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24 février 1971-24 février 2024 en 62 années d'indépendance ? - 53 ans après, quel regard pouvons-nous porter sur la nationalisation des hydrocarbures ?

par M'hamed Abaci

«Quand le passé n'éclaire pas l'avenir, le présent et l'esprit marchent sur les ténèbres », disait Alexis de Tocqueville, écrivain et philosophe français. Introduction :

Le 24 février 1971, date de la nationalisation des hydrocarbures considérée comme l'une des glorieuses pages de l'histoire politique et économique écrites, notamment l'une des grandes œuvres au lendemain de l'indépendance du pays pour recouvrer la souveraineté de l'Algérie sur ses richesses naturelles pour lesquelles, hier, nos martyrs se sont sacrifiés pour libérer le pays.

Notre pays se devait de mettre fin au plus tôt à ce lourd héritage légué par le colonialisme, les Européens ayant laissé derrière eux un pays sous-développé et totalement à l'arrêt. Pour cela, il fallait mettre en œuvre une politique de développement national qui réponde aux impératifs majeurs de l'Algérie indépendante, à savoir l'industrialisation, l'indépendance économique, la formation et emploi, la valorisation des ressources et le développement de l'agriculture. En effet, au lendemain de l'indépendance, le 5 juillet 1962, l'Algérie vivait une situation socioéconomique critique : la pauvreté et la misère touchaient l'écrasante majorité de la population, le taux de chômage avoisinait les 70%, le taux d'analphabétisme de 90%, un déficit énorme est constaté en main-d'œuvre qualifiée et en encadrement. Alors que l'Algérie des années 1960-1970 était très loin de connaître l'aisance financière, dont allait bénéficier le pays de l'augmentation des prix du baril de pétrole sur les marchés mondiaux en 1982, 1984 et depuis 2000. En effet, le premier baril vendu par Sonatrach en 1967 qui rapportait pour nos réserves de change 1,60 dollar. Pour rappel, l'Algérie est membre de l'OPEP depuis 1969. Premier pays à avoir nationalisé la production d'hydrocarbures en 1971.

On peut dire que la nationalisation des hydrocarbures est un événement des plus déterminants dans l'histoire des pays pétroliers qui a certainement permis d'ouvrir un nouveau chapitre dans l'histoire de l'énergie dans le monde de faire du pétrole un enjeu mondial. Souvenons-nous ces trois années 1973-1975 furent des années intenses. L'Algérie accueillait en septembre 1973 le premier Sommet des Non-Alignés, avril 1974, l'Algérie était le porte-parole des Non-Alignés pour porter à la tribune des Nations unies le message des pays du tiers-monde qui revendiquaient un Nouvel ordre mondial plus juste. L'ovation faite à Boumediene est restée dans l'histoire. Début 1975, l'Algérie sur sa lancée organisait au Club des Pins le Sommet des chefs d'Etat de l'OPEP... Le prix du baril est passé de moins de deux dollars à plus de 12 dollars. A cet effet, le G77 (groupe des 77), l'Algérie, était l'initiatrice et fondatrice et a eu l'honneur à cet effet, de recevoir la première de ses conférences en 1967. Elle a débouché sur l'adoption de la Charte d'Alger des droits économiques du tiers-monde, qui est devenue la feuille de route du Groupe pendant les décennies suivantes. D'où a germé l'idée du groupe BRIC en 2001.

Qu'il est important et utile de rappeler, brièvement à cette occasion, afin de comprendre l'étendue et la dimension de l'effort de notre politique de développement économique, culturel et social pour mesurer la finalité d'un combat des nationalisations des richesses nationales.

Sur le plan politique :

Historiquement, l'évolution au plan nationalisation a été jalonnée par les étapes suivantes :

1. Dans une première phase, il fut décidé, le 8 mai 1966, la nationalisation des mines, fer, phosphate, plomb, zinc et marbre. En 1967, fut décrétée la nationalisation des sociétés étrangères, y compris les banques, les transports, les assurances. En 1968, l'évacuation de la dernière base militaire occupée par la France à Mers El-Kébir (Oran).

2. Dans une deuxième phase, il fut décidé le 24 février 1971, date de la nationalisation des hydrocarbures.

En effet, c'était un événement marquant et témoin de l'engagement du défunt Houari Boumediene, qui participait à la célébration de l'anniversaire de la création de l'UGTA, annonça à cette date aux travailleurs que le moment est venu de prendre les responsabilités : «Kararna ta'emine el mahroukate» (Nous avons décidé la nationalisation des hydrocarbures). Ainsi, avons-nous décidé, aujourd'hui de porter la révolution de notre indépendance économique dans le secteur du pétrole et de concrétiser les options fondamentales de notre pays en ce domaine. A suivre

Et, en parallèle, trois super-ministères sont créés : le ministère de l'Énergie et des Industries chimiques et pétrochimiques, le ministère de l'Industrie lourde et le ministère de l'Industrie légère.

A travers ces nationalisations réussies, très vite, une série de nationalisations a été suivie dans plusieurs pays producteurs de pétrole tels que la Libye, l'Irak et le Venezuela, entre autres. L'Algérie apparaissait comme étant la voix du tiers-monde et le reste des pays producteurs de pétrole venaient de remporter une victoire. L'Algérie a accru sa puissance régionale et son influence au point où elle est devenue l'une des puissances économiques les plus importantes de l'Afrique et du tiers-monde. En effet, la Sonatrach s'identifiait déjà à l'État algérien. Autrement dit, la Sonatrach, véritable État dans l'État où règne l'accélération de la renaissance d'une industrie pétrochimique aux valeurs technologiques hautement capitalistiques pour une Algérie que nous percevions en devenir un pays développé dans l'histoire du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie.

Oui, c'était l'époque où l'Algérie qui présidait les destinées de l'OPEP dans les années 1970, en l'occurrence le Dr Liamine Khene, figure éminente de la révolution, ancien ministre et ancien secrétaire général de l'Opep, décédé le 14 décembre 2020 à l'âge de 89 ans. En assurant le poste de secrétaire général de l'Opep, il a joué un rôle stratégique dans une période historique de la vie de l'Organisation. Ainsi, l'Algérie a mené toute une politique géostratégique et géopolitique qui a considérablement révolutionné le marché pétrolier dans le monde, selon les statistiques, elle apportera sa contribution active au sein de l'Opep dans les réajustements successifs des prix survenus depuis 1973 et favorisé par un renversement de la tendance du marché au profit des pays producteurs de pétrole et les prix du baril ont augmenté de 3 dollars en 1968 à 30 dollars en 1978, pour atteindre, enfin, 40 dollars en 1980 au profit des pays producteurs de pétrole. L'Opep, sa part dans la production mondiale de pétrole s'est relevée à (55% en 1970, 42,6% en 2017, 34,7% en 2020) et des matières premières dans le réajustement des prix sur les marchés mondiaux.

Sur le plan économique :

L'Algérie, nouvellement indépendante, pensait déjà à l'après-pétrole, un vaste plan de valorisation des hydrocarbures à travers le plan (Valhyd), mis en route qui devait faire de notre pays un géant industriel dans la pétrochimie à l'échelle africaine outre les infrastructures et équipements mis en place, plusieurs réalisations oléoduc ou pipe-line et ensuite pour en assurer l'exploitation à l'actif de Sonatrach. A l'époque, les enjeux économiques de l'Algérie tournaient autour de l'industrie industrialisante avec une technologie capitaliste, composée principalement de diverses technologies, notamment allemande, française et américaine. Alors que l'Algérie était à l'époque très loin de connaître l'aisance financière, dont allait bénéficier le pays en 1982, 1984 et depuis 2000 à 2014. Un tel processus s'inscrivait dans le cadre d'une vision claire quant à la place et au rôle de l'Algérie dans le monde et d'une stratégie d'exploitation d'utilisation de ses ressources pour bâtir une économie diversifiée et forte.

Ainsi, furent engagés des plans de développement triennal de 1967 à 1969, quadriennaux de 1970 à 1973 et de 1974 à 1977, et enfin, la valorisation des hydrocarbures dite «plan Valhyd» pour développer une industrie pétrolière et gazière. En effet, Il faut dire que par le passé, l'argent de la rente avait une valeur économique réelle et l'argent de l'Etat appartenait à la nation et ne devait pas être dilapidé. La disponibilité croissante des revenus pétroliers et gaziers a servi à financer un effort sans précédent des plans spéciaux pour l'équilibre régional ainsi que la création et le développement de plusieurs entreprises et banques publiques, le développement national, accéléré et affranchi des contraintes de profit, caractérisées par l'accumulation productive, le développement économique, le progrès social, la prospérité partagée. La part de l'industrie n'a cessé de se développer pour atteindre 18% et 25% du PIB. L'Algérie produit alors presque tout, dont notamment des tracteurs, des wagons, camions, bus, chalutiers, grues, machines-outils, fer, mercure, or, etc. Des engrais, des grues, moissonneuses-batteuses, produits pharmaceutiques, produits alimentaires, médicaments, vêtements, chaussures, tenues sportives et de travail, robinets, serrures, meubles, compteurs électrique , pompes à essence, pompes hydrauliques, mobylettes, bicyclettes, téléviseurs, frigos, climatiseurs, cuisinières, nos wagons de matières premières minières et de marchandise, nos emballages. L'OFLA (Office des fruits et légumes algériens), grâce à des représentations dans plusieurs capitales à l'étranger et ports internationaux, gérait au mieux l'exportation de quantités de produits agricoles impressionnantes qui remplissait les navires de la CNAN destinés à l'exportation.

Oui, en 14 ans, la politique des années 1970 a transformé la société et jeté les bases de l'industrialisation du pays, dont un tissu industriel et manufacturier appréciable et un potentiel agricole de près de 9 millions d'hectares. Notamment, l'Algérie s'est dotée d'une plateforme industrielle diversifiée et importante avec la création de près de 70 zones industrielles, les fleurons de l'industrie nationale et des milliers d'entreprises à travers le pays, entre autres : la réalisation de grands ensembles industriels et technologiques (production et transformation) couvrant, notamment l'énergie, la pétrochimie, la mécanique, la sidérurgie, l'électronique, la pétrochimie, ciment, plastique, agroalimentaire, métallurgie, industrie pharmaceutique, pêche, mine, hydraulique. De 1967 à 1986, plus de deux millions de postes de travail nouveaux ont été créés. La population féminine occupée passe de 94.000 personnes en 1966, à 365.000 en 1989. Ainsi, l'Algérie a accru sa puissance régionale et son influence au point où elle est devenue l'une des puissances économiques les plus importantes de l'Afrique, du monde arabe et du tiers-monde. Cette évolution rapide du progrès de la société algérienne et l'émergence d'une classe moyenne dominante et productive ont fait que l'Algérie devienne économiquement, socialement et culturellement plus avancée au plan économique et culturel. On peut également rappeler, ici, entre autres, la réalisation d'un nombre impressionnant d'entreprises économiques, commerciales et bancaires locales et nationales ont vu le jour et leur rôle s'agrandir jusqu'à ce qu'elles se comptent par milliers avec notamment la multiplication de leurs usines, leurs agences ou unités, leurs réseaux de distribution et d'études à travers tout le pays. La part des hydrocarbures dans le PIB est passée à 33% en 1978, contre 51% en 2007 et 47% actuellement. A titre d'exemple, Sonatrach, avec un effectif d'environ 120.000 travailleurs et son organisation couvrait toutes les activités de l'énergie et la pétrochimie, notamment la création de plusieurs complexes industriels de transformation, dont ceux d'Arzew, Skikda, Annaba, Hassi Messaoud, Hassi R'mel, etc. D'autres entreprises géantes sont nées à l'instar de Sonacome, SNS El Hadjar, Sider, Sonelec, Sonelgaz, Sonatiba, DNC, SNLB, SN Métal, SNMC, SNIC, SONIC, Sonatram, Sonarem, Sonitex, industrie pharmaceutique (Saidal-Enapharm), Enmtp, Cnan, Cirta fabrication de tracteurs et moissonneuses-batteuses, base logistique géante (BCL fabrication de pièces industrielles), Batimétal, Snta, Ofla, zones touristiques de classe mondiale, industrie cinématographique (Oncic), construction satellites, télécommunications, informatique, centrales nucléaires, presse écrite et audiovisuelle (nationale et régionale), Institut Pasteur, la route transsaharienne de l'Unité africaine, le barrage fruitier et le barrage vert qui inspire aujourd'hui une grande expérience dans la lutte contre la désertification. Le tourisme à travers la construction de zones touristiques et de stations thermales, dont certaines de classe mondiale qui rapportaient environ 7% et 10% des revenus en devises fortes. Une agriculture rénovée et organisée en grandes exploitations agricoles (domaines autogérés) où l'Algérie arrivait à produire la totalité de ses besoins en céréales, en légumes et fruits et à même d'exporter l'excédent. Ajoutons à cela le plan COMEDOR qui devait restructurer et moderniser la capitale, voire la projection de la nouvelle capitale politique, dont le choix était porté sur Boughzoul et beaucoup d'autres réalisations. Comme aussi, nous avions construit une économie locale diversifiée, ce qui devait constituer le poumon même des collectivités locales et par voie de conséquence une fiscalité locale qui couvrait la totalité des budgets de fonctionnement au profit des communes. Tandis que la fiscalité pétrolière est consacrée seulement aux investissements. L'épargne nationale était en moyenne de 50% du PIB, la stabilité du taux de change DA/dollar avec un cours de change fluctuant entre 4 DA et 5 DA pour 1 dollar.

Dans le domaine de l'économie, ces performances étaient parmi des plus fortes dans le tiers-monde où l'Algérie s'est classée après l'Espagne et l'un des premiers pays industriels du continent africain. Malheureusement, depuis, ce projet novateur et porteur d'espoir pour édifier l'Algérie rêvée par nos martyrs a été heurté et inachevé au milieu des années 1980. En effet, le travail politique futuriste d'une Algérie nouvelle qui aurait dû se poursuivre et s'approfondir, après la mort du président Houari Boumediene en décembre 1978, ne s'est pas produit, sachant que tout ce projet d'ambitions socioéconomiques fut abandonné au milieu des années 1980, par l'introduction du fameux programme antipénurie (PAP), pour concrétiser pleinement le slogan «Pour une vie meilleure» ou encore cette fameuse restructuration organique des entreprises publiques menée dans la précipitation en 1981. Ajoutée à cela la suppression du ministère du Plan qui comprenait en son sein une intelligentsia algérienne et exclue toute perspective de développement industriel à l'amont et à l'aval, dont on connaît depuis les répercussions négatives. Résultat : selon les statistiques, le rythme des investissements dans l'industrie tombe de 50% en 1967-1978, à 30% en 1980-1984. L'indicateur le plus révélateur est la part de l'industrie dans le PIB, qui ne dépasse pas aujourd'hui, 6% du PIB en Algérie, alors que ce taux oscillait entre 18 et 25% dans les années 1970 à 1985, la croissance annuelle de 10%, avec un taux d'intégration de près de 40% en moyenne, voire 80% dans le secteur mécanique. La taille du secteur public est passée à peu près de 81% du PIB hors hydrocarbures en 1988 à 15% en 2015. Le service de la dette publique externe passe entre 1980 et 1989 de 32% à 75% en 2000. Il y a eu plus alarmant : l'Algérie vient de perdre l'investissement le plus précieux et le plus pérenne à savoir son capital humain et son intelligentsia artisans du développement national et la liquidation de près d'un millier d'entreprises entre nationales (EPE) et locales (EPL). L'explosion du chômage de près de 30% suivie de l'explosion sociale concernant la tragédie nationale du 5 octobre 1988.

Sur le plan enseignement, formation et culturel :

La démocratisation de l'enseignement et la formation, notre pays s'est doté de milliers d'écoles, de lycées, d'universités, de l'école nationale d'administration (ENA), d'écoles Polytechniques, d'instituts technologiques, de centres de recherche scientifique, de grandes écoles de cinéma, théâtre, musique. L'industrie cinématographique (Oncic) qui produisait en moyenne 20 films par an et le cinéma algérien rayonnait à travers le monde; le TNA produisait en moyenne 10 pièces par an ainsi que les théâtres régionaux. Le taux d'analphabétisme est passé de 90% en 1962 à près de 75% à la fin 1970 et nous avons aujourd'hui, éparpillés à travers le monde de très grands chercheurs, médecins, professeurs, économistes, journalistes, financiers, ingénieurs, écrivains, etc.

Cette politique a permis en outre la formation théorique et pratique aux métiers de l'industrie de toute une génération qui a réussi la transition postindépendance et classant l'Algérie après l'Espagne.