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L'Art à en mourir

par Bouchan Hadj-Chikh

Je me suis toujours demandé ? en dehors de leur qualité de représentant d'un pays sur le plan diplomatique et politique ? en quoi relève la fonction essentielle d'un ambassadeur et de ses conseillers. Si je sais que des telex ? il fut un temps ? étaient échangés entre la légation et le Ministère des Affaires étrangères (quelle vilaine appellation ; le premier gouvernement Pierre Mauroy, sous Mitterrand, avait adopté « Ministère des Relations extérieures » dirigé par Claude Cheysson, qui sonne moins « étrange »et méfiante de tout ce qui vient d'ailleurs que l'appellation actuelle) pour donner la température quant aux relations entre les deux pays, en peu de mots, bien sûr, je me suis toujours interrogé sur le travail des attachés commerciaux et, surtout, culturels. Leurs rapports inspirent-ils vraiment les ministères dans leurs capitales ? En dehors, bien sûr, de ce que nous apprenons tous par la presse ?

Imaginez que, dans la nuit de vendredi à samedi 11 Octobre, toutes les rues de Copenhague étaient littéralement envahies par la population qui, munis de « pass », allait d'exposition au visionnage d'un film, en passant par des performances d'orchestre de premier plan etc. C'était, pour avoir eu la chance de vivre ces évènements, des moments d'une grande intensité qui m'ont rappelé, un peu, le fabuleux Festival Panafricain au cours duquel les artistes africains, arabes et afro américains avaient donné, dans les rues, dans les salles et partout où cela était possible, - où l'on pouvait exposer des oeuvres également - un avant goût de ce qu'ils savent faire en matière d'art. Ce fut tout à fait exceptionnel et l'occasion d'une grande fraternité entre les peuples qui nous avaient délégué la crème de leur crème, les visionnaires de leurs peuples. Et entre nous-mêmes aussi.

Et puis, plouf ! Plus rien. Ou si peu. Il y a bien Ouagadougou. Ou un festival au Maroc. Quelques tentatives ici et là, comme à Oran, sans que cela prenne suffisamment de muscles pour que l'on vive dans l'attente de ces rencontres. Et des prix décernés. Ou promouvoir Constantine capitale de la culture arabe en 2015. Pour refléter quoi ?Quelle est notre part dans cette tranche de vie ?

La dernière trouvaille, demander à un pays tiers de nous envoyer ses experts pour rendre nos villes plus agréables à vivre. La beauté clé en main.

Comble tout : notre indigence en la matière nous a conduit à cautionner l'organisation d'une journée culturelle par un centre culturel étranger. Rendez-vous compte !

Nous sommes donc, sans vouloir être destructif ? loin de moi cette idées ? partisans du tout ou rien. Le spectaculaire et le furtif. Oran organisa pendant quelques années le « festival du film arabe », par exemple, sans se réclamer d'une politique culturelle allant dans ce sens, sans filmographie de support. Les comédiens et écrivains s'échinent à jouer pour les uns, à écrire, pour les autres, des textes, des pièces de théâtre, des tableaux qui n'ont pas dépassé le cadre du confidentiel. Je ne veux pas même parler des responsables de la culture des communes et des wilayate qui voient petit, attendant que l'état propose pour accrocher les wagons à une locomotive toussoteuse. Et quand il se trouve qu'un artiste osât proposer un projet, son évaluation n'a pas l'air de mériter toute l'attention soutenue. Dans une galerie d'art de Saint Paul de Vence, il m'est arrivé, il y a quelques années, de visiter une exposition d'un peinte algérien avec lequel j'aurai voulu m'entretenir s'il avait pu obtenir un visa, regretta la propriétaire. Et pourtant, il y avait à dire et à écrire sur lui.

Mais ça, c'était avant !

A ce niveau, continuer à vouloir s'exprimer, à dire les choses ressenties relèverait-il, pour nos artistes, de l'héroïsme. Dans un pays aussi pauvre que le Tadjikistan ? en avez vous jamais entendu parler ? ? il a suffit de mettre les artistes à contribution pour peindre les murs de la ville, exposer leur art et leurs visions. Sans recourir à l'expertise étrangère. Et Dushanbe, la capitale, si triste et morose, connue un afflux de sang neuf sur ses joues, sur ses murs.

Dans ce tableau que je ne voudrais pas trop sombre ?attentif aux premiers frémissements de la politique culturelle du nouveau ministre, Mme Nadia Labidi -relevons le volontarisme de la Chaine 3 qui « vend » les spectacles qui se déroulent dans la capitale et dans le pays. J'ai été surpris d'entendre les critiques des journalistes et leurs présentations des manifestations, compte rendus qui donnaient envie d'y faire un tour. Ils donnent l'impression d'ouvrir des huitres pour y chercher des perles à nous offrir.

Dans tous les débats qui ont jalonné notre vie ces derniers mois, j'eux le sentiment que la place de la culture n'a pas obtenu la place qu'elle mériterait et qu'elle mérite. Comme nous avons été éduqué, formaté à l'étude de la politique à partir du sommet, pensant que tout viendrait de là, trop peu d'articles ont gratté le vernis pour nous raconter, non à travers des invectiveset des propos de bas étage,qui nous sommes et ce que nous voudrions être socialement et culturellement parlant. Les caciques qui ont fait leurs premiers pas dans la culture, observèrent le silence comme s'ils craignaient dégoupiller une grenade d'une autre époque et ouvrir, comme l'expression le dit, la « boite de Pandore » que tout le monde croit encore fermée chez nous alors qu'elle fut ouverte depuis longtemps, nous livrant la Maladie, la Guerre, la Folie, le Vice, la Tromperie, la Passion, l'Orgueil, nous gardant, Dieu merci, de la Famine et de la Misère, écrasant l'Espoir que la Déesse Pandore, selon le mythe, dans sa précipitation, avaitenfermé.

L'espoir. Qui étouffe. Qui se lit sur les toiles. Qui se raconte dans les écrits, qui se joue sur les plateaux, qui s'exprime dans des notes de musiques même dans leur sons les plus tristes. L'espoir, et la parole revendiquée qui doit retourner aux meilleurs interprètes du peuple.

Quand ils sont artistes. Des vrais. Comme Abdelkader Alloula, Mohammed Khada, Tahar Djaout, Rachid Mimouni et d'autres encore. Les martyrs de la culture. Si nombreux. Que personne ne nous imposé. Que nous avons reconnu. Qui nous ont exprimé.

Artistes jusqu'à en mourir.

Je vous salue !