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Europe: «la régression féconde»

par Bruxelles : M'hammedi Bouzina Med

Les peuples européens s'enfoncent dans la régression: ils votent contre leurs propres libertés au nom de la sécurité, construisent des murs à leurs frontières et se déchirent entre eux. La crise multiforme, loin de s'atténuer, s'aggrave.

Les guerres et violences politiques dans le voisinage de l'Europe ont fini par la contaminer et menace, aujourd'hui, la paix dans sa propre « maison ». La Grande-Bretagne a pris le large et quitte l'Union européenne. Un vent de panique déstabilise la vie économique, sociale, culturelle avec des conséquences désastreuses sur la fragile cohésion politique de l'Europe: la Hongrie vote à une large majorité contre l'accueil des réfugiés de guerre, en prétextant son refus du quota qui lui a été attribué par la Commission européenne; la Pologne vote à une large majorité l'abolition de l'IVG ( loi sur l'avortement); le pape François critique le contenu des manuels scolaires français qui promeuvent, selon lui, de la théorie des genres; la banque néerlandaise ING annonce le licenciement de plus de 8.000 travailleurs; la Deutsch Banque est sur le bord de la faillite et appelle au secours l'Etat allemand, etc. etc.

L'année sociale et politique s'annonce plus qu'agitée, menaçante, pour l'avenir européen, avec un climat électoral qui s'annonce, pour les deux prochaines années, avec des surenchères nationalistes, conservatrices qui vont aggraver les clivages, la crispation et les communautarismes, dans les sociétés européennes. Autrement dit, l'Europe vit une crise autant économique et politique que morale. Comment expliquer ses remises en cause sur les libertés individuelles et collectives, les acquis sociaux du monde du travail ( temps de travail, droit du travail), la solidarité intergénérationnelle, la sacralité des droits humains... Comment expliquer la prise de contrôle totale du monde de la finance sur celui de la politique, réduisant les gouvernements à de simples commis gestionnaires du jeu des places boursières internationales... Comment expliquer le retour des gouvernements européens à leurs penchants impérialistes et va-t-en guerre ? Et si la cause de cette crise complexe et multiforme que vit l'Europe est justement son enlisement dans les guerres dans son environnement, en Syrie, Libye, Irak et ailleurs? Autrement dit pour résoudre la crise, l'Europe s'est « embarquée » dans les guerres pour sauver le système capitalistique et financier, arrivé à saturation et qu'un consumérisme en Europe n'arrive plus à satisfaire? Car, il y a comme une troublante coïncidence, entre l'apparition de la crise financière et bancaire occidentale, commencée en 2007-2008 aux USA et étendue à toute l'Europe occidentale, devenue, dès 2010-2011, une crise sociale et économique avec les « printemps arabes » déclarés à la même période - 2010 - 2011 et les guerres en Libye, Syrie, Yémen, etc. De quelques points de vues que l'on pense la grave crise qui secoue l'Europe et les bouleversements géostratégiques, dans son environnement qu'est le Maghreb, le Proche et Moyen-Orient et jusqu'aux pays du Sahel africain, on ne peut éviter le lien corrélatif, les interdépendances et les influences réciproques. Dans le fracas de ces guerres et violences, les deux superpuissances militaires que sont la Russie et les USA font la course pour garder leurs influences et protéger leurs intérêts. La fin des guerres en Syrie, Irak, Libye et ailleurs dépendent de leurs volontés, de l'équilibre de leurs forces, du consensus et accords éventuels qu'elles peuvent entériner.

L'Europe suit et suivra. Au final, en adoptant une logique de force (par les armes et la guerre) pour résoudre le choc de la crise financière et économique, l'Europe a hypothéqué et ruiné 60 ans de construction de paix et d'abondance et perdu son âme. Comme un joueur malade d'une addiction au jeu, elle aura perdu tout son patrimoine, y compris celui de son honneur et de sa dignité. Lorsque les peuples européens si épris de liberté, si attachés aux droits humains, commencent à abandonner, chaque jour, un, puis deux, puis trois principes de ces mêmes libertés et dignité humaine, au nom du seul confort matériel et de consommation à outrance, il ne faut pas espérer un avenir paisible et prometteur de lendemains qui chantent. Lorsque l'Europe bombarde en Syrie, Irak, Afghanistan et ailleurs et voit dans les victimes réfugiés qui fuient ces bombardements une menace pour sa stabilité, il y a de quoi désespérer, être triste de tout ce gâchis et perdre confiance dans l'embryon de partenariat solidaire qui avait commencé à germer en méditerranée avec les pays du Sud. Lorsque les repères sociologiques, économiques et culturels sont brouillés rien d'étonnant à ce que des Européens construisent des murs à leurs frontières, votent contre leurs propres libertés au nom de la sécurité, quittent la famille européenne et acceptent les guerres, ailleurs, chez les plus fragiles de ce monde.