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Boualem Sansal ou la construction d'un faux dissident

par Salah Lakoues

Je me permets aujourd'hui de publier cette tribune, car Boualem Sansal vient d'être condamné définitivement par la Cour d'appel d'Alger. Jusqu'ici, je m'étais volontairement abstenu d'intervenir publique        ment à son sujet, afin de ne pas donner l'impression d'un acharnement personnel. Mais le moment est venu de rétablir certains faits face à un récit qui a longtemps trompé, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Algérie.

Une imposture à Davos

Dans une vidéo devenue virale, Boualem Sansal affirme avoir été le premier représentant officiel de l'Algérie au Forum de Davos en 1997, à l'invitation personnelle d'un certain « Nicolas Borreti », présenté comme le « directeur général du forum » et son ami. Or, les faits historiques contredisent catégoriquement cette version. En 1997, l'Algérie était plongée dans la décennie noire, marquée par des violences et un isolement diplomatique. Ce contexte a empêché toute représentation officielle algérienne à Davos, cette année-là. Les archives du Forum économique mondial confirment que l'Algérie n'y a pas participé en 1997, contrairement à ce que prétend Sansal. Son récit d'une invitation personnelle par un certain « Nicolas Borreti » (personnage inexistant dans les archives du Forum) et de rencontres secrètes avec le ministre israélien Dan Meridor ne repose sur aucune source indépendante ni officielle. Pire encore, l'Algérie était déjà représentée officiellement à Davos, dès 1992, par Sid Ahmed Ghozali, alors Premier ministre, désigné par le Président Mohamed Boudiaf. Ce fait, cité notamment dans le journal ‘L'Humanité', réfute l'affirmation de Sansal d'avoir été le premier Algérien convié à Davos.

Une biographie personnelle taillée pour séduire

Dans un autre registre, Boualem Sansal aime évoquer une histoire familiale forte en symboles : sa mère, abandonnée par son père, serait arrivée seule à Alger, hébergée par un rabbin. Une anecdote qui vise à incarner un message de coexistence et de tolérance. Mais à Belcourt, les anciens se souviennent d'une autre réalité : c'est une femme algérienne, voisine d'Albert Camus, qui l'aurait recueillie. Là encore, une version simplifiée, plausible, et largement connue localement — bien différente du récit élaboré pour les auditoires occidentaux.

Jamais censuré, jamais inquiété

Contrairement à l'image qu'il cultive de penseur persécuté, Sansal n'a jamais été censuré, ni inquiété par l'État algérien :

Ses livres ont toujours été publiés librement à l'étranger, et souvent disponibles dans les librairies algériennes. Après son voyage en Israël, en 2012, aucune interdiction de publication ou restriction administrative ne l'a frappé.

Il a continué à voyager, à publier, à s'exprimer dans les médias français et européens, sans entrave. Un épisode mérite d'être rappelé : lors du séisme de Boumerdès, en 2003, Boualem Sansal avait été porté disparu. Les autorités algériennes ont alors diffusé à la télévision nationale un appel officiel pour le retrouver.

Quelle « dictature » protégerait ainsi un prétendu dissident, sinon un citoyen bénéficiant de toute la considération d'un État ?

Une figure façonnée pour plaire à l'Occident

Sansal incarne une figure familière : l'intellectuel arabe acceptable, celui qui critique l'Algérie, l'islam politique, la mémoire coloniale, et se présente en héritier éclairé des Lumières. Ce personnage correspond parfaitement à une certaine attente idéologique en France et en Europe, où il devient : Une voix légitimée pour attaquer l'histoire du FLN,

Un outil rhétorique contre les mouvements de libération du Sud global. Et un écrivain médiatisé qui raconte ce que les élites veulent entendre. Mais ce rôle repose sur une fiction soigneusement entretenue, et non sur une réalité d'oppression, d'exil ou de censure.

Le masque tombe

Aujourd'hui, avec sa condamnation définitive par la justice algérienne, la figure de l'intouchable vacille. Ce n'est pas un écrivain muselé que nous voyons, mais un intellectuel libre, promu pour ses discours bien calibrés, déconnectés des réalités qu'il prétend dénoncer. Ses affirmations sur Davos, sa biographie personnelle, sa posture publique... tout montre une stratégie de narration, et non une expérience de résistance. Il est temps de déconstruire le mythe, de rétablir la chronologie réelle des faits, et de poser les bonnes questions sur les intérêts que sert cette figure médiatique fabriquée. La fiction est une démarche consciente et créative, un outil puissant pour explorer et transmettre des idées, des émotions et des vérités profondes. La mythomanie, en revanche, relève d'un trouble où la personne ment de manière compulsive, sans contrôle ni intention artistique. Il est donc essentiel, surtout dans les récits autobiographiques ou historiques, de distinguer clairement ce qui relève d'un choix littéraire assumé et ce qui pourrait être une déformation pathologique de la réalité. Cette distinction protège à la fois la crédibilité de l'auteur et la confiance du lecteur.