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La promotion à la bouche bée

par El Yazid Dib

Il est de nature qu'à force d'essayer un acte, on finit par l'accomplir. C'est aussi une évidence de dire qu'un rêve est toujours un rêve et qu'une réalité se vit, se touche et se sent. Mais en ces temps si sournois, si entêtés et si injustes, tout est dans cette illusion que l'on vous vend pour argent comptant.

Dans cette société républicaine, la chance n'est pas un pur produit d'un hasard dicté par le ciel. Le sort personnel s'y construit comme une trajectoire cousue main. Il y a toujours un maçon qui chuchote, sans architecture le choix du matériau et la sélection du site, pour y faire de rien un fauteuil, du néant un poste décisionnel. Ainsi, les carrières se bâtissent, à l'origine en habitat précaire pour sortir au grand air, tels des immeubles promotionnels. Dans ce territoire de mérite et d'indélicatesse, le carriérisme a rarement côtoyé le professionnalisme. Si le premier est un moment de long sommeil dans une case, le second est un style et une habileté. Il existe des personnes qui depuis l'institution des rassemblements et la création de l'Etat n'ont pas failli à leur dépôt d'offres de service et de candidatures. La vie pour eux continue dans le formulaire à servir à chaque échéance électorale lequel ouvre à son tour d'autres issues vers les étages de l'Etat. D'autres font de la gentillesse façadière une mention professionnelle, une inscription en marge d'un CV quand leur gabarit ne se quantifie que par le niveau de la basse génuflexion. Ils ne désespèrent jamais du soupçon d'incompétence et profitent toujours, au bénéfice du doute, des opportunités de chaque remaniement. C'est de la contingence, de la proximité et du flirt que se procréent ces hommes. C'est aussi à partir de ce quai d'attente, de cet ingrédient imprévisible, conjoncturel ou providentiel qu'ils se font embarquer tous gais vers une destination politique ou étatique inespérée et crédulement attendue. Dans ce pays où les uns font le meilleur et le pire pour les autres, le temps et le reste font des leurs. Derrière chaque destinée se profile l'ombre d'une main, d'un bon ou mauvais esprit. Derrière chaque petit nom devenu grand se fige un nom silencieux et taciturne. Les agrandisseurs de la petitesse, les améliorateurs des images écornées, les arrangeurs de difformités et les promoteurs de la bouche bée ont fini par avoir main basse sur la grande ville, ses postes et les clés de son pays.

Dans ce pays de l'admiration et de la stupeur, faire la part belle ou la courte échelle à quelqu'un reste une confidence sans secret. Un aveu sans délibération. C'est aussi simple, sinon ça force à le devenir, de voir l'inouï et le burlesque s'installer subversivement dans les arcanes de la décision. Ainsi, l'on se lance à la promotion des postes et fonctions, l'on assiste bouche bée à la naissance de nouveaux cercles donneurs d'honneur.