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Ghardaïa, Saadani, les harkis: Les non-dits de Ouyahia

par Ghania Oukazi

Ahmed Ouyahia a excellé hier en fuites en avant en évitant de répondre aux questions étroitement liées aux risques de déstabilisation du pays et de la fragilisation des institutions de l'Etat.

Précisant depuis le siège de son parti qu'il anime sa conférence de presse en tant que secrétaire général du RND et non en tant que directeur de cabinet de la présidence de la République, Ouyahia a pourtant tangué entre l'une et l'autre fonction sans pour autant prendre ses responsabilités en tant qu'homme politique «actif» sur la scène nationale et préciser ses positions sur des questions cruciales pour la stabilité du pays. « Je ne suis pas un commentateur ni politique ni sportif, je ne commenterai pas ces déclarations, » s'est-il contenté de dire à propos de ce qui a été avancé par le secrétaire général du FLN sur les responsables des tragiques événements de Ghardaïa et ceux d'In Salah. « La justice a ouvert une enquête sur ces événements», a-t-il encore répondu à une question sur le principe d'une saisine obligatoire de la justice comme dans les Etats modernes et démocratiques notamment quand il y a mort d'hommes. Les faits sont pourtant graves. Il y a eu faute. Saadani en désigne même publiquement le responsable en accusant nommément le général patron à la retraite des services de renseignement. Ouyahia a évité la question avec le sourire en coin qu'il a toujours affiché pour faire croire à ses interlocuteurs qu'ils n'ont pas son étoffe pour comprendre ce qui se passe. L'Algérie semble être le seul pays dont la justice n'ouvre pas d'enquête dans pareils cas en convoquant l'accusateur (déclaré) et l'accusé. Le directeur de cabinet de la présidence de la République est un poste-clé dans l'institution suprême de l'Etat mais les faits ne semblent pas intéresser son détenteur ne serait-ce que pour sauver ce qu'il y a à sauver en matière de crédibilité des institutions. Ouyahia refusera ainsi de clarifier sa position et celle de son parti vis-à-vis de la guerre que Saadani a été chargé de mener contre Toufik et l'ensemble « des généraux de la France » que l'histoire a enregistré sous l'appellation de la «promotion Lacoste.» Il simplifie les choses en soutenant qu' « il n'y a aucun événement, c'est une déclaration. »

«Ghardaïa, c'est un complot de l'extérieur et de l'intérieur»

Ouyahia sait en évidence que les officiers de l'armée française sont bien connus de l'histoire postindépendance de l'Algérie pour avoir occupé les postes stratégiques de l'Etat. Larbi Belkheir, Khaled Nezzar, Mohamed Touati, Mohamed Mediène et tant d'autres auxquels la République a rendu tous les honneurs sont aujourd'hui convoqués par le SG du FLN sans pour autant être inquiétés par la justice. Ouyahia mettra les gants les plus épais pour éviter de commenter leur règne qui revient au devant de la scène en raison des accusations directes de Saadani. Pourtant, il persiste et signe que « ce qui s'est passé à Ghardaïa c'est un complot de l'extérieur et de l''intérieur, je confirme ce que j'ai dit en février 2015.» Mieux, lui aussi convoque l'histoire au sujet « des généraux de la France » pour faire savoir que « lorsque Bouteflika était ministre des Affaires étrangères, il a travaillé avec certains d'entre eux, et Boumediene (qu'il appelle Moustache) a eu un problème avec l'un d'entre eux en 67», évitant toutefois de citer Tahar Zbiri et sa tentative de coup d'Etat. Aux nombreuses et persistantes questions sur ce qu'il pense des déclarations de Saadani, il avouera très brièvement qu' « il y a un fil conducteur dans toute cette tjaklala(?). » Gouvernement, FLN majoritaire ou pas, «nous ne sommes pas invités à partager un gâteau,» lance-t-il. Sa relation avec le FCE ? «Je n'ai pas honte de dire que Haddad est un ami, je l'ai encouragé à prendre le FCE, » a-t-il affirmé.

 Lorsqu'il a évoqué le 5 octobre 88, il fera part de sa conviction profonde que « ce qui s'est passé a été à cause d'aspirations politiciennes et de complots. » Il rappelle qu'à cette date, «le sang à coulé à Alger parce qu'il y avait des guerres intestines, aujourd'hui le 5 octobre a dévoilé ses secrets, il y avait des luttes de clans au sein du pouvoir, de l'autoritarisme et du laisser-aller. » Il revient sur « le complot à In salah à propos du gaz de schiste, » pour indiquer qu' « il y avait même des professeurs de droit qui se sont mêlés aux thèses des experts contre, et aussi ce qu'a fait José Bové et sa clique. »

Un chargé des cancans pour animer la galerie ?

Ouyahia interroge alors «que cherche un pays qui veut vendre à l'Algérie une centrale nucléaire à 10 milliards de dollars ? » A part ces précisions, il se dit «être contre les déclarations faites ces derniers jours (par Saadani ndlr). » Fou du roi et chargé de cancans pour animer la galerie ? Saadani fait encore le buzz au vu et au su de l'ensemble des responsables?

Le SG du RND ménagera aussi les responsables français qui ont fait des déclarations sur la Guerre de libération nationale. «La question des harkis relève de la politique interne de la France, ce n'est pas l'affaire de l'Algérie », s'est-il contenté de répondre. Il s'abstiendra même de condamner les propos du président de l'Association française des victimes du terrorisme qui a comparé l'attentat du Milkbar d'Alger perpétré par Zohra Drif aux attentats terroristes de Paris. Brillant qu'il est en matière de rhétorique, Ouyahia partira dans tous les sens sauf dans l'essentiel pour une comparaison aussi grave. Le SG du RND est en outre, loin de partager la demande de certains milieux de rapatrier les crânes de moudjahidine algériens exposés au musée de l'Homme à Paris. « Je m'interroge sur ce qui est mieux, le fait de les ramener, les enterrer en Algérie et les oublier, ou les laisser à Paris pour qu'ils restent témoins de la mémoire pour les Algériens ici et là-bas? » Il se posera la même question que pour « les Algériens noyés en octobre 61 dans la Seine. » Mais « je me demande pourquoi on a sorti cette histoire (les crânes des moudjahidine), c'est certes un dossier sur lequel discutent les deux pays, mais pourquoi en parler maintenant ? » interroge-t-il encore.

«C'est Bouteflika qui dirige le pays»

Ouyahia estime en gros sur tout ce qui a été dit par Saadani, que les «déclarations de ce genre ne sont pas propres à l'Algérie, ça se fait partout, il ne faut pas lier ce genre de situation à l'état de santé du président parce que c'est lui qui dirige le pays.» Mais interpellent les journalistes «les Algériens ont le droit de savoir qui complote à l'intérieur et à l'extérieur contre leur pays? » Sa réponse est simple, « le citoyen veut manger, se soigner, scolariser ses enfants et après il philosophe. » Il estime que le pays se porte bien « (?) avec 65 ou 70 partis politiques agréés et plus de 80 000 associations.» Interrogé sur ce qu'il pense de Belkhadem, il répondra que « je lui ai et je lui voue toujours un grand respect et une grande considération. »

Ouyahia se dit « extrêmement heureux de la philosophie véhiculée par le projet de loi sur la double nationalité, il n'est pas pour jeter un anathème entre les Algériens mais précise que l'Etat réserve un carré stratégique à ceux qui n'ont qu'une seule nationalité, je trouve d'ailleurs que ce n'est pas normal que les postes d'ambassadeur et de PDG de Sonatrach ne soient pas dans la liste. »

Il déclare sa satisfaction de la décision du RCD de participer aux législatives de 2017(..), espère que d'autres partis suivront «à condition que l'opposition se fasse dans le calme. » Le RND a tenu vendredi, a-t-il fait savoir, « une réunion avec les élus locaux à l'effet de discuter des législatives à venir, le Conseil national se réunira à cet effet en décembre prochain, les listes des candidatures seront préparées en concertation avec la base. »