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Le FMI est plus qu'attaché à l'Algérie !

par Cherif Ali

Tous les gouvernements qui se sont succédé ces 15 dernières années, n'ont eu de cesse de le dire, de l'écrire et de se prévaloir du fait que l'Algérie a remboursé, ou presque, sa dette au FMI.

On dit que c'est le Président Abdelaziz Bouteflika qui a décidé, contre l'avis de beaucoup de ses conseillers, d'éponger, une fois pour toutes, cette dette extérieure qui empêchait toute vision économique et/ou sociale.

C'était, faut-il le dire, l'un de ses engagements pris à l'entame de son premier mandat présidentiel, tout comme la paix civile dont nul ne peut contester sa concrétisation sur le terrain.

Bien avant cela donc, le pays était, non seulement, étranglé par la dette extérieure, mais il devait, aussi, faire face à une situation interne catastrophique, tant au plan social, qu'au plan économique. Le FMI exigeait du gouvernement algérien d'alors, le rééchelonnement de sa dette et le libéralisme de son économie, à grand renfort de réformes qui n'ont fait qu'appauvrir la population et se sont traduites au plan interne par le blocage des salaires et des retraites, le démantèlement des entreprises, le chômage de masse et les pénuries sur certains produits

Et sur le plan international, l'isolement du pays.

Depuis donc le remboursement de notre dette extérieure, les rapports du pays avec le FMI se sont, disons-le, apaisés à telle enseigne que cette instance délivre, à ceux qui nous dirigent, satisfecit après satisfecit, estimant que l'économie algérienne va bien.

Elle va même plus que bien aux yeux du FMI qui s'est vu accordé par l'Algérie, un prêt de 5 milliards de dollars, soit 3,8 milliards d'euros.

Il s'agissait d'une opération judicieuse mais, comme à l'accoutumée, nos gouvernants ont raté le coche en matière de communication, à croire qu'ils sont toujours dans une sorte d'interrogation, sur ce qu'ils doivent dire, ou taire à la population sidérée, faut-il le dire, par cette décision.

Pour Alger, pourtant, l'opération est gagnante sur tous les tableaux : les 5 milliards de dollars ne sortent pas de la comptabilité des réserves du pays ; ils sont rémunérés ; l'argent prêté par l'Algérie sera remboursé, avec un emprunteur aussi fiable que le FMI ; le pays contribue à éviter que la crise de la zone euro ne s'aggrave, ce qui aurait pu nuire à ses exportations énergétiques.

Les algériens pensaient en avoir fini avec le FMI, jusqu'à cette visite de Madame Christine Lagarde début mars 2013 et les supputations faites autour de son déplacement à Alger, à la tête, faut-il le préciser, d'une importante délégation d'experts.

Pour l'Algérien lambda, la directrice du Fonds Monétaire International vient à Alger, "pour encore une fois, nous soutirer de l'argent".

Il a fallu attendre, pratiquement, le jeudi 13 mars 2013, pour en savoir davantage et de découvrir dans la presse nationale, cette déclaration préliminaire de madame Lagarde : "Je ne suis pas venue en Algérie pour un prêt !". Elle a même ajouté : "Je ne suis venue, ni pour solliciter un deuxième prêt, ni pour demander une rallonge sur le premier prêt accordé au FMI par l'Algérie". Propos, reconnaissons-le, dit sur un ton, aussi, réactif que cinglant et qui aurait pu être, non seulement, évité mais aussi expliqué à la population, en termes moins incisifs, par une source autorisée, comme on dit dans nos contrées d'ici-bas.

Finalement, madame Lagarde a affirmé que sa visite dans notre pays s'inscrivait avant tout, dans le cadre «d'un partenariat fécond et renforcé entre le FMI et l'Algérie qui a pris une nouvelle dimension, depuis que l'Algérie a répondu à l'appel lancé par le fond à l'adresse de ses membres, pour renforcer ses capacités financières et mettre ses ressources à la disposition des pays en difficulté».

Les choses ont, ensuite, pris une tournure beaucoup plus technique, avec tout d'abord cette annonce relative à "la demande du gouverneur de la Banque d'Algérie qui aurait sollicité l'expertise du FMI, pour faire une étude sur le système bancaire et financier algérien". On attend de voir si cela a profité à nos banques toujours aussi frileuses.

Avant de quitter notre pays, la directrice générale du FMI qui a recommandé à nos gouvernants, en quête d'I.D.E « la nécessité de réviser la règle des 51-49%, l'assouplir pour le moins et ne l'appliquer que pour les secteurs stratégiques », a fait aussi cette déclaration étonnante : « ces derniers jours m'ont permis de mieux comprendre les aspirations de l'Algérie, ainsi que les défis qu'elle devra relever afin que l'avenir tienne ses promesses ; le FMI est profondément attaché à l'Algérie ; nous sommes votre ami, votre partenaire ».

Apparemment, le climat d'Alger a fait du bien à madame Lagarde qui s'est laissée allée à de telles confidences, ce qui nous laisse penser que le FMI, « notre ami de toujours » est plus qu'attaché à l'Algérie et que quelque part, il faut s'habituer à ses visites fréquentes !

A moins que, comme se sont autorisés à penser certains observateurs « Christine Lagarde est venue, spécifiquement à Alger, pour faire pression sur le gouvernement algérien pour qu'il dépose davantage d'or dans les coffres du FMI » ; il faut savoir que la charte du fond exige qu'une partie des quotes-parts des pays membres soit réglée en or.

Pour rappel, l'Algérie, dans le classement des pays détenant les plus importantes réserves d'or, occupe la 24ème place avec 173,6 t du métal précieux comme réserves, loin derrière les Etats-Unis (8133,5 t), l'Allemagne (3391,3 t), l'Italie (2451,8 t), la France (2435,4 t), et la Suisse (1040,1).

L'or, en fait, a toujours suscité les pires convoitises. En 1830 par exemple, la France coloniale a mobilisé 104 navires de guerre et 535 navires de commerce pour faire main-basse sur le trésor de la Régence d'Alger.

Parenthèse fermée, et bien après le départ de Madame Christine Lagarde, directrice générale du FMI, que reste-t-il de sa visite dans l'esprit de nos concitoyens ?

Un goût d'inachevé d'abord, un manque de visibilité économique ensuite et enfin, beaucoup d'appréhensions.

Franchement, les algériens les plus avertis, n'avaient pas besoin d'attendre sa visite pour faire le constat de ce qui empêche "un réel décollage de notre économie" et "le manque d'engagement des IDE" qui prennent l'allure de l'arlésienne, pour le moment, pour causes :

- d'économie dépendante des hydrocarbures.

- de méthodes de gestion à revoir.

- du manque d'attractivité des affaires et du climat à revoir.

- d'inflation et de chômage des jeunes.

- de bureaucratie et de corruption.

- de pléthore de textes réglementaires.

- d'absence chronique de foncier qui décourage plus d'un investisseur.

Quand aux conseils éclairés des experts du FMI, il y a de quoi se mettre martel en tête ; notre système de subvention des produits de base et de première nécessité, a été longtemps critiqué par le FMI, assez pour faire réagir, normalement, nos responsables qui doivent plancher sur ce sujet, qui prend aujourd'hui, l'aspect d'un dilemme cornélien :

1. les subventions qu'elles soient budgétisées (lait, céréales, pain) implicites (eau, électricité, carburants), qu'elles prennent l'aspect d'aides (logement, santé) d'exonération de droits et taxes (sucre, huile), bénéficient tant aux ménages, qu'aux importateurs qui réalisent des bénéfices monumentaux.

2. les réduire ou les abandonner n'est pas sans risques sur la paix sociale.

3. la question qui taraude nos gouvernants, pressés par le FMI et l'OMC, est celle-ci : un retour vers la vérité des prix sera-t-il bien perçu par la population, même s'il doit s'accompagner d'une augmentation des salaires ?

Il faut l'admettre, nos rapports avec le FMI seront toujours entachés de crainte, tant il symbolise la crise et nous renvoie à la face, notre mauvaise gestion, la faillite de nos politiques et la limite des compétences de nos gouvernants !

A contrario, il faut aussi reconnaître que les thérapies du FMI ne sont pas sans douleur pour les populations.

Regardez la Grèce par exemple, qui n'en finit pas de manger son pain noir, allant de P.A.S à P.A.S (Plan d'ajustement social) et de prêt en prêt, avec, planant sur sa tête, la menace d'une exclusion de la zone euro et l'appauvrissement de ses couches sociales.

Prenez également l'exemple de l'Argentine, où le désamour s'est confirmé entre ce pays et le FMI, le premier accusant l'institution extra-financière d'être responsable de sa faillite, même si, depuis 2006, il est parvenu à rembourser sa dette de 95 milliards de dollars, déjouant ainsi toutes les recommandations de cette instance et renvoyant, au passage, les experts de l'institution à leurs chères études. A ce jour, d'ailleurs les relations FMI/Argentine sont réduites à l'échange de convenances, imposé pour la nécessité de coopération avec l'institution.

Le troisième exemple se trouve à Chypre, cette ile qui a défrayé la chronique financière suite au tsunami qui a frappé, durement, ses banques. Dans ce pays en effet, l'Europe des riches, a fait un pas de plus dans l'expérimentation des mesures dures, visant à tester les réactions internes, celles des populations locales, notamment. A Chypre, tout le monde était affolé, car le sauvetage des banques a été décidé au prix d'une taxe, à effet immédiat, de 6.75% sur les dépôts bancaires pour les sommes inférieures à 100.000 euros et de 9.9%, au-delà. Les petites gens se sont précité pour retirer leurs maigres économies, craignant d'autres mesures plus drastiques, voire même, une faillite du système banquier chypriote, ce qui signifierait, à terme, la ruine des petits déposants, le chômage à grande échelle et la précarité, tant sociale que politique. Pendant ce temps là, on peut imaginer que les hauts responsables du FMI et de l'Euro-groupe, n'ont eu aucune gêne ou scrupules, à ponctionner les avoirs des dépositaires, même si parmi ces derniers il se trouve des spéculateurs ou des transnationaux, aux fortunes douteuses qui, bien évidemment, s'en remettront. Business is business, affirme-t-on, en sourdine, du côté de Breton Wood et d'autres places financières où règnent la spéculation, les affaires et la politique faite, par et pour les riches. Plus près de nous enfin, il y a eu le cas de la Tunisie ou le FMI, s'est engagé à débloquer un prêt de 1,75 milliards de dollars assorti de réformes difficiles à satisfaire : réduction des dépenses courantes (salaires, compensations, subventions), un nouveau code de l'investissement, une visibilité plus claire sur le plan politique, constitutionnel et institutionnel, une justice équitable et une réhabilitation du secteur privé. Autant dire qu'il s'agit de travaux titanesques pour ce pays qui recherche sa stabilité et qui, quelque part, risque de perdre aussi sa souveraineté pour un bout de temps.

En définitive, il n'est pas besoin qu'un pays soit endetté pour qu'il coure le risque d'une crise financière. Et ce qui nous est demandé aujourd'hui par le FMI et même l'OMC n'est plus ni moins, que l'abandon de la politique sociale du soutien des prix.

Rappelons que le pays, grâce aux recettes pétrolières, réinjecte tous les ans 10 milliards de dollars en transferts sociaux : logements gratuits, assurance chômage, dépenses de santé etc. Il est connu que la sortie d'une politique de subvention des prix est toujours problématique, surtout que l'on a ni le loisir d'en fixer les termes, encore moins les délais dont on dispose pour le faire. Et monsieur Zeine Zeidane, chef d'une énième délégation du FMI qui a séjourné du 17 septembre au 1er octobre courant dans le pays, n'a pas manqué de réitérer « la nécessité pour l'Algérie d'adopter une règle budgétaire, rééquilibrer ses finances publiques et aussi réduire ses dépenses courantes ».

En clair, l'envoyé du FMI alerte nos responsables sur l'accentuation des risques qui pèsent désormais sur la stabilité macro-économique du pays, au regard notamment, du recul de la production d'hydrocarbures et de la forte consommation interne ; « si cette situation économique est maintenue, la position extérieure de l'Algérie deviendra, inévitablement, négative dans 20 à 25 ans », a dit monsieur Zeine Zeidane.

Ce dernier n'a pas voulu, par ailleurs, se prononcer sur l'intention des pouvoirs publics d'abroger le fameux article 87 bis du code du travail, ni sur l'impact qui pourrait en découler quant au niveau des dépenses salariales à venir.

« Nous avons pris acte de la décision des autorités algériennes d'abroger l'article 87 bis, mais nous n'en connaissons pas encore les modalités de mise en œuvre », s'est contenté de souligner, très diplomatiquement, le représentant du FMI, estimant, toutefois, que « si l'Algérie veut améliorer sa compétitivité, elle doit faire attention à ce que les ajustements salariaux soient liés à des gains de productivité ».

Pour l'heure, Abdelmalek Sellal, notre Premier Ministre est plutôt optimiste ; il n'est ni préoccupé par la baisse du prix du baril de pétrole, contrairement au ministre de l'énergie Youcef Yousfi qui, il est vrai, s'est depuis contredit, encore moins par « les perspectives économiques mondiales pour 2015 » établies par le FMI qui, dans un tout nouveau rapport, note concernant notre pays, les prévisions suivantes :

1. croissance du PIB de 4,11%, loin des attentes

2. une inflation située à 4%

3. et plus inquiétant, un taux de chômage de 11,3%

De ce qui précède, peut-on affirmer que le gouvernement actuel est en mesure de :

1. maintenir une inflation endogène incontrôlable, avec des moyens financiers qui tendent à se limiter, baisse du prix du baril de pétrole oblige.

2. et surtout, répondre aux injonctions du binôme FMI-OMC appelant à l'abandon des subventions et de la règle du 51/49.

Les observateurs sont, pour le moins, sceptiques sachant que beaucoup de ministres, faut-il le dire, n'ont pas répondu aux attentes du « corps social » qui se tord de douleur et qui n'ont pas remplis les objectifs qui leur ont été assignés, ce qui laisse penser qu'un réaménagement de l'équipe ministérielle est plus que jamais envisageable, car d'actualité au regard des défis à venir. Le Premier Ministre, Abdelmalek Sellal, qui a toujours, dit-on, la confiance d'Abdelaziz Bouteflika, pourrait, compte tenu de la conjoncture que nous traversons aux plans économique, social et sécuritaire, proposer à ce dernier les changements qu'il jugera utiles.

Le Président de la République, en lui donnant acte de ce geste d'autorité, le conforterait ainsi dans sa position et dans ses choix des nouveaux ministres ou de ceux qui seront reconduits et partant, ferait taire tous les déclinologues d'ici ou d'ailleurs qui spéculent sur sa capacité à gouverner.