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Pour une paix verte: Retrouver les Petits Cycles de l'eau pour sauver notre Sahara

par Elhabib Benamara

Dans un Maghreb de plus en plus assoiffé, l'eau n'est plus seulement une ressource : elle est devenue un révélateur de fragilités communes, un marqueur de tensions, et peut-être - si un choix collectif s'opère - le point de départ d'une nouvelle ère de coopération écologique.

Un territoire fragilisé par la rupture des équilibres hydrologiques

Dans le Sud-Ouest algérien, là où les reliefs de l'Atlas saharien rencontrent les vastes étendues désertiques, l'eau a longtemps constitué l'élément structurant des paysages, des systèmes oasiens et de l'occupation humaine. Aujourd'hui, ces équilibres sont profondément perturbés par les changements climatiques : raréfaction des précipitations, irrégularité des saisons, épisodes de sécheresse sévère suivis de crues brutales. Ces phénomènes affectent l'ensemble du Maghreb. Les oueds qui alimentent Béchar, Kenadsa ou Abadla présentent des écoulements de plus en plus irréguliers, révélant un cycle hydrologique mis sous pression croissante. La modification des écoulements naturels en amont, notamment sur le versant marocain du Haut Atlas, a fragilisé un équilibre hydrologique déjà mis à rude épreuve par la sécheresse prolongée, conformément aux analyses avancées par plusieurs institutions nationales.

Le barrage de Jorf Torba en fournit l'illustration la plus marquante : resté presque vide pendant deux années consécutives, il s'est rempli de manière spectaculaire lors des crues exceptionnelles de 2024. Pourtant, durant sa période de sécheresse, aucun dévasement profond n'a été entrepris pour restaurer sa capacité maximale. Cette absence d'entretien stratégique montre un point crucial : ce n'est pas uniquement la pluie qui manque, mais la capacité du territoire à retenir et valoriser l'eau disponible, ou future.

Restaurer les petits cycles de l'eau: la clé de la résilience

Les paysages oasiens vivaient autrefois grâce à un cycle local finement régulé : infiltration lente, recharge progressive des nappes, humidité du sol maintenant la végétation et les microclimats.

Aujourd'hui, ce cycle est rompu. Les sols dégradés absorbent mal l'eau, les pluies ruissellent sans pénétrer, la végétation recule, et les conditions arides s'intensifient.

Restaurer les petits cycles de l'eau devient donc la priorité absolue pour stabiliser les écosystèmes, renforcer la sécurité hydrique et lutter contre la désertification.

Trois leviers pour une stratégie nationale de souveraineté hydrique

1. Valoriser les eaux usées grâce à la phytoépuration

Dans les régions arides, les eaux usées domestiques représentent une ressource hydrique à part entière.

La phytoépuration - technologie naturelle fondée sur les plantes filtrantes-permet de :

- réduire l'exploitation des nappes,

- irriguer une agriculture de proximité,

- reverdir des espaces dégradés,

- créer des îlots de fraîcheur.

Simplicité, faible coût, robustesse : cette solution convient parfaitement aux zones sahariennes et rurales.

2. Réaménager le territoire pour qu'aucune goutte ne se perde

La résilience hydrique ne repose pas seulement sur les grands barrages, mais sur une multitude de micro-aménagements :

- seuils d'infiltration,

- diguettes en pierre,

- micro-barrages,

- bassins de rétention naturels,

- zones d'infiltration et mares temporaires,

- techniques de recharge artificielle des nappes.

Ces dispositifs réduisent le ruissellement, restaurent les sols, reconstituent l'humidité locale et ramènent la vie dans les paysages.

L'absence de dévasement du barrage de Jorf Torba durant sa période de sécheresse révèle combien la gestion fine des infrastructures est essentielle pour maximiser la capacité de rétention et de stockage.

3. Envisager l'ensemencement des nuages comme outil complémentaire

L'ensemencement des nuages, déjà utilisé dans plusieurs pays arides (Arabie Saoudite, Émirats, Chine), constitue un levier pour optimiser les précipitations.

L'Algérie dispose :

- d'un vaste territoire montagneux et saharien,

- de couloirs de circulation atmosphérique favorables,

- d'une infrastructure de barrages capable de stocker d'importants volumes d'eau.

Intégré dans un plan national coordonné, ce dispositif pourrait renforcer la sécurité hydrique, à condition de s'accompagner d'une gestion intelligente des bassins et de leur entretien.

La récupération des eaux pluviales : un changement culturel avant tout

La crise hydrique est aussi culturelle. La résilience dépend de notre capacité à considérer chaque toit, chaque rue, chaque édifice comme une surface de captation de l'eau.

Un symbole puissant illustre ce principe :

le jour où les eaux de pluie tombant sur les terrasses des mosquées- où l'on invoque officiellement Dieu pour donner ces pluies- seront récupérées au lieu d'être dirigées vers les égouts, un cap civilisationnel aura été franchi.

Les eaux des ablutions-déjà faiblement chargées-peuvent être traitées par des procédés simples, puis utilisées pour :

- irriguer les jardins,

- alimenter les arbres d'ombrage,

- soutenir des circuits urbains économes en eau.

La souveraineté hydrique commence par ce geste élémentaire : retenir l'eau là où elle tombe.

Réanimer les paysages : une stratégie nationale intégrée

Préserver durablement les territoires sahariens et pré-sahariens implique :

- la restauration des sols dégradés,

- la revitalisation des systèmes oasiens,

- la réhabilitation des foggaras et khettaras,

- la captation locale de l'eau,

- la diffusion lente de l'humidité,

- la collaboration entre institutions, scientifiques, collectivités et communautés locales.

Il s'agit d'une démarche écologique, technique, politique et civilisationnelle.

Conclusion : reconstruire la pluie, pas seulement l'attendre

Face au changement climatique, la question n'est plus de subir les sécheresses, mais de recréer les conditions naturelles qui permettent à l'eau de revenir, s'infiltrer et faire revivre les écosystèmes.

L'Algérie possède les compétences, le territoire et les technologies pour devenir un modèle régional de régénération hydrique.

Le reverdissement progressif du Sahara, la renaissance des oasis et la souveraineté hydrique ne relèvent pas de l'utopie, mais d'une vision stratégique fondée sur un principe simple :

Faire en sorte que chaque goutte compte.

Le Maghreb peut encore choisir la Paix Verte.

Et l'Algérie peut en être la pionnière.