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«Traduit de l'arabe»

par Amine Bouali

Il y a des mensonges entre autres par fourberie, orgueil ou légitime défense, mais il y a aussi dans la vie des mensonges par sollicitude, respect ou altruisme exemplaire. En 1989, le militant et historien de la Cause nationale Mohammed Guenaneche (1915-2001) sollicita son ami de longue date l'écrivain et homme de culture Sid Ahmed Bouali (1931-2000), l'auteur des « Deux grands sièges de Tlemcen » (ENAL, Alger, 1984) pour qu'il corrige et éventuellement réécrive une ébauche de traduction de l'arabe vers le français de son dernier ouvrage paru quelque temps plus tôt dans la langue d'Al-Moutanabbi.

Sid Ahmed Bouali accepta de bon cœur le challenge et après plusieurs semaines de labeur, remit une copie impeccable qui fut publiée telle quelle en 1990, à Alger, dans une coédition ENAL-OPU, sous le titre : « Le mouvement d'indépendance en Algérie entre les deux guerres (1919-1939).» Mohammed Guenanèche avait commis auparavant trois autres ouvrages dont deux en collaboration avec l'historien Mahfoud Kaddache, intitulés : « L'Etoile Nord-Africaine» et « Le Parti du Peuple Algérien», les partis politiques historiques fondés successivement en 1926 et 1937 par le père du nationalisme algérien, Messali Hadj.

Mais revenons, si vous le voulez bien, au sujet principal de notre petit texte d'aujourd'hui : lorsque ce dernier livre de Guenaneche parut dans sa version française, Sid Ahmed Bouali fut très surpris en constatant que son ami avait fait inscrire son nom à côté du sien sur la couverture de son ouvrage, avec la mention : «Traduit de l'arabe par Sid Ahmed Bouali», alors qu'il ne maîtrisait absolument pas la langue arabe, et qu'il avait seulement corrigé et remis en ordre la traduction faite par Guenaneche lui-même ou par quelqu'un d'autre. Mais il avait bien compris que c'était une façon pour son vieux camarade de lui témoigner son amitié, même si c'était au détriment de la stricte vérité.

Nous ne pouvons, pour conclure ce billet, résister au plaisir (et à l'émotion) de recopier la dédicace qui orne la page de garde du livre de Guenaneche dont il est fait référence ici : « À ceux qui, sur cette terre généreuse, ont apporté la graine de la liberté qu'ils ont semée, irriguée, entretenue jusqu'à ce qu'elle germe et lève en épi bien droit, et qui sont partis dans l'indifférence de leur temps, en eux-mêmes rassurés et pleins d'espoir. À ceux qui ont tout donné, sur l'autel du sacrifice, sans que leurs noms figurent parmi ceux des martyrs, ou seulement gravés sur des tombes. À tous ceux-là revient cette œuvre bien modeste ».