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Coup de tonnerre en Egypte

par Kharroubi Habib

Dimanche, le président égyptien Mohamed Morsi a provoqué un extraordinaire coup de tonnerre en mettant à la retraite le tout-puissant maréchal Tantaoui, ministre de la Défense et chef du Conseil suprême des forces armées (CSFA) à qui les pouvoirs exécutifs et législatifs ont été dévolus au départ de l'ex-président Hosni Moubarak.

Son coup de force, car c'en est un, ne s'est pas limité à écarter « l'homme fort » de l'Egypte, puisque Morsi a du même coup abrogé les dispositions constitutionnelles provisoires octroyant la réalité du pouvoir à l'institution militaire. Venant d'un président qui était présenté comme ayant renoncé à croiser le fer avec l'armée et consenti à exercer sa fonction sous sa tutelle, la manifestation d'autorité a surpris et manifestement pris de court le Maréchal et le CSFA.

Elle lui vaut en tout cas l'approbation enthousiaste des islamistes, Frères musulmans et salafistes, de même que celle des libéraux acteurs de la révolution de la place Tahrir de 2011 rapprochés par leur exigence de mettre fin à la confiscation des pouvoirs opérée par les militaires après la chute du régime Moubarak.

La question est maintenant de savoir si l'armée accepte le fait accompli devant lequel elle est mise par le Président. Formellement, Morsi a violé l'ordre constitutionnel provisoire du pays par des décisions qu'il ne lui revenait pas d'édicter, et a fourni aux militaires l'argument dont ils pourraient user pour légitimer une réaction de force de leur part. Il a en tout cas choisi le moment favorable pour s'en prendre à l'institution militaire. Celui où le pays mais aussi Israël et les alliés occidentaux de l'Egypte sont sous le coup de la consternation et de l'inquiétude provoquées par l'attentat terroriste survenu la semaine dernière à la frontière israélo-égyptienne au Sinaï ayant provoqué la mort de plusieurs soldats égyptiens et fait douter de la capacité de l'armée égyptienne à juguler la menace terroriste et par voie de conséquence à garantir la sécurité du pays et régionale.

Aussitôt après cet événement, Morsi avait fait acte de fermeté en limogeant le gouverneur du Sinaï, mais aussi le chef des renseignements égyptiens sous le motif qu'ils n'ont pas vu venir l'attentat terroriste. En débarquant le chef des renseignements dont les services sont imbriqués dans l'armée, Morsi signifiait en fait leur « carence » aux chefs de cette institution, et tente maintenant de s'octroyer le pouvoir d'y remédier.

L'autre question qui se pose est de savoir si Morsi a agi contre Tantaoui après s'être assuré que son action obtienne l'accord de l'allié stratégique de l'Egypte que sont les Etats-Unis ainsi que d'Israël. Morsi et les Frères musulmans ont émis en direction de ces partenaires de l'Egypte des signaux et messages rassurants quant à la pérennité sous leur houlette des accords et engagements internationaux souscrits par l'Egypte. Ce qui a pu disposer favorablement ces partenaires à l'émergence d'un pouvoir civil en Egypte même d'obédience islamiste. Est-ce suffisant pour dissuader l'armée de répliquer au « coup de force » du Président ? Le coup est trop dur pour une institution qui n'est pas sans comprendre qu'il remet radicalement en cause son rôle et sa position dirigeants dans le pays. Ce que ses généraux tenteront à l'évidence d'exorciser en réagissant brutalement s'il le faut. Les jours à venir sont de ce fait pleins d'incertitudes pour l'Egypte et l'on reverra à nouveau la place Tahrir en pleine ébullition.