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Livres : un «Monde» à l'envers, des mondes à l'endroit

par Belkacem AHCENE DJABALLAH

Mon tour du «Monde»?Récit mémoriel d'Eric Fottorino Editions Gallimard, Paris, 2012. 543 pages, 22,50 euros (non disponible en Algérie. Attendre le prochain Sila d'Alger)

Un événement national a fait grand bruit récemment. Il s'agit du «publireportage» sur l'Algérie publié dans des journaux étrangers? dont le quotidien français Le Monde. Le publi-reportage a été publié par plusieurs titres internationaux et on a même vu des «spots» publicitaires dans certaines télévisions étrangères. Mais, comme à notre habitude, c'est le premier qui a parlé qui a tort, en l'occurrence notre «ami» Le Monde. N'a-t-il pas accompagné (et accompagne toujours) le parcours universitaire, professionnel et intellectuel de plusieurs générations (dont une bonne partie de celle de la lutte de libération nationale) ?

L'ouvrage de l'ancien directeur du Monde (qui a succédé à Jean Marie Colombani?) ...et qui a réussi à déloger Alain Minc, ce grand gourou de Nicolas Sarkozy, président du redoutable et redouté Conseil de surveillance), fait en plusieurs centaines de pages le tour complet d'une entreprise dont l'histoire fait partie de l'Histoire contemporaine de France.

Vingt cinq ans de carrière dans le même journal, passé par presque tous les genres journalistiques, se contentant de faire bien son métier, il assisté à toutes les crises et toutes les luttes dans et autour du journal, devenu un grand groupe de presse français? très influent en Europe et ailleurs.

Ceci avec tous les problèmes liés à une économie de la presse de plus en plus compliquée et en transformation accélérée face à des défis nouveaux, technologiques entres autres, les défis politiques étant toujours les mêmes.

Aujourd'hui, le journal ? criblé de dettes, il est vrai - est passé entre des mains «capitalistes», ceux du «trio» BNP (Bergé Pierre, Niels Xavier et Pigasse Mathieu) .Pourquoi donc chercher à savoir comment Le Monde a été amené à publier un publi-reportage grassement rémunéré, réalisé par des bureaux internationaux de «journalistes» spécialisés et connus sur le marché international.

L'argent, l'argent ! Elémentaire, mon cher ! Bof, cela s'était déjà fait par le passé (années 70 et 80), même aux moments les plus durs, quand l'Algérie était bien plus mal vue que de nos jours. Le publi-reportage est une voie «honteuse» certes, mais rentable? l'éthique étant sauve avec de petites inscriptions en bas de page ou ailleurs (Publicité, Publi-reportage, Communiqué?). Certains de nos journaux n'ont-ils pas publié (certains le font encore) des annonces commerciales et politiques (sous couvert de publicité) allant à l'encontre de leur ligne éditoriale ? Phrase à méditer : «Il est moins grave de perdre que de se perdre».

Avis : A lire obligatoirement par les étudiants, mais aussi et surtout par tout directeur de journal et par tout journaliste qui se respecte et veut respecter le métier.Pour une meilleure gestion (Rappel: France-Soir, un quotidien français historique vient d'être purement et simplement «liquidé», l'argent des «capitalistes» russes n'ayant pas suffi à le sauver... et un repreneur n'a offert pour son rachat que 56 000 euros tout en licenciant 150 salariés. Sans commentaire!).

A lire aussi par nos «décideurs» pour? améliorer leurs prestations

La Kahéna. Roman de Salim Bachi Editions Barzakh, Alger 2012 (Editions Gallimard, Paris, 2003) 287 pages, 700 dinars

Le livre a eu, en son temps, le prix Tropiques 2004... et, pour la petite histoire, l'auteur a eu, auparavant, le Prix de la Vocation Concourt du premier roman, en 2011 pour Le chien d'Ulysse. On a eu, aussi, édité en Algérie, en 2008, Les douze coups de minuit, un recueil de nouvelles... et son roman Tuez-les tous n'avait pas été importé pour un Sila. Il ne fut diffusé que par la suite. Il revenait un peu trop, disaient alors les «fonctionnaires de la vérité», sur le contre-terrorisme et pas assez sur le terrorisme.

La Kahéna, c'est tout simplement l'histoire d'une grosse résidence coloniale bâtie par un gros colon débarqué en Algérie en 1990? qui passe par Cayenne pour «importer» des bagnards... qui, peu à peu, s'est identifié à l'Algérie, cultivant ses terres, sa ville, et? aussi, son épouse métropolitaine... mais, surtout, une «Arabe» qui fut sa «vraie» femme. Il fut tué par l'Oas car il aurait été assez proche du Fln, voulant, certainement, rester dans sa demeure et sur «ses» terres. Bref, un colonisateur, gros possédant, «possédé», «ensorcelé» par la terre algérienne. «L'indépendance proclamée, les prétendants, ils étaient légion, remplacèrent les anciens maîtres du pays? Les salauds d'aujourd'hui se reflétaient dans ceux d'hier...». Un auteur qui fait partie d'une génération très justement rancunière : leurs aînés de la «famille révolutionnaire» leur ont tellement promis, les pouvoirs successifs les ont tellement bernés, et parfois leurs parents les ont déçus ! Heureusement, quel que soit son âge, un écrivain a -et doit avoir - tous les droits de dire et d'écrire comme il lui plaît et comme il sent et ressent, et on est toujours heureux d'en rencontrer un de la veine de Bachi Salim. Bachi, un auteur difficile. Un mélange des temps et des lieux. Une «chute» sévère, terrible. Une atmosphère «tropicale», lourde, chargée d'histoires qu'il vaut mieux, parfois, ne pas connaître . Difficile à lire et même à comprendre. Quant à son style, on le sait, on le sent, c'est du ?cousu main?. Il fait partie de cette nouvelle génération d'auteurs qui maîtrisent tout autant les concepts que la langue... Il y a du Kateb Yacine quelque part, avec cette gymnastique ininterrompue des phrases et cette jonglerie époustouflante des mots. Une écriture qui fait penser parfois à celle du ?Rap?! Des pages, on le sent, «écrites à la diable sans souci du lecteur». Phrase à méditer : «On n'aime pas les gens qui nous rappellent que nous nous sommes trompés. Nous adorons les prophètes une fois qu'ils sont morts... Même le Christ n'est revenu parmi les hommes que pour disparaître à nouveau?» (p 268)

Avis : Difficile à lire durant les vacances. Mais l'avoir tout près, sous la main, pour consommer par chapitre et, surtout, ne pas se décourager au départ, la fin valant grandement le coup.

Divorce à la musulmane à Viale Marconi...Roman (traduit de l'italien par Elise Gruau) de Amara Lakhous Co-édition Barzakh?Actes Sud, Alger 2012, 222 pages, 700 dinars

Amara Lakhous ? Journaliste, anthropologue, c'est aussi grand écrivain (italien? algérien? italo-algérien plus qu'algéro-italien ?) qui n'arrête pas de nous surprendre par son talent, mais aussi par la limpidité de son travail de romancier?On sent, de plus, une humilité... qui ne court plus, depuis longtemps, les couloirs éditoriaux d'Alger. Il est vrai qu'il lui a fallu «émigrer» pour donner la pleine mesure de son art... et de sa technique. C'est, aujourd'hui, au bout de deux romans seulement, un auteur qui n'est plus à présenter surtout après le grand succès de son premier chef-d'oeuvre, d'abord écrit en arabe (éd. Ikhtilef, 2003), n'ayant rencontré aucun succès en Algérie, puis réécrit en italien (on en a fait un film), Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio.

Le deuxième livre (merci Barzakh !) traite d'une histoire de projet d'attentat terroriste islamiste à Rome et de l'infiltration, par les services secrets italiens, d'un jeune Sicilien féru de langue et de civilisations arabes pour en découvrir les auteurs. Ce qui suit, c'est l'autopsie d'une communauté arabe musulmane immigrée, avec ses pratiques... et, en cours de route, beaucoup d?explications des rites, des us et des coutumes, par quelqu'un qui s'y connaît. De l'aventure, du suspens, du risque, de la peur, de l'humour, de l'amour... et une fin «qui finit bien».

Phrase à méditer (p 82): «Les Arabes adorent la répétition, est-ce pour cela qu'ils acceptent d'être gouvernés toute leur vie par les mêmes personnes ?»

Avis : Un roman à lire (au bord de l'eau) et à faire lire?.Puis, commenter les réflexions (ou «digressions») de l'auteur. Des passages très instructifs sur la religion. Certains sont même d'un humour décapant ; comme cette «interrogation» sur les houris qui attendent... les hommes au Paradis. Et les femmes ? Un conseil : laisser la fin (toujours surprenante. Comme à son habitude)... pour la fin.