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Le prix d'un pays: par le poème ou les soldes

par Kamel Daoud

La facture inconnue. C'est la réponse à une question  qui obsède : combien ont payé, à l'Occident, les régimes qui survivent encore à Bouazizi pour rester sur place ? Quelles colossales concessions ont été faites pour éviter le printemps arabe chez les dictatures encore debout ? Car si, du côté du peuple, on en est arrivé à suspendre les retraits de permis, à augmenter les salaires de 50% et à accepter de parler de réformes, qu'a-t-on offert aux maîtres blancs pour sauver sa peau ? On peut donc imaginer sans fin : les trois-quarts du pétrole qui sera découvert en 2054, des concessions jusqu'au seuil du lit conjugal, des lois 98%- 2% avec la majorité pour l'investisseur étranger, le fichier de tous les terroristes recherchés, des accords commerciaux avec en bonus le tiers de l'indépendance nationale, etc.

 On se perd à imaginer. Car si les régimes arabes en arrivent à tuer leurs peuples, à les massacrer, ils n'auront sûrement aucune peine à vendre ce qu'ils peuvent. En Algérie, un verdict sans preuve est là depuis des décennies : « Le pays a été vendu ». Personne ne sait combien, à qui, par qui mais c'est la preuve d'un soupçon fondamental. Tous les Algériens sont presque sûrs que le pays été vendu. Une nouvelle génération de soupçonneux affirme que c'est pire : il a été donné. Cela reste un peu du domaine de la psychologie par la lime et l'acide mais c'est aussi une sourde réalité des régimes quand ils sont en difficulté. Le printemps arabe coûte cher : en vies, en immolés, en concessions et en manœuvres. C'est le côté obscur de la lutte contre la démocratisation. Bien sûr, ce genre d'analyse aboutit souvent à une conclusion bête : l'Occident n'est pas juste. C'est ce que disent ceux qui sont avec l'OTAN en Libye et ceux qui sont contre. C'est ce que disent les défenseurs de la Palestine, les fervents du Liban libre et les analystes assis des relations internationales alimentaires. Et bien sûr c'est faux et frustrant. Cela part de l'idée que l'Occident des régimes doit être juste et noble. Fausse thèse, car l'Occident c'est comme la vie, il n'est ni juste ni injuste. Il pense à ses intérêts et fait ses calculs. On n'a pas à l'accuser de nos torts ou à le juger sur ses intentions. Il est là pour manger, s'étendre, conquérir, nommer et imposer et créer.

D'où une possible nouvelle conclusion : notre monde dépend de nous et personne ne peut changer de veste à votre place si la vôtre est déchirée. C'est donc quoi l'idée de départ ? Une spéculation sur « combien coûte un pays en solde, à l'indépendance, pendant une révolution ou à la fin d'une dictature ? ». Les prix varient et ce n'est pas l'Occident qui les fixe. Lui, il achète. Qui fixe les prix d'un pays ? Un peu la situation, l'histoire, les hommes et les gisements. Un pays se porte, se vend, s'achète, se donne ou se divise contre lui-même. Combien coûte un pays ? Cela varie. Parfois le prix est fixé par un poème, d'autres fois c'est une minable dictature qui le solde. Pour nous, on nous a offert le sursis pour les retraits de permis et de la viande. Qu'a-t-on offert pour les puissants de ce monde pour éviter la pendaison ?