|
Quand la France rejoue «Nostalgérie»: Chronique d'une obsession coloniale
par Laâla Bachetoula Le 30 octobre 2025, la France
s'est offerte un grand moment de théâtre national : à défaut de soigner son
pouvoir d'achat, elle a décidé de s'attaquer... aux certificats de résidence
des Algériens. Rien de moins.
Une victoire à une voix près (185 contre 184) : le premier texte du Rassemblement National adopté à l'Assemblée nationale. Et devinez sur quoi ? Sur l'Algérie, bien sûr. Comme toujours, quand la France doute d'elle-même, elle convoque son miroir colonial. C'est sa manière de se sentir encore puissante. On dit souvent que l'Histoire bégaie. En France, elle radote. Ce débat sur les accords franco-algériens de 1968 n'a rien d'administratif. C'est un exorcisme collectif : la France tente d'effacer, par un vote symbolique, 132 ans de domination, de spoliation et d'humiliation. Derrière les discours sur «l'égalité républicaine», il y a le refus obstiné d'assumer la défaite coloniale. Le RN, héritier des colons de l'OAS, retrouve son vieux terrain de jeu : l'Algérie, cette obsession qui hante encore les bancs du Palais Bourbon. Ces accords ne sont pas un cadeau. Ils sont la traduction minimale d'une responsabilité morale et historique : celle d'un pays qui a exploité nos terres, nos hommes et nos richesses, puis voulu réparer un peu la blessure. Les dénoncer aujourd'hui, c'est comme si un voleur demandait au juge de «renégocier» son repentir. Car derrière chaque ligne de ces accords, il y a le sang, la sueur et la mémoire de millions d'Algériens. Les députés qui parlent de «régime dérogatoire inégalitaire» oublient ceci: - L'Algérie a été départementalisée - donc française - pendant 132 ans. - Les Algériens ont payé l'impôt, servi dans les armées, construit les routes et les ports d'un pays qui les traitait en indigènes sans droits. - La France n'a pas seulement colonisé un territoire, elle a tenté de coloniser une âme. Alors oui, 57 ans après, voir des élus français s'indigner qu'un Algérien puisse obtenir un titre de séjour de 10 ans plutôt que 5 relève d'une indécence historique. Quand Paris parle d'égalité, Alger se souvient de la guillotine L'égalité républicaine n'a jamais franchi la Méditerranée. On guillotinait des résistants à Barberousse pendant qu'on parlait de «valeurs universelles» à Paris. On torturait à El Biar pendant que la IVe République votait des décrets sur la fraternité. Et aujourd'hui, les héritiers politiques de ces contradictions votent contre des accords qui n'ont fait que reconnaître, timidement, une histoire partagée. Ce vote n'est pas dirigé contre l'Algérie d'aujourd'hui, mais contre la France d'hier-celle qui n'a jamais digéré son départ. Ce rejet des accords de 1968, c'est la revanche posthume de ceux qui criaient «L'Algérie, c'est la France» et qui n'ont jamais accepté que l'Algérie soit devenue elle-même. Marine Le Pen peut parler de «victoire historique», mais elle ne fait que réveiller un cadavre politique : celui du colonialisme refoulé. Du côté algérien, on regarde tout cela avec une certaine lassitude. Car l'Algérie n'est plus le pays dépendant de 1968. Elle est souveraine, debout, consciente de ses failles mais fière de sa trajectoire. Les jeunes d'aujourd'hui ne rêvent plus de «visa» mais de valeur, de créativité, de dignité chez eux. Ceux qui partent ne cherchent pas la France, mais un monde ouvert. L'Algérie regarde vers l'Afrique, vers l'Asie, vers la Méditerranée nouvelle. Pendant que la France, elle, regarde encore dans le rétroviseur. LR, Horizons et RN ont voté ensemble. C'est moins une coalition politique qu'une union sacrée de l'hypocrisie : celle d'une élite française qui parle d'universalisme mais pratique la peur de l'Autre. Ils savent pourtant que la France a besoin des travailleurs maghrébins, des médecins algériens, des ingénieurs venus d'Oran, de Constantine ou de Tizi Ouzou. Mais il est plus facile d'agiter le drapeau de la peur que de réparer l'ascenseur social. Ce vote n'aura aucune conséquence juridique réelle. Mais il ravive une plaie symbolique. C'est un geste qui dit : «Nous ne voulons plus de votre mémoire dans la nôtre.» Or cette mémoire est indissociable. L'Algérie est dans la langue, dans les rues, dans les musiques, dans les visages de France. Effacer l'Algérie, c'est effacer une partie de la France elle-même. Ce 30 octobre 2025 restera comme le jour où la France s'est battue contre son propre passé. Mais l'Algérie, elle, n'a plus besoin de reconnaissance. Elle demande simplement le respect - respect de son histoire, de sa dignité, de son peuple. Ce qui lie en core les deux pays n'est plus la dépendance, mais la mémoire partagée - celle qu'aucun vote ne peut abolir. Et si l'Histoire a parfois le sens de l'ironie, elle a aussi celui de la justice : l'Algérie a survécu à l'Empire ; la France, elle, semble toujours prisonnière de son fantôme. |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||