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LA LOI ET L'AGENDA

par M. Saâdoune

L'Etat prend des mesures, en commençant par les questions prioritaires pour le citoyen, d'ordre économique et social (?). Les préoccupations politiques suivront et c'est le gouvernement qui décidera du moment opportun».

 Le propos du ministre de l'intérieur, Dahou Ould Kablia, est limpide sur la manière dont le gouvernement voit les choses. Cela d'ailleurs se traduit par une série de mesures dont certaines font grincer des dents, tant elles sentent fort le populisme et l'improvisation.

 Il n'y a rien de surprenant à voir le pouvoir agir dans cette direction puisqu'il croit que les Algériens n'ont pas de demandes politiques ; ou que les mesures à caractère social - et économique ? - qu'il prend tendraient à réduire l'importance de cette demande. Le diagnostic ou l'appréciation traduisent une vision très discutable.

 Il n'est même pas nécessaire d'essayer de décortiquer la philosophie qui sous-tend ce genre d'assertion. Il faut admettre que cette vision existe et que cela fait partie du droit élémentaire d'avoir des convictions. Par contre, ce que M. Ould Kablia ne peut ignorer est que les droits légaux consacrés par la Constitution et les lois ne sont pas subordonnés à la vision du monde du gouvernement et à son agenda.

 Le gouvernement a toute latitude d'essayer de convaincre les Algériens qu'il s'occupe des questions économiques et sociales et que cela est la chose la plus importante à ses yeux ; cela ne lui octroie pas le droit de suspendre un droit légal. Créer un parti politique est une affaire de citoyens qui n'est pas tributaire des « priorités » du pouvoir politique. Il y a une loi qui fixe les conditions de création d'un parti, les pièces justificatives à fournir et l'autorité administrative chargée de recevoir le dossier et de délivrer l'agrément.

 Formellement, il s'agit d'un processus administratif qui ne dépend pas d'un quitus politique du pouvoir, ni de sa disponibilité, ni de son emploi du temps. Aucun souci prioritaire de l'Etat ne doit donc permettre de justifier la suspension de fait de l'application de la loi.

 La levée officielle de l'état d'urgence ne permet plus de masquer qu'on est devant une entrave à l'exercice d'un droit reconnu par les lois. Même s'il essaie de nuancer l'interdit de fait qui est opposé à des citoyens de créer leurs partis politiques, le ministre de l'Intérieur sera constamment dans l'impossibilité d'opposer un argument de droit convaincant.

 Le gouvernement fait de la politique - ce qui est la moindre des choses - mais aucune politique ne peut être fondée sur le non-respect de la loi. Ni la Constitution ni les lois ne soumettent le droit des Algériens de créer des partis ou des associations à un agenda gouvernemental particulier. Aucune loi n'est faite pour n'être appliquée que quand le gouvernement le veut bien. Les questions prioritaires d'ordre économique et social, qui sont mises en avant par le gouvernement, ne peuvent servir d'argument ou de justification à la non-application de la loi.

 Il n'est pas inutile de rappeler que le respect de la forme de la loi est primordial car il préjuge sur le fond. L'application de la loi - de toutes les lois - est une obligation permanente. Et il faudra sans doute le rappeler avec vigueur à chaque fois qu'un responsable laisse entendre que l'exercice des libertés et des droits reconnus par la Constitution n'est pas une priorité et qu'il peut de ce fait être suspendu? Jusqu'à ce qu'il veuille bien.