Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'autre vraie guerre

par Notre Bureau De Bruxelles : M'hammedi Bouzina Med

Quand les bruits de couloirs ne sont plus audibles, nous nous faisons un plaisir de vous les faire parvenir. Musique.

Si perspective de «guerre» il y a, entre le monde occidental et les pays arabes et, plus largement entre Occident et reste du monde, c'est bien une guerre pour le contrôle du marché des matières premières minières et agricoles qui se dessine en ce début de siècle. Une guerre où l'intelligence managériale et la force monétaire seront (sont déjà) les armes décisives pour sortir indemne des perversions du jeu commercial mondial et ses conséquences dramatiques sur la vie des citoyens, en particulier celle des pays pauvres ou en voie de développement. L'Europe, elle, a pris les devants et prépare ses plans de défense: s'assurer un approvisionnement sans remettre en cause son modèle de développement.

La « guerre des matières premières » est ouverte. Ce sont, évidement, les grands groupes industriels qui ont sonné le « tocsin » en ce mois de février pour pousser les gouvernements et les institutions européennes à sécuriser leur approvisionnement en matières premières minières, principalement celles dont dépendent les industries aérospatiales, de hautes technologies, de la communication, etc. Leur appel fait écho aux nouvelles restrictions chinoises, indiennes, brésiliennes et sud-africaines notamment, sur l'exportation d'une gamme de 14 produits miniers, dits précieux et rares tels que le cobalt, le nickel, l'or, le diamant, le zinc, etc. Et pour cause, les économies de ces pays dits émergents ont révisé leurs stratégies de productions et de commercialisations de ces produits et revu leurs législations à l'exportation. En pleine croissance à deux chiffres et en pleine révolution technologique, les pays émergents bousculent les règles commerciales admises à ce jour.

La multiplication des réunions au sein de l'OMC, les interminables débats avec leurs lots de désaccords sont l'expression de cette « révolution » du marché mondial qui n'arrive pas encore à aboutir. L'accélération des événements dans le monde pousse certains à s'interroger sur le sens et l'utilité des « cycles » de l'OMC qui s'éternisent. Cependant, comme dans toute guerre, chaque « belligérant » ne lésine sur aucun moyen, y compris les coups bas et la ruse, pour arriver à ses fins. Ainsi, sous la pression des lobbys industriels, comme celui des entreprises européennes regroupées sous le label « Business-Europe », la Commission européenne est appelée en ce début du mois de mars à déployer tous les artifices financiers (prêts, investissements, partenariat?) et réglementaires (code des marchés) pour contrer les stratégies chinoise et indienne d'une part, et de démanteler ce qui reste des protections tarifaires des pays exportateurs de matières premières, y compris les pays africains dont les sols regorgent de ces matières précieuses.

Jusque-là, les Européens sont dans leur logique de libéralisation du marché mondial. Ils multiplient les mêmes pressions au sein d'organisations internationales telles que l'OCDE, l'OMC et les réunions du G 8 et G 20. Sauf que cette logique libérale qui sied à l'Europe porte, de par ses conditions actuelles, un énorme préjudice aux économies en voie de développement, telles celles africaines et sud-américaines. Un nombre de ces pays commencent à régir pour se prémunir d'une exploitation intensive et à bas prix de leurs matières premières, sans plus-value sur le rythme de leur propre développement. Ils tentent de réguler l'exploitation de leurs ressources minières et reviennent à un protectionnisme commercial ciblé sur les matières stratégiques.

La question qui se pose est de savoir si les pays africains et sud-américains, détenteurs de réserves minières précieuses, ont les moyens de résister longtemps encore aux coups de boutoir des industries occidentales. Les Européens, eux, ont lancé l'offensive depuis novembre 2008, lorsque la Commission européenne avait annoncé sa « stratégie intégrée sur les matières premières ». A ce stade, l'Europe comme le reste des Occidentaux ont fait de l'adage populaire « le beurre et l'argent du beurre » une maxime de vie: ils prônent une politique de préservation de l'environnement et s'emploient à intensifier leur production industrielle par une exploitation des ressources minières en Afrique et en Amérique du Sud.

Des ONG de défense de l'environnement et de lutte contre la pauvreté (W.wf ; Oxfam, etc.) n'ont pas manqué de rappeler aux Européens leur hypocrisie sur leur discours de l'aide au développement à l'Afrique et au partenariat équitable. Par ailleurs, l'Europe n'est pas à son premier « délit » commercial vis-à-vis de l'Afrique. Son insistance (ses pressions) pour que les pays africains acceptent et signent les Accords de partenariat économique (APE) entérinés, malgré les réserves des Africains, lors du Sommet UE-Afrique de Lisbonne, fin 2007, est révélatrice de sa volonté à imposer sa seule conception de l'échange commercial. Les APE privent les exportations africaines de la préférence commerciale qui leur était accordée et ouvrent leurs marchés aux importations européennes, sans limite aucune. Ironie de l'histoire, le dernier Sommet UE-Afrique, qui a inscrit ces sujets à son ordre du jour, s'est tenu les 29 et 30 novembre 2010, en? Libye, à la veille des révolutions des peuples arabes. Espérons que la fin des dictatures arabes ne sera pas remplacée par la dictature du marché européen. Mais cela est une autre histoire.