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Formation continue, réalité et enjeux: Cas de l'enseignement de la GRH

par A. Tadjine*

L'Algérie nouvelle s'efforce de rattraper le retard, de rectifier les erreurs, de sortir des égarements de plusieurs décennies d'efforts de développement, elle ne nie pas son passé et les réalisations acquises au prix de sacrifices et de volonté de tout un peuple, elle veut seulement capitaliser ses expériences et ses ressources pour faire face aux défis du moment et de se positionner dans le rang qui lui sied à savoir une puissance régionale dans la conception la plus noble du terme sans prétentions démesurées ni fanfaronnades.

Pour se faire, le patrimoine industriel et agricole existant est mobilisé pour un sursaut en termes de performance et de rentabilité de même que de très grands nouveaux chantiers sont lancés et pour les concrétiser de façon efficace et efficiente, de nouvelles doctrines de management inspirées des recommandations de l'économie de marché et une nouvelle culture organisationnelle plus adaptée aux nouvelles exigences sont à instituer.

Face à cette nouvelle exigence d'adaptation, qu'en est -il de la réalité de terrain ?

Il est certes évident que la volonté politique est d'importance capitale, que son aval est indispensable, mais il n'en demeure pas moins que la concrétisation des objectifs et l'efficience des processus ne peuvent s'envisager que si la ressource humaine engagée est mobilisée non pas dans le sens idéologique du terme ou d'adhésion à une quelconque doctrine mais dans le sens de possession des attitudes et des compétences qui lui permettent d'être professionnelle ; c'est-à-dire capable de permettre à l'entreprise d'être performante dans le sens des exigences de l'économie de marché en d'autres termes être capable de faire face aux affres de la concurrence qui la structure.

De ce qui précéde, il devient impérieux de s'intéresser à la manière dont est gérée cette ressource, de répondre à certaines questions comme :

Comment elle est considérée ?

Quelle place prend-elle ?

Comment elle est enseignée et appliquée ?

De très nombreuses questions nous interpellent et nécessitent réponses et intérêts particuliers, que nous allons essayer de survoler dans le cadre de cet article que nous dédions essentiellement à la manière dont est présentée la thématique de la GRH dans le cadre de la formation continue en entreprise publique Algérienne.

Il va sans dire que le rôle de la formation continue n'est sujet à aucun débat et que son aspect de levier de transformation et d'ajustement ne souffre d'aucun doute, à titre d'exemple, on peut citer l'effort consenti par le vaisseau amiral de l'économie Algérienne à savoir Sonatrach, qui s'est dotée d'une structure spécialement dédiée à l'enseignement du management « Sonatrach Management Academy », qui fait de la formation du management, une priorité et une fonction organique.

Cet intérêt grandissant et sans équivoque ou restrictions de la part de tous les intervenants et à tous les niveaux de la sphère économique est à considérer comme authentique investissement aussi bien économique que social, c'est pourquoi s'intéresser à la manière de la pratiquer sur le terrain mérite éclaircissement et éclairage.

L'Algérie de par son histoire singulière , ses spécificités , ses atouts, ses défis et sa volonté d'être elle-même, de ne pas se confondre et de se fondre dans le mimétisme des configurations imposées, s'est donnée une histoire particulière qu'on se doit de comprendre pour pouvoir introduire les préoccupations de l'économie de marché qui, il ne faut surtout pas oublier, sont le produit du libéralisme et du capitalisme qui à une période donnée étaient considérées comme étant antinomiques avec les orientations idéologiques de l'époque.

L'implémentation d'une culture organisationnelle d'obédience libérale ne se décrète pas juste parce que des considérations idéologico- économiques l'imposent, il y a lieu aussi de s'assurer que les soubassements psychosociologiques y soient favorables. Les perceptions, les motivations, les croyances et les convictions, les adhésions sont structurées par une socialisation et façonnent les comportements aussi bien individuels, organisationnels que collectifs.

De ce qui précède et parmi les exigences de l'implémentation de la culture organisationnelle, émerge le rôle essentiel de la formation continue et plus spécifiquement celle de la GRH ou management RH, qui généralement est assurée par des structures qui lui sont généralement dédiées.

Il est à signaler que ces structures ont enregistré une augmentation en nombre aussi bien en tant qu'entreprise publique que privée après la mise en œuvre de l'arsenal juridique instituant le passage à l'économie de marché.

Avant de s'y intéresser, il est utile de connaitre les caractéristiques de l'entreprise publique Algérienne, de la présenter pour mieux comprendre la réalité du terrain, d'agir en connaissance de cause, d'estimer les situations à leurs justes valeurs, de contextualiser de façon performante et d'éviter le mimétisme et le fourvoiement dans des considérations théoriques.

Nous vivons une transition, qui semble s'éterniser et que nous pouvons expliquer par des éléments concrets et objectifs que nous synthétisons comme étant trois étapes successives de durée plus au moins égale estimée chacune d'une décennie et qui sont : la décennie noire où le terrorisme détruisait le patrimoine existant et annihilait toute tentative de développement de quelque nature que soit , une deuxième gaspillée à se prémunir contre les soubresauts aussi bien internes qu'externes fomentées par des manœuvres déstabilisatrices d'origines sionistes et impérialistes baptisées fallacieusement de printemps arabe et une décennie de gabegie quasi généralisée où les opportunistes de tout bord ont trouvé le terreau nécessaire à la prédation, le vol et la dilapidation des deniers publics.

Face à cet environnement particulier, l'entreprise économique publique en aspirant la mise en place des conditions d'implémentation de l'économie de marché, s'est trouvée théoriquement obligée de reprendre la manière de gérer son personnel , d'élaguer les fondements sur lesquels s'est constituée la culture organisationnelle inspirée de conceptions d'obédience idéologique socialiste pour s'amarrer sur celles, dont l'essence trouve sa consécration dans la notion de ressources humaines comme principal gisement de l'entreprise.

Cet objectif déclaré, assumé mais sur le terrain non encore réalisé nous interpelle quand bien même les motifs les plus pertinents ont été identifié et attribué à la succession des trois décennies, fait pratiquement l'unanimité. Il n'en demeure pas qu'en dehors de ce qui vient d'être identifié, nous pouvons mettre en exergue d'autres éléments en rapport avec la manière de propager les enseignements du management RH pour encore mieux comprendre les difficultés d'implémentation et les retards enregistrés.

Parler d'enseignement de GRH, de management RH en entreprise publique n'a donc de sens que si la culture organisationnelle est identifiée, que si les objectifs sont bien déterminés, que si les comportements à promouvoir et à éliminer sont identifiés. Pour se faire, l'intérêt devra porter sur l'identification de l'héritage comportemental individuel et organisationnel à éliminer et dans un deuxième temps, la mise en exergue de l'articulation des trois types d'ingénierie, qui sont : l'ingénierie des dispositifs de formation, l'ingénierie de formation et l'ingénierie pédagogique qui fera l'objet d'un article particulier.

La rétrospective historique de l'entreprise publique Algérienne en période d'économie dirigée met en relief quatre étapes : Autogestion -Gestion Publique - Gestion Socialiste des entreprises - Restructuration. II s'avère que globalement les comportements étaient les mêmes, si différence existe, elle n'était que de niveau, en clair , la succession des différentes étapes s'inscrivait dans la même logique, la logique socialiste qui insufflait à l'économie planifiée la même dynamique qui reproduisait les mêmes circonstances donnant aux mécanismes d'adaptation et d'exécution des similitudes et une continuité conforme au cadre et objectif qui peut être ramener, sans usage de raccourci, à être subordonné à l'impératif idéologique.

Après la promulgation des réformes structurelles et le passage à la transition de l'économie socialiste à celle de l'économie de marché, qui semble s'éterniser car déjà veille d'un quart de siècle a de quoi nous interpeller et sonner l'alarme pour urger le processus d'amarrage à l'objectif déterminé, un questionnement légitime nous interpelle : Les comportements professionnels individuels et organisationnels doivent-ils être remis en cause, ont-ils changé ?

Répertorier les changements de comportements des dirigeants, travailleurs et partenaires sociaux des entreprises publiques économiques algériennes et par la même occasion déterminer l'adéquation ou au contraire l'inadéquation de ces comportements d'avec les exigences de l'économie de marché, en constituent les axes essentiels dont les conclusions sont d'une importance capitale pour l'élaboration du contenu et la manière de la formation continue du management RH.

Dans le cadre de cet article, l'attention est focalisée sur l'entreprise publique économique en particulier et la façon dont est instrumentalisée la formation continue de la GRH pour mobiliser les ressources humaines, déterminer les rôles qui lui sont attribuées dans l'architecture organisationnelle et surtout les changements à opérer au niveau des comportements des dirigeants et des travailleurs après l'adoption des réformes économiques depuis les années quatre-vingt-dix du siècle dernier.

L'économie de marché, comme il est admis, implique le caractère autorégulateur du marché loin de toute autre considération de quelle sorte que ce soit, elle met en avance un certain type de relations spécifiques que les dirigeants et travailleurs de l'entreprise publique économique algériennes n'ont pas l'habitude d'intégrer dans leur façon de concevoir la vie professionnelle, d'appréhender le monde de travail, situation qui suppose un travail d'adaptation et parfois de remise en cause de nombreux éléments qui pour beaucoup avaient un caractère définitif et irréversibles de leur comportement; sans compter que l'économie de marché dans son propre environnement, le terreau qui l'a vue naître et se développer , a suscité des transformations d'ampleurs importantes se donnant parfois des allures de révolutions, Michel Lalonde écrivit : «L'économie de marché a imposé la réalité du monde du travail comme une réalité relativement homogène à l'encontre de l'extrême différenciation des statuts traditionnels.(...) mais la conséquence la plus importante réside dans les stratégies de gestion de la main d'œuvre (...) La seconde moitié du XIX ° siècle préside à l'émergence d'une nouvelle fonction , celle du manager professionnel , distincte de celle de l'entrepreneur -propriétaire dans l'association d'affaires et surtout du propriétaire - détenteur d'un bloc d'actions dans la corporation. Le manager intervient dans l'entreprise à titre d'expert en gestion, et comme il émerge à l'occasion de l'augmentation de la complexité des opérations de l'entreprise géante, sa mission première est d'augmenter l'efficacité globale de l'entreprise. Sa tâche a une orientation clairement technicienne : maximiser les profits avec cet instrument qu'est l'entreprise comme organisation. Le manager est le premier spécimen de cette fonction appelée à avoir un si bel avenir. »

Cette double exigence qu'induit l'économie de marché à savoir la nécessité de prendre en considération la gestion des ressources humaines et l'émergence de l'importance de la fonction managériale, si elle est évidente dans les économies d'origines, dans les pays où le capitalisme est structuré et structurant dès les prémices de son évolution, elle le devient davantage avec une pertinence appuyée et une importance capitale en économie en période de transition d'une économie planifiée vers l'économie de marché.

Au niveau théorique et du discours, la prise de conscience de l'importance de la GRH semble être intégrée, reste à savoir si ce repositionnement de la fonction RH et les missions qui lui sont théoriquement imputées trouveront-ils le terreau nécessaire ?

Comment répondre à ces questionnements ? Quel est le garant de la pertinence de la stratégie et de la structure déployée ? Comment s'assurer de la performance globale ? Les réponses résident dans la manière et le contenu de la formation du management RH.

L'étude des comportements des travailleurs et des dirigeants d'entreprise en période de transition à l'économie du marché pose une double difficulté :

- La première revoie à la problématique classique de la difficulté de la réalité psycho - sociologique qui se résume en l'affirmation du caractère fluctuant et subjectif surtout que des transformations structurelles aux plans tant micro que macroéconomique sont sous-jacentes.

- La deuxième difficulté réside dans la conception de la transition à l'économie de marché qui s'est illustrée par une précipitation de se débarrasser de l'ordre existant et une lenteur de mise en place des mécanismes de l'économie de marché en maintenant à l'économie algérienne les caractéristiques de l'économie de rente. Cette conception de la transition s'est limitée essentiellement aux questions relatives à l'assainissement financier réduisant l'approche théorique à l'économie industrielle classique occultant par la même occasion l'importance de la diversité d'approches.

En période de transition l'appréciation quotidienne des choses à la limite de la banalité revêt une certaine spécificité due à l'articulation de l'opposition de deux phénomènes à savoir la résistance du changement et en même temps la volonté de vouloir faire autrement avec l'appréhension de l'erreur, de la peur des égarements passés ou du moins considérés comme tels , de l'excès de vouloir faire autrement , véritable écueils qu'il devient impérieux de dépasser ,de les dégommer , de les exposer comme authentiques contre-indications à toute entreprise de modernité.

La revue des comportements individuels et organisationnels en vigueur en entreprise publique algérienne durant la période de l'économie dirigée et après la promulgation des réformes structurelles a permis de mettre en exergue un dénominateur commun à tous les intervenants et partenaires de l'entreprise à savoir que les intérêts ne convergent pas, de même que l'absence de sens pour la notion de travail et d'entreprise est flagrante.

Deux pistes urgentes et d'intérêts plus que vitaux que la formation continue du management RH doit prendre en considération. En effet, l'intérêt, ou l'objectif recherché tant par les pouvoirs publics, propriétaire des entreprises économiques, que par les travailleurs se situe en dehors de l'entreprise économique. Pour les travailleurs, l'entreprise n'est rien d'autre qu'un simple lieu garantissant un revenu permanent, quant au pouvoir politique, elle constitue un prolongement privilégié pour renforcement de l'idéologie en place et la concrétisation des objectifs économique suivant une rationalité illimitée mue par la logique de service public non forcement concernée par les exigences de rentabilité économique.

Vaste chantier et préoccupations d'importances capitales que la formation continue du management RH se doit de s'y atteler et de concrétiser.

*Professeur