Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le scandale du nucléaire israélien

par Djamel Labidi

Notre dernier article (*) parlait de l'arbitraire du monde actuel. Rien ne le révèle mieux que le tabou qui entoure le nucléaire israélien. Alors que la bombe nucléaire israélienne est, elle, une réalité concrète, présente, effective, c'est l'Iran, qui est agressé, bombardé, persécuté, harcelé pour un projet nucléaire virtuel, seulement soupçonné». Même les nouvelles forces émergentes mondiales, pourtant partisanes de relations internationales démocratiques, basées sur l'égalité entre nations, semblent complices de ce monde absurde.

Ici, on atteint un dérèglement de la pensée, de la morale, de la raison, de la logique tout court. Il y a, à ce sujet, une sorte d'omerta, de conspiration du silence. Seule l'Algérie a eu le courage récemment de briser ce silence. Elle l'a fait, le 25 juin, en pleine session du Conseil de sécurité, par la voix de son ambassadeur, Amar Bendjama qui a interpellé (1), le Conseil, sur ce «deux poids deux mesures», concernant le nucléaire israélien, et a prôné «une zone dénucléarisée», au Moyen-Orient. Il est allé jusqu'à s'interroger sur les raisons pour lesquelles Israël n'était pas soumis, lui aussi, à des inspections de l'AIEA. Et suprême audace, dans ce monde à deux vitesses, il est allé jusqu'à demander «une application totale et équilibrée» en matière de sanctions.

Une terreur idéologique

Sur ce sujet, du nucléaire israélien, il y a un travail remarquable qu'on se doit de consulter pour qui veut connaitre, de façon exhaustive, la question. Il s'agit d'une thèse intitulée: « Israël et sa dissuasion non conventionnelle: histoire d'un paradoxe géopolitique, 1948-2008)»( 2). On y comprendra mieux les raisons de l'ambiguïté mêlée à la terreur idéologique et politique qu'Israël maintient sur le sujet, en même temps, que la complaisance paradoxale des «cinq grands» (pays) à ce sujet.

L'acquisition de l'arme nucléaire par Israël s'est faite avec l'aide déterminante des gouvernements socialistes français. Cela avait commencé à s'élaborer dès 1956 lorsque le gouvernement français d'alors a eu besoin d'Israël pour s'attaquer, lors de l'expédition de Suez, à l'Egypte dont le soutien à la lutte armée de libération en Algérie l'obsédait. Puis cela s'est concrétisé définitivement par la fourniture à Israël et la mise en service par les techniciens français du réacteur nucléaire de Dimona, dans le désert du Néguev. Ce réacteur s'est mis à produire du plutonium à usage militaire au début des années 1960. La coopération s'est poursuivie, ensuite, et semble-t-il jusqu'à présent, par la fourniture des vecteurs des armes atomiques, avions puis missiles.

Pour avoir donné les détails du programme nucléaire israélien, un technicien nucléaire israélien Mordechai Vanunu a été kidnappé par les services secrets israéliens à Rome, où il s'était réfugié, et condamné à 18 ans de prison pour «trahison de secret d'Etat».

De manière générale, la terreur exercée pour imposer le silence sur la question est manifeste en Occident. Sur les plateaux mainstream, on pourra y discuter avec force indignation du nucléaire iranien, mais, chut tt..., pas un mot sur le nucléaire israélien. Le nucléaire iranien est présenté comme une «menace existentielle» pour Israël, pour l'Occident, et tant qu'on y est, allons-y, une menace pour le monde entier! Mais pas le nucléaire israélien, lui pourtant bien là, bien explosif, déjà embarqué sur 90 à 200, et même 300 ogives nucléaires suivant les estimations. Si la question était vraiment celle de la menace il serait si simple qu'aucun, dans la région, n'ait l'arme nucléaire. Mais, on n'y pense même pas, en Occident. Et pour cause, il ne s'agit pas, en vérité, de menace à écarter, mais d'une domination à préserver, celle d'Israël.

On est dans un monde de l'absurde, où on peut accepter que la logique, le simple bon sens n'aient plus cours, dès qu'il s'agit d'Israël. Allez-vous étonner, après, que dans un tel monde de la déraison, il y ait tant de cruautés, il y ait tant de crimes contre l'humanité, il y ait Gaza.

Le discours de légitimation de la bombe israélienne atteint des sommets de mauvaise foi. Ainsi, Israël a pour argument qu'il n'a pas signé, lui, au contraire de l'Iran, le traité de non-prolifération nucléaire (TNP). L'argumentation en devient, même, parfois, risible. Un exemple parmi mille autres. Ecoutez bien, le dialogue est succulent(3) : Mercredi 20 juin, plateau de LCI, une chaine d'information française. Un ancien ministre de la Santé israélien, Nitzan Horowitz, reconnait laborieusement, avec difficulté, qu'Israël possède la bombe atomique. Il dit tout, enfin presque, y compris le rôle prépondérant joué par la France (4) dans l'acquisition de cette arme. Il légitime sa possession par Israël par le «risque d'anéantissement» que l'Etat hébreu court. Il ajoute qu'»Israël, à la différence des «autres» (les Arabes) n'a jamais parlé, lui, de l'anéantissement de ses ennemis».

Oui, admettons que les «autres» en aient parlé, ce qui est déjà contestable, mais la différence est qu'Israël, lui, est passé à l'acte, il le fait. Il anéantit le peuple palestinien qui n'a, lui, aucun moyen de l'anéantir.

Mais poursuivons à propos de ce plateau surréaliste. Un habitué, Xavier Tytelman (fan à la fois d'Israël, du Mossad, de Zelinsky et du SBU ukrainien, et va-t-en-guerre impénitent, mais est-ce besoin de le préciser) dit alors que «ce silence (d'Israël sur sa bombe nucléaire) a été un choix judicieux, pour que ses voisins ne la réclament pas eux aussi». Ça ne s'invente pas ! Et ils ajoutent tous, sur le plateau, en chœur, «qu'il n'y a jusqu'à présent que des pays responsables qui ont la bombe nucléaire». Ah, bon, et Hiroshima et Nagasaki, c'était «responsable». L'animateur, soudain téméraire, fera remarquer cependant que «Si l'Irak ou la Libye avaient possédé la bombe nucléaire, ils n'auraient jamais été attaqués». Mais son argument tombe à plat, superbement ignoré. Trop logique. On ne lui en demandait pas tant.

Les «responsables» et les autres

Vous avez dû certainement remarquer le terme: «responsables». Nous y voilà. Il y a au fond la persistance d'une vision avec des nations de deux catégories bien distinctes, les «responsables», les «civilisés» et les autres.

Qui peut mieux que la question du nucléaire trahir ce racisme, ce suprémacisme persistant. Le hic, c'est ce que cela ne touche pas seulement l'Occident hégémonique, ce qui est, tout compte fait, attendu de lui, mais aussi, et sur cette question singulièrement, des puissances partisanes d'une démocratie internationale et de l'égalité entre les nations.

Ce deux poids, deux mesures concernant le nucléaire israélien est, apparemment, un quasi consensus entre les grandes puissances. C'est le Conseil de sécurité unanime, avec donc l'accord de la Russie et de la Chine, qui avait décidé de sanctions à ce sujet contre l'Iran. A-t-on vu le Conseil de sécurité faire de même concernant Israël ? N'est-ce pas tout à fait étrange, en contradiction avec toutes les règles du droit international, de la simple logique ? A-t-on entendu la Russie, la Chine, l'Inde dénoncer le nucléaire israélien ?

Leurs raisons sont présentées sous une argumentation humanitaire. Ils justifient leur position par leur souci d'empêcher la prolifération des armes nucléaires. Mais ce souci n'est-il pas celui de la préservation, en fait, d'un monopole? Il est en contradiction totale avec un autre principe qu'ils proclament, quand il s'agit d'eux, celui de la dissuasion nucléaire, lequel est supposé réguler les relations entre grandes puissances, et empêcher une conflagration par le danger de l'anéantissent réciproque. Suivant ce principe de dissuasion, l'Iran devrait donc posséder l'arme nucléaire puisqu'Israël la possède. Et qui peut mettre le monde au bord d'une déflagration mondiale si ce n'est les grandes puissances et leurs arsenaux nucléaires ?

La solution logique serait évidemment un désarmement nucléaire mondial, mais qui d'entre eux y pense ? Serait-ce tellement utopique ? C'était l'objectif du monde du 20ème siècle. Celui du 21ème siècle semble avoir régressé, en tout cas sur ce point.

Tout cela en dit long encore sur les inégalités persistantes entre nations, sur un ordre particulièrement injuste envers les nations faibles, la prédominance encore des intérêts étroits des grandes nations, y compris celles dites progressistes, lesquelles peuvent être tentées, en permanence, de faire passer leurs intérêts tactiques du moment au premier plan.

C'est particulièrement vrai pour l'agression israélienne et américaine contre l'Iran, la Palestine et d'autres conflits dits de second ordre. Ceci indique la nécessité toujours, pour une nation, d'être indépendante, de juger à l'aune de ses intérêts légitimes et non à celui de son partenaire même le plus proche, même le plus amical. C'est d'ailleurs le meilleur service à rendre à celui qui se présente en ami que de l'amener à regarder au-delà de lui-même, de ses intérêts présents ou immédiats.

C'est encore plus vrai lorsqu'il s'agit du Moyen-Orient: la solution est toute simple, évidente, bannir les armes nucléaires de la région, y compris pour Israël comme l'a demandé l'Algérie. Mais on a préféré traiter l'Irak, puis la Libye en pestiférés et maintenant c'est le tour de l'Iran.

Un pays averti en vaut deux

Ce qui a concerné d'autres pays, agressés les uns après les autres ces dernières décennies, ce qui se passe pour l'Iran, peut concerner évidemment d'autres pays dont l'Algérie. L'Algérie coche toutes les cases de l'hostilité et de la convoitise d'un Occident désormais en crise économique majeure : un immense pays, riche de ses ressources naturelles, fier, jaloux de sa souveraineté et de son indépendance, un soutien constant à la Palestine.

Déjà en en 2022, une publication de la République sahraouie (5) signalait l'activité inamicale d'un groupe de représentants au Congress, il est vrai, en nombre réduit, contre l'Algérie, lui reprochant ses liens traditionnels avec la Russie. Il y a quelques jours un député républicain américain, Joe Wilson a déposé une loi désignant le Polisario comme une «organisation terroriste».

Il se garde encore, cependant, de s'en prendre à l'Algérie, en tant que soutien du Polisario, comme l'y convie la presse marocaine. Mais la chaine d'information continue israélienne, I24news, diffusait, déjà, le 2 juin 2022, un reportage accusant l'Iran et l'Algérie «de soutenir le terrorisme au Sahel et aux frontières» du Sahara Occidental. Plus généralement, les journaux israéliens font une campagne de plus en plus appuyée contre l'Algérie désignée «comme un ennemi irréductible d'Israël». Cela n'est pas sans rappeler le procédé si connu de diabolisation d'un pays.

Il faut bien sûr être attentif à tout cela. Un pays averti en vaut deux.

Notes

(*) «L'arbitraire» https://www.lequotidien-oran.com/?news=5339393

(1) https://lasentinelle.dz/index.php/2025/06/26/conseil-de-securite-lalgerie-prone-une-zone-denuclearisee-au-moyen-orient/

https://www.aps.dz/monde/188601-conseil-de-securite-l-algerie-appelle-a-la-creation-d-une-zone-exempte-d-armes-nucleaires-au-moyen-orient

(2) https://publications.ut-capitole.fr/id/eprint/13756/1/la_dissuasion_isra%C3%A9lienne.pdf

(3) https://www.youtube.com/shorts/9El9ZZpEZEI

(4) https://www.youtube.com/watch?v=x8NplNXsXSQ

https://www.instagram.com/reel/DLC4CZgt1wz/

https://www.algeriepatriotique.com/2019/02/17/revelation-dun-media-israelien-sur-les-essais-nucleaires-francais-en-algerie/

Des israéliens sont présents au premier essai nucléaire français à Reggane dans le Sahara algérien le 13 février 1960.

(5) https://noteolvidesdelsaharaoccidental.org/le-lobby-anti-algerien-aux-etats-unis-sactive-a-travers-des-hommes-politiques-dont-certains-sont-connus-pour-leurs-liens-avec-le-maroc-tsa-algerie/