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Cinéma ou films seulement ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

L'héritage du charbonnier. Vie et œuvre de Mohamed Bouamari. Récit de Boudjema Karèche. A compte d'auteur. Alger 2012. 192 pages, 600 dinars.



Selon l'auteur, un immense connaisseur du cinéma national, puisqu'il a dirigé durant plusieurs décennies la cinémathèque algérienne avant d'être «débarqué» brutalement, sans explications ( bof ! il n'est ni le premier ni le dernier des «agitateurs d'idées» à l'être), le premier long-métrage de Mohamed Bouamari, Le Charbonnier «est le seul film long-métrage 35 mm, dont le négatif se trouve à Alger aujourd'hui encore». Mais, qu'a-t-on donc fait de toutes les autres productions n.a.t.i.o.n.a.l.e.s dont certaines ont glané des récompenses à l'étranger ? Dispersées, détournées, «en-volées»... l'Algérie se retrouvant obligée de payer des droits à on ne sait qui, aux Iles Vierges ou aux Iles Caïman, pour les revoir sur ses écrans (dans ces conditions, des écrans, heureusement qu'il n'y en a presque plus).

Ceci seulement pour montrer que le nationalisme de Bouamari était concret, porté par une immense générosité au service de son pays et de son peuple, ainsi que de son art. Quatre grands films (Le Charbonnier, L'Héritage, Premier pas, Le Refus), cinq courts-métrages, entre autres réalisations, qui ont posé une forme nouvelle de l'approche et de la réalisation cinématographiques; le «Cinéma Djedid» qui avait fait tant de bruit en son temps... et qui avait dérangé beaucoup les cinéastes classiques. Certainement parce qu'il ne demandait pas beaucoup d'argent (à l'Etat), sinon un minimum, pour faire de grandes et de belles choses choses.

L'auteur : Ancien directeur de la cinémathèque algérienne (durant plusieurs décennies..dont la plus difficile, celle «rouge»), fervent défenseur du septième art, auteur de plusieurs ouvrages, tous consacrées à sa passion (dont «Un jour, un film», en 2005 et «Juste un mot» en 2009)

Extraits (pagination non indiquée) : «Je n'ai pas à faire comprendre, j'ai à m'exprimer. La seule chose que je n'ai pas le droit de faire, c'est de proposer un produit qui ne soit pas culturel» (Mohamed Bouamari), «Comment accepter, aujourd'hui, ce vide et ce désert dans un pays qui a donné naissance et porté d'illustres et grands artistes » (l'auteur), «Il (Mohamed Bouamari) représente vraiment un monstre sacré et nous ne pourrons jamais séparer l'homme, ses idées, sa démarche, sa dégaine, son allure, de son œuvre tant ils s'imbriquent, se confondent et, comme pour Orson Welles, il nous est impossible de séparer le personnage de l'œuvre».

Avis : Un récit parsemé d'anecdotes, de lieux de haute convivialité, de personnages (qui ont fait les belles -mais pas «folles» - nuits d'Alger et les belles -mais pas inutiles- journées de la cinémathèque) et de vie qui vous fait entrer dans un monde modeste, mais heureux même en les moments les plus difficiles et les plus douloureux... De l'espoir, toujours ! Fetouma, toujours là ! L'essentiel étant de remuer les âmes et de créer du bonheur. Destiné à ceux qui aiment le 7è art et les artistes vrais.

Citations (pagination non indiquée) : «Il n'y a étroitesse et raréfaction de l'espace que dans certains cœurs» (Mohamed Bouamari), «En matière de cinéma, toute lecture authentique d'un film relevait du reçu, du senti et non de l'explication» (l'auteur), «Si, aujourd'hui, nous sommes libérés, nous ne sommes pas encore libres» (Mouloud Mammeri).



Littérature et cinémas arabes. Etudes, sous la direction de Ahmed Bedjaoui et Michel Serceau (préface de Azzedine Mihoubi, ministre algérien de la Culture). Chihab Editions, Alger 2016. 148 pages en français et 95 en arabe, 1. 100 dinars.



Selon les chercheurs (Gilles Lipovetsky,2007), il y a quatre moments clés de l'histoire du cinéma dans le monde arabe : Celui de la «modernité primitive», moment de l'irruption du cinématopgraphe dans l'espace public (première projection Lumière à Alexandrie le 5 novembre 1896).

Celui de la «modernité classique» des années 30-50 qualifiées d'âge d'or des studios quand les normes du récit classique vont se forger en modèle (création des studios «Misr») : cinéma narratif.

Celui du «modernisme émancipateur» qui va des années 60 aux années 90, avec un air de liberté et de révolte brisant normes et traditions cinématographiques. «Années de braise» et montée d'un champ cinématographique arabe multipolaire.

Celui de l'époque actuelle de «l'hypermoderne»... ère de globalisation où les traits de la postmodernité sont encore en gestation dans le cinéma arabe.

Il reste cependant encore difficile d'avoir une vue sinon objective, au moins correcte de la situation, l'expresion «cinéma arabe» déclenchant encore des débats. Certains associant l'arabité à l'idée identité-racine, d'un espace ?langue, d'autres refusant cette territorialisation... «Le cinéma arabe ne se fait pas «uniquement et nécessairement dans le monde arabe» (Khemaïs Khayati, 1996). Notons au passage que le Dubai International Film Festival (Diff) s'étant adressé, en 2013, à 475 professionnels des milieux de la culture pour demander un classement des 100 meilleurs films arabes depuis 1930 jusqu'aux années 2010, le cinéma maghrébin d'origine littéraire francophone a été absent des listes retenues. C'est tout dire... de l'ignorance et d'un certain mépris à l'endroit du Maghreb... tout particulièrement la littérature d'expression francophone.

Heureusement, Ahmed Bedjaoui a tenté de rétablir un peu la vérité en présentant deux magnifiques portraits de Assia Djebar et de Mouloud Mammeri dont les œuvres ont été portées (par eux et/ou avec eux) à l'écran : «La Nouba des femmes du mont Chenoua» (Prix de la critique au Festival de Venise en 1979), «La Zerda ou les Chants de l'Oubli», «L'Opium et le Bâton» (avec Ahmed Rachedi, 1969-1971) «La Colline oubliée» (A. Bouguermouh, 1997).

Notons que A. Bedjaoui a recensé, de 1961 à 2016, près de 90 films algériens ou coproduits, tirés, adaptés ou inspirés d'œuvres littéraires... et, au Maghreb, c'est en Algérie que l'on trouve le plus grand nombre d'œuvres littéraires portées à l'écran, mais aussi d'auteurs attirés par l'écriture de scénarios (Boudjedra, Dib, Mammeri, Djebar, Khadra, Charef, Mihoubi, Ouettar, Saadi... ).

Les auteurs : Salma Mobarak, Abdelkrim Gabous, Moulay Driss Jaïdi, Walid El Khachab... Lamy Tiari, Hassen Najeh, Allel Mohamed.

Ahmed Bedjaoui, docteur en littérature américaine et enseignant universitaire en journalisme, est directeur artistique du film engagé d'Alger. Il est l'auteur de deux ouvrages sur le cinéma algérien (Chihab) et, en 2015, l'Unesco lui a attribué la médaille Frédérico Fellini.

Michel Serceau, docteur d'Etat, a publié de nombreux articles sur le cinéma et un ouvrage (Presses universitaires du Septentrion, 2014) sur «l'adaptation cinématographique des textes littéraires...»

Extraits: «Les relations entre cinéastes et romanciers marocains sont restées assez ambiguës et entachées de défiance. Les premiers préfèrent se fier à leur instinct créatif en matière d'écriture scénaristique ; les autres se confinent dans une écriture pour la plupart du temps jugée opaque et non visuelle» (Moulay Driss Jaidi, p 59), «Hormis le cinéma égyptien où le nombre de romans et de pièces européens adaptés en arabe a été pendant plusieurs décennies dominant, (... .), les cinémas arabes n'ont fait qu'exceptionnellement des emprunts aux littératures occidentales. Les cinémas du Machrek n'en ont pour ainsi dire pas fait, les cinémas du Maghreb guère plus» (p 87). «Les littératures occidentales du XXè siècle ont été ignorées par les pays du Machrek. Les adaptations des œuvres des littératures occidentales se comptent aussi sur les doigts d'une main dans les cinémas du Maghreb. Mais elles sont, dans le contexte de la décolonisation, chargées des sens» (p 87). «Les plus grandes œuvres qui ont représenté des tournants dans l'histoire du nouveau cinéma arabe ont mis en évidence l'autonomie du cinéma par rapport à la littérature. Ainsi, faudrait-il reconnaître que ce nouveau cinéma s'est développé loin des sources littéraires» (p 119)

Avis : Des écrits de spécialistes qui nous aident à mieux comprendre les raisons des succès et des échecs du cinéma «arabe»

Citations : «Le cinéma, c'est l'ombre de l'histoire, mais aussi dans lequel se reflète l'image de l'homme, où qu'il se trouve» (Azzedine Mihoubi, préface, p 11)



Cinéma algérien. Des films et des hommages. Ouvrage documentaire de Abdelkrim Tazaroute. Editions Rafar, Alger 2014, 303 pages, 800 dinars.



Il a présenté quarante et un (41) films : une analyse critique, ainsi qu'en fin d'ouvrage une fiche technique signalétique de l'œuvre. Il a rendu hommage à seize (16) réalisateurs ou/et acteurs (tiens ! je viens de remarquer qu'il n'y a qu'une seule femme).

Certes, ce n'est pas une recherche colossale (ce qui la rend abordable par le commun des lecteurs) ou académique (ce qui la rend accessible), mais c'est un «travail d'amour» bien fait ; celle d'un journaliste spécialisé qui a voulu, en toute modestie, faire œuvre utile et, surtout, rappeler que s'il n'y pas d'industrie cinématographique au sens économique strict du terme, s'il n'y a plus de salles d'exploitation en grand nombre ou presque pas du tout, il y a, cependant, un cinéma algérien avec toute une histoire ; il y a de grands films algériens et il y a de grands cinéastes et de grands comédiens. Un cinéma qui a suscité l'envie, des films qui ont décroché et décrochent des prix (dont la plus enviée d'entre toutes, la Palme d'Or au Festival de Cannes en 1975, avec «Chroniques des années de braise» de Mohamed Lakhdar Hamina), des réalisateurs qui ont tourné à l'étranger et des comédiens d'envergure internationale.

Hélas, l'amour du travail bien fait (c'est-à-dire inclure des films qui ont marqué le cinéma algérien par une approche originale ou par l'audace de la thématique) ne suffit pas. Car, dans le domaine, il y a un écueil...de taillle qui a obligé l'auteur, qui ne pouvait revoir certains films (ex : «Noua», «Touchia», «L'Homme qui regardait les fenêtres» ...) à trancher dans le vif et à faire des choix en se limitant parfois à ses propres écrits par le passé ou à ses souvenirs ou aux films qu'il a encore en tête ou aux amis (dont certains sont aujourd'hui disparus).

L'écueil ? L'absence de fond documentaire ou sa rareté ou une qualité de la documentation iconographique laissant à désirer par sa piètre qualité parce que non conservée dans les normes requises. S'il n'y avait que le cinéma!

L'auteur : Originaire de Bejaia, il est journaliste (critique de cinéma, entre autres, ayant «couvert» plusieurs festivals de cinéma à l'étranger et en Algérie) et écrivain. Déjà auteur de trois ouvrages (l'un sur «Guerrouabi», le second sur «Lamari» et le troisième sur «les Algériennes»). Il a été aussi membre de la commission du Fdatic, plusieurs fois membre de jury et auteur de trois documentaires et d'un court-métrage fiction.

Extrait : «Les films algériens ne ressemblent ni dans l'approche, ni dans la forme, aux films marocains et tunisiens» (p 11)

Avis : Tout ouvrage documentaire ou dictionnaire ou encyclopédie sur la vie culturelle, sociale et polique du pays est le bienvenu... afin que la mémoire se «réveille» et que justice soit rendue à tous ceux qui nous ont précédés et contribué à construire ce pays. Sexagénaires et plus, gare aux larmes d'émotion !

Citation : «Durant toute la période coloniale, 132 ans, l'Algérien était absent dans les films qui ont pour cadre l'Algérie, Alger ou le sud du pays. Tout au plus, s'il est présent en tant que figurant, en arrière-plan. Un élément de décor. Absent-présent, muet et privé de parole» (p 9).

PS : Lors d'une récente journée d'étude sur le théâtre (au TNA /Espace M'hamed Benguettaf) plusieurs participants ont relevé le désintérêt du public pour la chose théâtrale ...Pour eux, la raison principale réside(rait) dans la «mauvaise gestion des établissements». Il y aurait, aussi, l'absence de «dialogue» avec le public. Tout aurait régressé à partir des années 1990 et le secteur ne se serait donc pas «relevé» depuis. On a donc proposé une «réorganisation radicale» des établissements et de leurs activités, «l'intégration du théâtre» dans les programmes scolaires, le «rétablissement du dialogue» entre les professionnels du secteur et l'administration, «l'optimisation de la formation», «la promotion des productions»...Bref, du déjà entendu dans presque tous les secteurs...Une analyse et des critiques qui me semblent relever d'un autre âge, celui «d'or», en partie vrai, en partie mythifié..., celui des années 60 et 70...

Suite à la lecture des compte rendus de presse, on a l'impression d'un procès à sens unique, celui de l'Etat-providence....aux mamelles de plus en plus déssechées, car trop lontemps mal -ou trop- traitées. On a ainsi occulté la création intellectuelle et/ou littéraire qui, dans le genre, est quasi-inexistante...On a aussi occulté la part de créativité des nouvelles générations, souvent ignorée, parfois méprisée et écartée...On a enfin occulté la participation nécessaire des collectivités locales à la promotion d'une vie culturelle théâtrale (et cinématographique) de proximité. Trop d'«investisements» dans le folklore, les semaines commerciales, les «festivals», mais pas assez, sinon absence, de mise à disposition d'espaces d'expression sécurisés, à des tarifs accessibles, aux associations et aux troupes privées entre autres, et aux publics locaux.

Car, il ne faut croire que les gens n'aiment pas le théâtre. Ils en raffolent. Il s'agit seulement d'innover et de laisser la place à ceux qui «osent». Dans le cinéma, on est en train de sortir la tête de l'eau...grâce à la nouvelle génération qui fait «comme elle peut» avec ce qu'elle «trouve» (mis à part le problème des salles)...et qui réussit.