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La percée des tout petits Etats

par Pierre Morville

Forts de leurs particularités, de plus en plus de petits pays veulent devenir indépendants

Curieux paradoxe : les puissants moteurs unificateurs réunissant de plus en plus de peuples dans un vaste mouvement fédéraliste, sécrètent dans le même temps des aspirations sécessionnistes. L'Union européenne fournit ces temps-ci de nombreux exemples de petits pays qui veulent conquérir leur indépendance.

Certes, après 700 ans de mariage, le divorce entre l'Ecosse et le Royaume-Uni n'a pas été prononcé. Les Ecossais se sont sagement exprimés à plus de 55% contre une indépendance, très romantique mais qui comportait de nombreux risques. Economiques tout d'abord, puisque Londres avait averti que la future nation devait abandonner la livre-sterling comme monnaie. Et la manne pétrolière de la mer du Nord est doucement en train de s'épuiser?

Politiques ensuite, car il n'aurait pas été simple pour l'Ecosse de trouver sa place dans le concert des nations, l'Union européenne ayant précisé que l'Ecosse indépendante aurait dû négocier sa nouvelle adhésion à l'Europe. Quant au poids des élus écossais dans le Parlement européen, il aurait été très faible.

Il est donc étonnant que 45% des Ecossais aient voté pour la sécession. Il est vrai que, plus à gauche que la population anglaise (l'Ecosse fournit un gros wagon des députés travaillistes), les Ecossais sont très attachés à l'Etat-Providence et regardent d'un sale œil les attaques très libérales de Londres contre le système de protection sociale.

L'alerte fut si chaude que le Premier ministre anglais, David Cameron a beaucoup promis pendant la campagne électorale, notamment un accroissement bien supérieur de l'autonomie actuelle de l'Ecosse.

En matière de santé d'éducation, de justice, d'agriculture, de transport et de tourisme, les Ecossais étaient déjà maîtres chez eux.

De nouvelles négociations vont s'ouvrir avec Londres pour élargir encore cette auto-gouvernance.    L'Ecosse devrait, après avoir obtenu de sérieuses garanties sur son système de protection sociale, acquérir de plus grandes marges de liberté dans la gestion de la fiscalité et de la vie locale.

La Catalogne indépendante, coûte que coûte

Le semi-échec des indépendantistes irlandais n'a pas refroidi les volontés sécessionnistes de la Catalogne, la région la plus riche d'Espagne. Ce pays est également marqué par une longue tradition d'autonomie par rapport au Royaume. Au XIXème siècle, cette région qui s'industrialise rapidement, adopte sa propre constitution en 1892. En 1932, après de longues négociations, la Catalogne qui s'était d'abord autoproclamée république, obtient de Madrid la Généralitat, un statut particulier d'origine médiévale, qui lui garantit pleinement son autonomie. Celle-ci est suspendue par Franco pendant la guerre civile de 1936, la Catalogne étant de surcroît une région très " rouge ".

La Généralité de Catalogne est rétablie en 1978 par la nouvelle constitution espagnole qui déclare à la fois que l'unité de l'Espagne est indissoluble mais garantit le droit à l'autonomie des régions qui la constituent. Les régions n'ont toutefois pas de liberté totale en matière fiscale et judiciaire, mais sur le reste des dossiers, l'auto-gouvernance des régions espagnoles déjà est très importante. Cela ne suffit plus au 7,5 millions de Catalans (sur les 47 millions de citoyens que compte l'Espagne). Après l'échec du référendum écossais, Artur mas, le président catalan a annoncé qu'il maintenait son projet de référendum sur l'indépendance prévu le 9 novembre prochain, passant outre son interdiction par le tribunal constitutionnel. Les nationalistes considèrent en effet qu'ils doivent être les seuls à décider. " Convoquer la consultation ne revient pas à déclarer l'indépendance, il s'agit de savoir ce que pensent les Catalans " plaide un peu hypocritement Artur Mas qui sait bien qu'en cas de victoire du " Oui ", plus probable qu'en Ecosse, l'indépendance de la Catalogne serait inéluctable.

Galvanisés par ce mouvement référendaire, d'autres régions autonomistes européennes se réveillent à nouveau. En Belgique, dans la Flandre néerlandophone, les indépendantistes gagnent du terrain depuis des années.       La Nouvelle Alliance flamande (N-VA), très à droite, a remporté le tiers des voix flamandes, dans le nord du pays lors des dernières élections législatives et souhaite devenir un acteur de première importance au sein du gouvernement central.

L'Italie du Nord est également traversée de sentiments sécessionnistes cachant mal la volonté d'arrêter de payer pour le sud de l'Italie, plus pauvre et moins performant.

La " Ligue du Nord ", mouvement indépendantiste et populiste, porte cette aspiration, notamment en Lombardie et en Vénétie, donnant le nom de " Padanie " au futur pays.

Ce refus de payer pour plus pauvre que soi est l'une des constantes de nombre de mouvement sécessionnistes. Les solidarités nationales s'effritent et le projet fédéral européen, souvent très contraignant sur de banales normes réglementaires, est bien peu exigeant sur le plan social.

Du coup, beaucoup d'indépendantistes se réclament d'autant plus facilement " européens " qu'il n'existe pas à proprement parler de gouvernement européen. Chacun est donc libre chez soi ou tout au moins en a l'illusion.

Le discours fonctionne d'autant mieux que les politiques gouvernementales, au niveau national comme au niveau européen, ont bien du mal trouver une issue à la crise économique actuelle, le tout dans le cadre d'un monde " globalisé " et de plus en plus " ouvert ".

En France même, pays du cartésianisme et du centralisme étatique, si les mouvements indépendantistes n'ont pas beaucoup de poids, de nombreuses formations réclament néanmoins plus d'autonomie pour la Corse, la Bretagne, les pays basques et catalans français. Peio Etcheverry-Ainchart, un leader indépendantiste basque français juge " constitutionnellement anormal que la France soit le seul état d'Europe à ne pas reconnaître (sur son sol) d'autre identité nationale que l'identité française ". Il est vrai que la mondialisation tend à dissoudre l'idée de nation favorisant par là même, la renaissance d'une identité plus liée à des contextes ou des cultures locales.

Small is beautiful ?

La construction européenne qui a toujours pour objectif de fédérer les populations du Vieux Continent dans un élan supranational a donc paradoxalement conforté les particularismes, voire les micro-particularismes. Avec le raisonnement de base suivant : puisque les 28 états-membres de l'Union européenne sont d'accord sur l'essentiel et que la Commission européenne devient l'autorité majeure, à quoi servent les états qui par ailleurs s'avèrent incapables de nous sortir de la crise économique actuelle?

D'autant que ces mêmes Etats se sont constitués progressivement (souvent à coups de guerres et d'annexions) et ont vu leurs frontières largement se modifier au cours de leur histoire. L'Italie n'a connu son identité définitive qu'au XIXème siècle, l'Allemagne à la fin du XXème ! Le Royaume-Uni compte quatre pays distincts. La France a des identités régionales bien marquées. L'Autriche-Hongrie fut un empire qui n'a pas résisté à la guerre de 1914 et les Hongrois et les Autrichiens d'aujourd'hui n'ont aucune envie de faire maison commune. La Hongrie, au contraire, aimerait bien ressouder (sans les annexer, bien sûr) les diverses minorités hongroises réparties dans différents pays de l'Est de l'Europe. La Tchécoslovaquie s'est démocratiquement dissoute et l'UE compte dorénavant deux pays adhérents, la Tchéquie et la Slovaquie. La République Yougoslave n'a pas résisté à la fin de l'ère soviétique, plongeant dans une longue guerre civile.

Les pays qui la composent, rejoignent séparément l'Union européenne. La Slovénie et la Croatie l'ont déjà fait. Les autres républiques sont candidates. La petite Bosnie, martyrisée par un violent conflit, se partage entre deux territoires autonomes, l'un peuplé de serbes musulmans, l'autre de serbes chrétiens.

Mondialement, on assiste à la montée en puissance de petits états construits sur des bases géographiques, historiques, ethniques ou confessionnelles. Les Etats de petite taille apparaissent même comme le bon niveau de réponse face à la complexité des problèmes créés par une mondialisation croissante.

Plus souples, plus adaptables, " Les petits États ont tendance à dépenser davantage, en pourcentage du PIB, sur le front de l'enseignement et de la santé, notent deux économistes Michael O'Sullivan et Stefano Natella, il y existe une solide corrélation positive entre le rythme de la croissance économique et un certain nombre d'" infrastructures intangibles " - à savoir cette combinaison de l'enseignement, de la santé, des technologies et de l'État de droit, qui appuie précisément le développement du capital humain, et permet aux entreprises de croître efficacement. Les petits États représentent sept des dix premiers pays en matière d'infrastructures intangibles ". Qualité et stabilité des institutions, capacité à s'adapter rapidement à une économie globalisée : on retrouve ces atouts dans nombre de pays petits au regard de leur superficie ou de leur population. Ils ont permis d'identifier un " indice de solidité ". Parmi les 20 pays réputés les plus " solides ", on trouve de petites nations tels la Suisse, en tête, Singapour, le Danemark, l'Irlande, la Norvège, suivis par la Finlande, l'Autriche ou la Nouvelle-Zélande? Beaucoup de ces pays appartiennent à l'UE et apprécient justement que l'Union ne joue pas le rôle contraignant d'un véritable état fédéral, comme l'est par exemple, l'Etat américain qui exerce une réelle tutelle sur les 50 états fédérés de la République américaine.

Mais aux Etats-Unis même, un récent sondage de Reuter montre qu'un quart des américains serait favorables à une indépendance de leur état : ils seraient un tiers des sondés dans les états américains du sud-ouest des Etats-Unis : Texas, Mississipi, Louisiane, Géorgie, Floride, Caroline, Tennessee, Virginie? Bref, comme un retour de la " Guerre de Sécession "? Parallèlement, un million de Californiens ont pétitionné en faveur d'une redécoupe de l'Etat de Californie en six petits états autonomes.

Une telle évolution de l'opinion n'effraie pas, bien au contraire Ron Paul, l'un des porte-parole les plus prisés de la droite libérale américaine : " Les partisans de la liberté devraient applaudir le mouvement croissant en faveur de la sécession, comme le rejet final d'un gouvernement centralisé et des idéologies du keynésianisme et de l'assistanat (?) Fractionner les états en unités plus petites favorise la croissance économique. Car, plus la taille du gouvernement est grande, moins il a d'énergie, et plus il doit entraver la libre entreprise avec des taxes et de la réglementation ".

Petits Etats menacés d'engloutissement

Qui connait Aruba, Monserrat, Saint Christophe de Nieves, Guam, Kiribati, Niue, Palaos ..? Ce sont pourtant autant d'états qui siègent à l'Onu, petites îles indépendantes réparties sur les océans de la planète. Ces micro-états sont réunis dans une instance, PIED (Petits Etats Insulaires en Développement), qui s'est réuni début septembre à Samoa. Avec un ordre du jour angoissant : les changements climatiques. L'augmentation de la température, la fonte des glaciers, entraînant la montée du niveau de la mer sont des menaces bien réelles pour les PEID. Tuvalu, un petit pays composé d'atolls de corail au cœur du Pacifique, pourrait disparaître d'ici quelques années, si rien n'est fait pour endiguer rapidement la montée des flots. Un grand nombre des 115 îles composant les Seychelles pourrait connaître le même sort, tout comme d'innombrables petites ou grandes îles au large de l'Afrique, dans l'Océan indien ou le Pacifique. La situation est d'autant plus cruelle que ces îles ne sont aucunement responsables du réchauffement climatique et du risque de leur engloutissement. Là encore, l'unique solution passe par une solidarité réelle et active entre grands et petits pays, par l'entraide entre tous les habitants de la planète " Terre ".