abattu dans des circonstances peu claires par la police. Les troubles se sont propagés à différents quartiers de la capitale britannique, obligeant le gouvernement à tripler le nombre de fonctionnaires de police chargés de rétablir l'ordre dans la ville. Et si un calme relatif semble revenir à Londres, les émeutes se propagent à d'autres villes du pays.

 Qu'est-ce qui motive les émeutiers ? S'agit-il seulement d'une forme particulièrement violente de manifestation de solidarité avec un dealer ? On peut en douter. La police britannique est loin de ressembler à l'image d'Epinal du débonnaire «bobby» seulement armé d'une matraque. Le renforcement du dispositif sécuritaire au nom de la lutte antiterroriste a exacerbé les tensions d'une partie de la population avec des forces de l'ordre, qui peuvent se montrer extrêmement brutales, comme le montrent les statistiques de morts «naturelles» dans les commissariats de police de Sa Majesté : depuis 1988, selon le Guardian, 333 personnes sont décédées en garde à vue sans qu'aucun policier n'ait été condamné. Bien entendu, ce sont les populations les plus pauvres et les plus «basanées» qui se plaignent des abus d'autorité d'une police dont la culture raciste n'est pas une légende.

 Mais ces émeutes et les actes de vandalisme sur lesquels se focalise la presse ne sont pas un coup de tonnerre dans un ciel d'été. Le ressentiment d'une partie de la population, blancs et noirs confondus, contre la police se greffe sur un climat social détestable, caractérisé par une politique d'austérité qui frappe durement les classes sociales défavorisées. La rigueur écrase des catégories entières vouées depuis des années au chômage ou aux emplois précaires, pendant que les privilégiés de la City font supporter par le budget de l'Etat le coût exorbitant de leurs dérives.

 La hausse des frais de scolarité et les manifestations étudiantes qui ont suivi ont montré le visage d'une société brutalement inégalitaire, où, pour pouvoir aller à l'université, il faut parfois s'endetter sur des années. Sans évoquer les services publics de santé absolument sinistrés. Les émeutes anglaises traduisent avant tout un mal-être profond lié aux structures mêmes d'un système qui ignore superbement les revendications minimales de justice sociale.

 La corruption des élites politiques et policières, l'affaire Murdoch, du nom du magnat néoconservateur de la presse anglo-saxonne et son expression emblématique, nourrissent la rancœur, chez les jeunes notamment. Et ce ne sont pas les aventures militaires extérieures ou les fastes déployés pour un mariage princier qui risquent de calmer l'exaspération des laissés-pour-compte.

 Face à cette situation, le discours des politiques est plus sécuritaire que jamais. Les Britanniques, faute de carottes réservées aux nantis, connaîtront le bâton?