Jeudi dernier,
vingt-septième jour du procès en appel de Khalifa Bank, c'est le liquidateur de
la banque, M. Moncef Badsi, qui a été appelé à la barre pour apporter son
témoignage sur la situation de Khalifa Bank et de ses autres filiales en
liquidation.
Invité par le
président du tribunal, M. Antar Menouar, à expliquer sa mission, le témoin
déclara qu'il se trouvait en mission à Skikda pour le compte de Sonatrach en
qualité de commissaire aux comptes quand il reçut un appel téléphonique d'Alger
lui demandant de rentrer car il avait été désigné en qualité de liquidateur de
Khalifa Bank. « J'ai demandé si je pouvais refuser, mais ?on' m'a dit que pour
le bien de tout le monde, il serait souhaitable de ne pas refuser », a-t-il
précisé. Il continua en affirmant qu'un jour plus tard, le 29 mai 2003, il a
été installé dans ses nouvelles fonctions et il reçut de la part de
l'administrateur, M. Mohamed Djellab, un dossier complet concernant la
situation de Khalifa Bank. « Lors des passassions de consignes et après une
lecture préliminaire du dossier, affirme M. Badsi, d'une voix enrouée par
l'émotion : « mon sentiment en ce moment-là était que j'accomplissais un devoir
fondamental et que je me trouvais devant un désastre dans tous ses aspects et que
j'allais entrer dans un état de guerre ». Il s'engagea alors résolument dans
son travail en commençant par la capitalisation des ressources sur le terrain
pour tenter de limiter les dégâts. Revenant à cette catastrophe, comme il l'a
qualifiée, M. Badsi déclare : « Si au moins cela pouvait servir de leçon au
pays à l'avenir car une affaire d'une telle ampleur démontre l'état de
faiblesse et de précarité de l'Algérie ». Reprenant ses propos concernant la
mission d'administrateur de M. Djellab, le liquidateur de Khalifa Bank assure
qu'elle consistait à déterminer si l'entreprise pouvait être sauvée et remise à
flot ou, au contraire elle doit être liquidée. Devant l'ampleur des dégâts
constatés, il a donc été décidé de la mettre en liquidation et M. Djellab a
transmis un dossier complet au liquidateur comprenant des éléments informations
que ce dernier a approfondis et qui lui ont fait dire que « tout ce qui a été
dit au sujet de Khalifa Bank est bien en-deçà de la réalité. Il décida alors de
faire, coûte que coûte et dans les plus brefs délais, un acte d'inventaire afin
« de protéger le patrimoine qui a subi des actes de pillage avant l'arrivée de
l'administrateur », a-t-il continué. Dès lors, il se retrouva devant une
situation anormale car il n'y avait aucune organisation pour faciliter les
choses. Il tient aussi à rappeler les conditions très difficiles qu'il a eu à
subir lors de sa prise de fonction réelle, surtout lorsqu'il fallait faire face
aux contestataires au milieu d'une quarantaine de policiers et de cailloux qui
tombaient de partout. Questionné par le président du tribunal, M. Badsi annonce
que Khalifa Bank disposait de quelque 70 agences dans des locaux loués pour la
plupart et dont les propriétaires voulaient en connaitre le sort par crainte de
s'en voir déposséder. Il y avait aussi une communauté d'effectif qui
attendaient de recevoir leurs droits et qui n'avaient pas encore quitté
l'entreprise. Dès l'entame de l'inventaire, le liquidateur se rendit compte
qu'au cours de la phase d'attente de la désignation d'un administrateur « il
s'est passé beaucoup de choses comme le pillage des biens et la destruction de
documents », a-t-il affirmé. Concernant les archives, le liquidateur précise
qu'elles étaient dans un désordre total, éparpillés dans des bureaux dans les
agences, et il lui fallait donc rapatrier tous les dossiers (plus de un million
deux cent milles), les classer et protéger les dossiers confidentiels ou
sensibles. « Heureusement, continue-t-il, j'ai eu l'aide de tout le monde,
aussi bien celle du personnel que j'ai trouvé sur place que de ceux qui ont été
désignés ». Invité par le président à parler des comptes d'ordre, M. Badsi
précise que ce sont des comptes ébranlés et inexpressifs qui n'expriment
nullement l'activité réelle et n'apportent aucune explication de relation : «
les comptes d'ordre polluent toute possibilité de faire des analyses et
génèrent donc des opérations en attente, contestables et douteuses qui
constituent un terrain dangereux ». Quand le président du tribunal lui demande
de parler des EES (Ecritures entre sièges), le liquidateur se lance dans une
explication de cette pièce comptable utilisée entre les différentes agences
quand elles sont loin l'une de l'autre, mais dans le cas de Khalifa Bank, il
dit avoir découvert 3,3 millions d'EES mais dont plus de 2 millions ne sont pas
débouclées. Pour les 11 EES de la caisse principale, il affirme que c'est un
cas particulier car la caisse avait sorti de l'argent sans mettre à jour sa
comptabilité puisqu'il n'y avait ni état des avoirs, ni brouillard de caisse,
autrement dit « ce qu'il y avait dans la caisse était différent de celui dans
les comptes, d'où les 11 ESS », précise-t-il. Le liquidateur parle aussi des
comptes folkloriques qui existaient dans la banque, de l'inexistence de comptes
de correspondants (en devises), sauf en extra comptable, sur des fiches et ne
sont pas intégrés dans le processus de comptabilité. Il rappela ensuite qu'il a
mis déjà douze ans pour réparer les dégâts mais qu'il ne compte terminer la
liquidation d'une manière définitive que dans trois ans au plus. M. Badsi passa
ensuite aux dettes cumulées de Khalifa Bank pour dire qu'elles ont atteint plus
de 104 milliards de dinars. Quant aux créances, elles ont atteint 119 milliards
dont seulement 10 milliards ont pu être récupérés, ceci pour arriver au constat
qu'il reste encore 114 milliards de dinars à verser aux déposants et autres
créanciers et que, donc, « il n'y a jamais de prospérité de l'entreprise comme
cela a été annoncé. Poursuivant son témoignage, le liquidateur affirma qu' « il
s'agit d'un drame de nature nationale car ce sont les dépôts des entreprises
publiques et même de petits épargnants privés qui ont été victimes d'un pillage
systématique et ce drame aurait pris une nature catastrophique si Sonatrach
avait fait le dépôt de 400 milliards de dinars comme c'était prévu ». Revenant
aux EES, il précise aussi qu'ils peuvent cacher des transferts de devises. Il
cite ensuite l'exemple des unités de dessalement pour lesquelles la somme de
689 millions de dollars aurait été transférée de manière contestable car non
conforme à la règlementation. D'ailleurs la mission qu'il a envoyée sur les
chantiers de construction de la troisième unité de dessalement (les deux autres
ayant coulé et sont donc perdues) ont démontré qu'il y avait diverses
malfaçons. En outre, et toujours concernant les unités de dessalement, le
liquidateur a découvert trois factures de montants différents de 81, 61 et 41
millions de dollars, en plus de factures vierges du fournisseur de ces unités.
Enfin, M. Badsi affirme, toujours en ce qui concerne les unités de dessalement,
que lorsqu'il a pris contact avec Khalifa Abdelmoumen, il lui a dit que les
unités de dessalement étaient entièrement payées, alors que le fournisseur
étranger réclame toujours leur paiement. Enfin, le liquidateur affirme qu'il
est en train d'accélérer la cadence de liquidation du groupe Khalifa dont il ne
reste que la banque et Khalifa Airways qui le seront au plus tard dans trois
années.