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Cinquante ans, c'est déjà deux générations

par Farouk Zahi

S'il est vrai que l'Algérie indépendante a connu sept (7) chefs d'Etat, plus que la république française du fait du mandat septénaire et presque autant que les USA qui ont eu neuf (9), l'on ne peut affirmer que l'alternance au pouvoir a caractérisé l'exercice politique durant le demi-siècle accompli.

Cette période que d'aucuns qualifient de post coloniale et qu'ils imaginaient la plus courte possible, a, malheureusement, duré plus que de raison. La légitimité révolutionnaire qui s'est muée en légitimité historique a fait le lit d'un monolithisme incongru, surtout depuis la chute du Mur de Berlin qui a sonné le glas de l'autoritarisme idéologique. En dépit de la longueur d'avance d'Octobre 1988 sur cette reconfiguration politique du monde, l'Occident égal à lui-même, n'y a vu que de prosaïques émeutes de « la semoule ». On dénie, implicitement, à la rive sud de la Méditerranée l'aspiration libertaire démocratique. Si l'on chante sur tous les forums, la singulière jeunesse algérienne, on tarde à lui confier son devenir et par conséquent les moyens politiques d'y parvenir. Au lendemain de l'indépendance recouvrée, la population autochtone frisait à peine les 9.000.000 d'âmes dont la grande majorité subissait encore, les affres de l'analphabétisme, de la précarité socio sanitaire et de l'illettrisme politique. Maintenant que les « sursauts révolutionnaires » ont, plus ou moins, rempli les missions pour lesquelles ils sont nés, et que les épopées héroïques se sont inscrites sur le fronton de l'histoire communautaire, il est temps de passer le témoin. Cette jeunesse qui s'est multipliée par trois, du fait même d'un certain bien être social que personne ne serait tenté de nier, réclame par les faits ses droits socio économiques. Elle se revendique d'une éducation scientifique et s'édifie ses propres espaces d'expression par la virtualité électronique. Elle aspire à marquer son temps, non pas par la voie des armes, mais par les moyens technologiques de la cybernétique. D'ailleurs les jeux électroniques, peuvent simuler dans la virtualité des situations de guerre ou de sinistre sans pour autant exposer l'opérateur, au risque que peut générer un exercice réel. Les référents révolutionnaires ne sont plus Amilcar Cabral ou Guevara qui ne veulent rien dire pour beaucoup, mais bien facebook, twitter et autre yutube. Pour les séniors que nous sommes devenus, les tâches de réglage de la simple télécommande ou les complexes mises à jour de nos fichiers électroniques sont, volontiers, confiées aux juniors quitte, parfois, à écorcher notre exécrable égocentrisme. Capables de prouesses électroniques, ils nous dament, scientifiquement, le pion remettant en cause notre paternel envahissement.

Les mouvements nationaux d'émancipation mettaient plusieurs années pour obtenir la reconnaissance internationale, souvent après d'incommensurables sacrifices humains. La lutte pour la cause algérienne des temps modernes déclenchée en 1945, ne s'est affirmée qu'en 1954 pour n'être reconnue mondialement que suite à la déferlante populaire de décembre 1960. Rien donc n'a changé dans le modus operandi, sauf, qu'actuellement, l'information est partagée par les quatre coins de la planète en temps réel. La Toile, ce redoutable réseau de « conspiration légale » échappe dans, la plupart des cas, aux bureaux et agences spécialisés conventionnelles. La CIA et le FBI, n'ont vu que du feu et sans jeu de mot dans le clash du 11 septembre 2001. Alain Juppé, déclarait et à juste titre lors de sa récente investiture au Quai d'Orsay, qu'aucune puissance n'a pu anticiper sur les événements qui ont ébranlé la Tunisie et qui continuent à changer la face du monde arabe. El Bouazizi est, décidemment, l'icône universelle d'une jeunesse qui s'autodétruit pour permettre à ses congénères de mieux vivre. Il fait des émules, non plus dans son propre fief, mais dans ce « douar » planétaire. L'immolation par le feu « inventée » par les bonzes vietnamiens, n'a pas eu les mêmes effets extranationaux. Il a été permis a chacun, de voir à travers la lucarne télévisuelle, que les jeunes, de Marrakech à Mascate, se ressemblent tous : même look, même verbe véhément et même aspiration à l'autodétermination politique. Ils ne demandent même plus d'ouverture démocratique, mais plus que cela : le changement radical par la chute, peu glorieuse, des gouvernants. Le héros d'hier est devenu l'ennemi d'aujourd'hui. Ces jeunes savent qu'ils existent de par le monde des Mandela, et des Lulla issus de pays, nouvellement, émergents et qui ont passé la main. Les spécificités sur lesquelles les régimes liberticides se sont appuyés pour se maintenir, partent en lambeaux entiers et ce ne seront pas les largesses monétaires de dernière heure qui vont changer le sens de l'histoire. Le panarabisme nassérien dont Tripoli en a été la dernière enclave belliciste est en déroute. Benghazi efface d'un coup et l'hymne et l'emblème que le «Caligula»de Tripoli a imposés sans consultation préalable. La volonté des peuples est irréductible, tel est le slogan, longtemps, prêtés à ces mêmes peuples, que certains gouvernants méprisent contrairement au bon sens. Kadhafi, pour ne pas le citer, a eu le mérite de dévoiler le sentiment qu'il nourrissait à l'égard de sa communauté qu'il a traitée de tous les noms d'animaux et d'insectes répulsifs.

Comparaison n'est pas raison comme le souligne l'adage, mais il serait inintelligent de ne pas lire ou de continuer à ignorer les signaux annonciateurs de désordre. Un ancien homme politique de premier rang a déclaré, récemment : « tous les ingrédients de l'explosion populaire sont à présent réunis, il ne manquerait que l'élément déclencheur ». Ce ne sera, certainement, pas l'immolation par le feu qui jouera le rôle de détonateur, car plusieurs cas ont été rapportés çà et là à travers le pays. Aussi, et pour couper l'herbe sous les pieds des fossoyeurs de tout bord qui n'ont, d'ailleurs, rien à envier aux clercs des diktats, il est du devoir des dirigeants qui disent chérir ce pays pour ne pas le confier à des âmes aventurières, de faire confiance aux nouvelles générations. Nourris au même sein que leurs aïeux, ces jeunes qui ont mené l'épopée d'Oum Dormane, n'avaient pour attributs qu'un titre de voyage et un emblème national. Leur seul nombre a impressionné les nations les mieux dotées. Les anciens auraient exigé des sièges en first class et des indemnités pour frais de mission. Le rêve que peut, légitimement, caressé chacun d'autres nous, c'est qu'à la veille de ce cinquantième anniversaire du recouvrement de la souveraineté nationale, l'autorité politique du pays déclare solennellement que « l'indépendance n'a jamais été confisquée » et que la démocratie et la justice sociale prônées par la plateforme de la Soummam, n'ont jamais été de vains mots. N'est ce pas le déni d'équité qui a forgé toutes les militances de ce peuple ? Si c'est oui, à cœur vaillant?