|
Sahara occidental : le mirage diplomatique d'un Occident en guerre froide
par Salah Lakoues Sous couvert de diplomatie,
la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU sur le Sahara occidental consacre
une fracture mondiale entre l'Occident et le Sud global.
Derrière la prorogation du mandat de la MINURSO se cache une bataille d'influence où les médias occidentaux, par leurs silences et leurs biais, légitiment le récit dominant d'un Maroc victorieux, au détriment du droit du peuple sahraoui à l'autodétermination. Entre retour assumé de la guerre froide et tensions maghrébines persistantes, la paix régionale s'éloigne, tandis que la décolonisation reste suspendue. Sahara occidental : sous les projecteurs d'une guerre froide médiatique et diplomatique Le récent vote du Conseil de sécurité des Nations unies sur le Sahara occidental, présenté dans les grands médias occidentaux comme une « victoire diplomatique du Maroc », révèle bien plus qu'un simple rapport de forces régional. Il illustre la résurgence d'une logique de guerre froide, où la vérité diplomatique s'écrit moins dans le droit international que dans la puissance du récit médiatique. Derrière la prorogation du mandat de la MINURSO jusqu'au 31 octobre 2026, se dessine une bataille d'influence mondiale où la question sahraouie devient le miroir des fractures entre l'Occident et le monde multipolaire. Un vote sous haute tension diplomatique Adoptée par 11 voix contre 0, avec trois abstentions majeures - la Chine, la Russie et le Pakistan -, la résolution a été rédigée sous l'impulsion des États-Unis, principaux parrains du plan d'autonomie marocain. Ce texte qualifie la proposition marocaine de « solution la plus réaliste », sans pour autant trancher la question de fond : celle de la décolonisation inachevée du Sahara occidental et du droit du peuple sahraoui à l'autodétermination. Pour les défenseurs du droit international, notamment l'Algérie et plusieurs pays du Sud global, ce vote marque un dangereux précédent. Il transforme une question historique de décolonisation, reconnue par l'ONU depuis 1963, en une simple négociation politique entre deux États, évacuant le rôle central du peuple sahraoui, seul détenteur légitime du droit à décider de son destin. Une MINURSO prolongée mais fragilisée La prorogation d'un an du mandat de la MINURSO, au lieu des trois mois initialement proposés, a été saluée comme un compromis nécessaire pour maintenir la paix fragile dans la région. Le texte final insiste sur le respect du cessez-le-feu et appelle à la retenue. Plus significatif encore, la menace de mettre fin à la mission a été retirée et remplacée par une « révision stratégique » de son mandat, confiée au Secrétaire général. En apparence, cette décision préserve la stabilité. En réalité, elle traduit un équilibre précaire : d'un côté, la volonté d'éviter une escalade militaire ; de l'autre, la tentation occidentale d'orienter la mission vers une reconnaissance de fait du plan d'autonomie marocain. Ce glissement sémantique n'est pas neutre : il tend à vider la MINURSO de sa vocation originelle, celle d'organiser un référendum d'autodétermination prévu depuis 1991. Les médias occidentaux : entre silence complice et narratif biaisé Dans cette bataille diplomatique, le rôle des médias occidentaux est loin d'être secondaire. Le ton dominant, souvent favorable au Maroc, réduit la question sahraouie à un affrontement géopolitique Maroc-Algérie, occultant les fondements juridiques et humains du conflit. Les violations des droits du peuple sahraoui, la répression des militants, les restrictions imposées aux journalistes dans les territoires occupés sont rarement relayées par les grands médias, quand elles ne sont pas purement passées sous silence. Ce biais systémique relève d'une double logique. D'abord, d'une realpolitik assumée, qui considère le Maroc comme un partenaire clé dans la lutte antiterroriste, la gestion migratoire et les intérêts économiques européens. Ensuite, d'une vision néocoloniale qui tend à délégitimer la parole sahraouie, souvent perçue comme idéalisée ou instrumentalisée par Alger. Les grands médias, en relayant la lecture occidentale du Conseil de sécurité, ont ainsi construit un récit politique : celui d'un Maroc « pragmatique et modernisateur » opposé à une Algérie « rigide et idéologique ». Ce manichéisme médiatique a pour effet d'effacer le peuple sahraoui de sa propre histoire. La question n'est plus « qui a droit à l'autodétermination ? », mais « qui a gagné la bataille diplomatique ? ». 2025 : le retour assumé de la guerre froide Ce vote, plus qu'un acte technique, s'inscrit dans un contexte mondial marqué par un retour assumé de la guerre froide. Depuis la guerre en Ukraine et la montée des BRICS, les rapports de force mondiaux se recomposent. L'Afrique, et particulièrement le Maghreb, devient un terrain stratégique où s'affrontent deux visions du monde : celle d'un Occident atlantiste, attaché à maintenir ses sphères d'influence, et celle d'un Sud global qui revendique un nouvel équilibre multipolaire fondé sur le respect du droit international. Dans ce cadre, le Sahara occidental devient plus qu'un conflit régional : un symbole de résistance au déséquilibre international. Les abstentions de la Chine, de la Russie et du Pakistan traduisent ce refus d'adhérer à une lecture occidentale du droit, tandis que plusieurs pays africains et latino-américains dénoncent la politisation du Conseil de sécurité au profit d'intérêts géopolitiques. Un vote occidental à haut risque pour la stabilité régionale En adoptant une position favorable au plan d'autonomie marocain, les pays occidentaux ont pris le risque de déséquilibrer durablement le Maghreb. Le message implicite envoyé par cette résolution est clair : les principes du droit international peuvent être écartés lorsqu'ils contredisent les intérêts stratégiques occidentaux. Cette approche, jugée cynique par plusieurs observateurs, alimente la méfiance d'Alger, qui voit dans ce vote une tentative de légitimer une occupation sous couvert de réalisme diplomatique. Cette tension compromet toute perspective d'ouverture des frontières terrestres entre l'Algérie et le Maroc, fermées depuis 1994. La défiance politique s'en trouve renforcée, rendant improbable la relance du projet d'intégration maghrébine, pourtant vital face aux défis du Sahel, du changement climatique et de la transition énergétique. Ce vote, loin de stabiliser la région, risque au contraire d'envenimer les rapports entre les deux puissances du Maghreb et de renforcer la dépendance des États nord-africains vis-à-vis des puissances extérieures. Entre paix apparente et décolonisation suspendue La prorogation du mandat de la MINURSO masque mal une impasse politique. Le processus onusien, autrefois garant d'un cadre neutre, s'enlise sous la pression des puissances occidentales, qui privilégient la stabilité à court terme au détriment du droit à long terme. Cette politique du compromis diplomatique traduit une réalité : le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui est désormais relégué au second plan, remplacé par un « pragmatisme » qui sert avant tout les intérêts géostratégiques du Nord. Pourtant, l'histoire montre que toute paix durable passe par la justice. En niant au peuple sahraoui son droit de choisir librement son avenir, la communauté internationale prend le risque de transformer le Sahara occidental en un conflit gelé, où la frustration politique se nourrit du sentiment d'abandon. Le Sahara occidental, miroir du monde Le dossier du Sahara occidental révèle aujourd'hui la crise du multilatéralisme et le basculement du monde vers une ère d'affrontements idéologiques voilés. Sous couvert de diplomatie, le Conseil de sécurité agit comme un théâtre d'influence, où chaque puissance joue sa partition. Et pendant que les résolutions s'enchaînent, le peuple sahraoui demeure sans voix, ni urne. Les médias occidentaux, en relayant une vision sélective et partiale de ce conflit, participent à cette invisibilisation. En réduisant le Sahara occidental à une question bilatérale, ils trahissent l'esprit du droit international et contribuent à figer une injustice historique. La vérité, pourtant, demeure simple : tant que le peuple sahraoui n'aura pas été consulté, la décolonisation du Sahara occidental restera une promesse inachevée, et la paix au Maghreb, un mirage. |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||