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Journaliste : le plus beau métier du monde, mais...

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Journalisme à bout de souffle. El Descamisado. Récit - essai de Ricardo Grassi. Editions Dalimen et Bibliothèque nationale, Alger 2023, 396 pages, 2.400 dinars. (Traduction de l'espagnol par Odile Begué Girondo. Et, 1ère édition à Buenos Aires en 2015)

La grande aventure non seulement d'un homme, journaliste et homme de communication jusqu'au bout des ongles, militant progressiste impénitent, péroniste de gauche, mais aussi et surtout celle d'un journal, un hebdomadaire. Un titre («El Descamisado», les «Sans chemises») qui a essayé, contre vents et marées, de durer (63 semaines précédant «la plus brutale des dictatures militaires argentines») tout en maintenant sa défense d'idéaux révolutionnaires dans une Amérique latine en pleine effervescence réactionnaire, faisant et défaisant les pouvoirs (en Argentine, au Chili, au Paraguay, au Brésil, en Uruguay... dans le cadre concerté du Plan Condor) au sein d'une politique générale néo-impérialiste défendant, souvent à coups de massacres de manifestants ou d'assassinats d'opposants, simples militants, journalistes et aussi des dirigeants politiques, surtout ceux de gauche, les intérêts affairistes et mercantiles tout particulièrement étrangers.

En cinquante-trois ans, l'Argentine a connu, par le passé, jusqu'à vingt-cinq gouvernements militaires, un dictateur tous les dix-neuf mois pour renverser radicaux, péronistes, radicaux du peuple, radicaux intransigeants, développementalistes et supprimer les personnes et les libertés. 1966 a connu la déraison d'une dictature encore plus arrogante récoltant, selon l'auteur «un magnicide et la lutte armée» et, le 24 mars 1976, on a eu la dictature encore plus sanglante du général Videla (qui employa des anciens militaires français et des membres de l'OAS)

Note : Juan Domingo Perón, né en 1895 dans la province de Buenos Aires, était un militaire, homme d'État et écrivain) argentin. Il a fondé le justicialisme, un courant populiste avec des tendances autoritaires. Il a été président de l'Argentine (1946-1955), marquant l'histoire politique du pays. Sa première élection présidentielle de 1946 a été la plus féconde du justicialisme. Sa seconde épouse, Eva, «Evita», morte d'un cancer à l'âge de 33 ans, durant le premier mandat de Juan Peron, 1946-1955 a été alors la «madone des déshérités argentins». Une véritable légende vivante ! Exilé à Madrid, il est revenu au pouvoir en octobre 1973 pour décrocher un troisième mandat. Perón est décédé le 1er juillet 1974 à Buenos Aires. Selon l'auteur, le pays était alors «dirigé», en fait, par sa troisième épouse Isabel et ce depuis le 29 juin. Malade, il lui avait temporairement «délégué» la présidence. Les anciens de «Descamisado» créèrent d'abord «El Peronista» (fermé en mai 1974, au bout de six numéros) puis «Noticias», une nouvelle revue défendant le mouvement Montenero (du péronisme révolutionnaire que Perón lui-même voulait «exterminer», une organisation légendaire, surtout après l'exécution du dictateur Aramburu) journal rapidement interdit de parution.

L'Auteur : Journaliste argentin, vivant à Rome depuis son départ en exil. Carrière en Amérique latine, en Europe et à partir de 2003 en Afghanistan (responsable du secteur Communication et Information du bureau de l'Unesco à Kaboul, de 2025 à 2020).

Couverture. Conception graphique : Daniel Iglesias (photos de la manifestation sur la Place de mai, en 1973 et de l'auteur se protégeant des balles sur la tribune de réception de Perón, le 20 juin 1973).

Extraits : «L'éducation officielle est «bancaire» : un enseignant dépose dans la tête de l'enseigné des concepts qui sont abstraits car ils ne correspondent pas à sa réalité quotidienne. De sorte que, dans l'acte d'enseigner, le maître et l'élève n'ont pas de contact entre eux, aucun ne remet l'autre en question et la matière de la vie réelle -comment sont vraiment les choses-reste l'autre côté de la porte» (Paulo Freire, Brésilien cité, p 48), «Perón était un homme de routine et de discipline» (p 54), «Les numéros zéro (note : d'un journal) sont, comme au théâtre, des répétitions générales de costumes, où le costume consiste à produire en tenant compte des bouclages convenus avec l'imprimerie et comme si le numéro parvenait réellement au public. Le premier zéro est toujours une inconnue» (p 87), «Plus tard, les militaires français (et des membres de l'OAS) se virent attribuer un bureau au Commandement général de l'armée argentine et dispensèrent une formation aux militaires dont Videla était le chef» (p 129), «C'est (Perón) un homme orgueilleux que tout intéresse du moment que c'est lui qui commande ; sinon, ça lui est indifférent. Il n'admet pas les dissensions. Il s'en fout de votre soutien et il préfère les crétins» (Propos de Palomo Linares cité, un vétéran, p 139), «L'histoire de l'impérialisme est l'histoire du continent américain- «la «Patria Grande» - et l'histoire de notre patrie. Ce sont 450 années de guerre» (p151), «Dans sa propriété, à Madrid, Perón possédait trois beaux dindons que les visiteurs pouvaient difficilement ignorer (....). Les noms changeaient au gré des circonstances politiques» (p183), «Il est troublant d'écouter le récit d'une mort violente. Les juges et les avocats le savent, avant de s'endurcir. De même, certains confesseurs et psychanalystes. Bien que le métier (note : journalisme) nous protège, les mots vont, en s'accumulant là où ils pèsent le plus, au creux de l'estomac. Pour les libérer, il faut toujours se mesurer au langage» (p309)

Avis - La vie quotidienne, bien peu tranquille d'un journaliste «révolutionnaire» (de la gauche péroniste) s'opposant aux dictatures, en Argentine spécialement. Des détails à n'en plus finir, et des leçons de journalisme engagé (assez utiles) à la hauteur de la grosseur du document et du prix de vente public. Un livre au contenu intéressant, passionnant même pour les seuls lecteurs d'Amérique du Sud. En Algérie, peu utile bien qu'instructif ! Et, on ne voit pas pourquoi il a été édité en binôme par la Bn d'Algérie, la coopération culturelle n'excusant pas tout.

Citations : «Nous sommes normaux, c'est la réalité qui est extraordinaire» (Propos d'un photographe de presse du journal «Le Desca», p 23), «La chimère des dictateurs est aussi un drame, car défendre un ordre inique avec brutalité ; sans hésiter à tremper dans le sang et le mensonge, en est un» (p 24), «Un militant n'est pas un politique ; il s'engage pour une cause dont il n'attend rien d'autre que la joie que lui procure le sentiment de construire collectivement quelque chose de nouveau donnant un sens à sa vie. Ce sont les circonstances qui qualifient de militantisme ce qui devrait être la façon de vivre : ensemble, au bénéfice de tous» (p27), «La mémoire, outre sa fragilité, peut être fantaisiste en reconstituant des faits qui dessinent le fil qui oscille entre ce que nous sommes ou croyons être et ce que nous avons créé» (p28), «Les armes font peur mais elles ont pouvoir de séduction. A force de les chausser et de les nettoyer, on finit par les aimer, voire même par éprouver un manque si, en sortant, on ne les sent pas collées au corps» (p156), «Il y a, d'après lui (note : Perón), dans tout mouvement révolutionnaire, les pressés «qui pensent que tout va lentement» et les «attardés», «qui font tout leur possible pour que cette révolution n'aboutisse pas. Il situa entre les deux options l'équilibre de l'action politique, la sienne» (p200), «Ecoutez, docteur, les hommes politiques, si ce sont des hommes politiques, ne doivent jamais dire non. Et les dames, si elles le sont, ne doivent jamais dire oui. Par conséquent, je ne sais pas dire non». Une manière élégante de suggérer que les hommes politiques sont des prostituées (Perón, lors d'un malaise, cité, pp 292 et 293), «Les lois du journalisme et celles de la politique répondent à des motivations différentes. Elles coïncident quand le politicien accepte la confrontation, avec le ferme espoir de sortir gagnant» (p316), «Le plus grand exil ? «non celui d'un territoire, mais l'exil de faire avec d'autres quelque chose de puissant» (p390).



Jubilé de diamant. 60ème anniversaire de la création du quotidien El Moudjahid. Volume 1. Numéro hors-série. El Moudjahid, Alger juin 2025, 130 pages.



A travers le gros lot de «papiers», on a presque toute l'histoire de la presse nationale et du journalisme algérien, tout particulièrement à partir du 22 juin 1965, date de création officielle et publique du journal, une création décidée bien avant le 19 juin (note : La fusion Le Peuple-Alger Républicain, avec pour titre El Moudjahid, a été annoncée déjà le 6 juin 1965 par H. Zahouane, alors président de la Commission orientation du Bp du Fln).

Il faut, bien sûr ne pas trop confondre avec El Moudjahid-Historique, lequel, créé en 1956 par le Fln, d'abord en français, au plus fort de la Guerre de libération nationale, dirigé par Redha Malek, s'était arrêté juste après l'indépendance (juillet 1964 ?) après quelques numéros tirés à Tunis et à Constantine et seul l'hebdo en langue arabe avait continué de paraître en tant qu'organe central du parti du Fln, cessant de paraître en 2016. Une histoire extraordinaire racontée du dedans qui remet les «pendules à l'heure».

Tout un «récit», à prendre en considération par les historiens de la presse citant les quotidiens francophones Le Peuple et Alger Républicain, le Pca, Le Congrès du Fln d'avril 1964, le Comité central du Fln, Saïd Amrani, Kaddour Belkacem, Abdelhamid Benhamida, H. Zahouane, Louanchi, Chérif Belkacem et bien d'autres personnages et, surtout, ce qui est important, tous ceux qui, un moment ou longtemps, ont «fait» le journal, souvent dans des conditions techniques, sociales et politiques difficiles : administrateurs, journalistes, documentalistes, photographes, personnels de soutien, techniciens, aujourd'hui décédés, ou encore en vie, retraités ou encore en activité. Des lieux et des noms pour la plupart inoubliés et inoubliables !

Table des matières : la lettre du Ministre/Editorial (PDG, directeur de la publication)/La naissance du quotidien national/Dans son intimité rédactionnelle/Hommage aux martyrs du devoir national/ El Moudjahid durant la décennie noire/ Siège d'El Moudjahid/Abderrahmane Selmani, Documentaliste/El Moudjahid et le monde universitaire/ Décennie 1980/ Ils étaient les pionniers de l'impression/Mondial 1982/ De notre correspondant/ Quotidien El Moudjahid, une école/ Le Panaf 1969/ Le forum du journal El Moudjahid/ De l'imprimerie à l'Université/ Fouad Soufi, historien et archiviste/Un petit tour au journal.

Avis - Diffusion limitée et gratuite. Dommage ! Du très beau travail. Il faut seulement espérer voir les autres organes de presse (publics et privés, lourds et légers) suivre l'exemple et adopter cette démarche instructive de la mémoire et du souvenir.

Documents à signaler : Le «papier», p 11 à 16, d'un directeur emblématique du journal (1971-1980 puis 1983-1990), en l'occurrence Nourredine Naït Mazi (publié le 11 septembre 1997, l'occasion du n°10.000) qui raconte «la naissance du quotidien national, une gestation momentanée pour un accouchement prématuré». Il y a, aussi, le récit du premier directeur général du journal, Rafik-Bey Bensaci qui raconte (El Moudjahid du lundi 23 juin 2025, p 6) les circonstances de sa désignation «inattendue», par feu Houari Boumediène et Bachir Boumaza, ce dernier alors ministre de l'Information et de la Culture après le «Réajustement révolutionnaire», ou «coup d'Etat», c'est selon, du 19 juin 1965.