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Des mirages et des chimères

par Ahmed Farrah

Qu'en est-il de l'ambition qu'avaient eue, dans les années soixante-dix, les Algériens pour leur pays de devenir le Japon de l'Afrique ? Depuis, beaucoup d'eau avait coulé sous les ponts. Certes, l'Algérie a changé en bien mais aussi en mal. Elle n'est pas arrivée à devenir ce géant économique qu'elle espérait, tout simplement parce que les intentions ne suffiraient pas à réaliser des rêves, si elles n'étaient pas suivies de volonté et de sérieux. Passer d'un pays, quasiment, de paysans illettrés à une société industrielle demandait du temps et des labeurs. Des moyens énormes ont été mis dans l'éducation et la formation pour y parvenir. Des dizaines d'instituts et d'écoles de formation avaient été créés pour donner au pays les cadres qui lui manquaient. Un tissu industriel moderne est venu couvrir toutes les régions d'Algérie. Des méga-entreprises sont nées.

Toutes ces raisons avaient donné de l'espoir et du rêve aux Algériens. Le pays était théoriquement en mesure d'être ce géant africain qui allait laisser derrière lui des pays européens comme l'Espagne et tant d'autres. En ce temps-là, la Corée du Sud était presque méconnue et enlisée dans une guerre froide et fratricide. L'Argentine et le Brésil étaient aussi industriellement sous-développés. La Chine était occupée dans ses révolutions maoïstes. Bien que ses ressources humaines soient considérables et hautement qualifiées, quarante ans après, l'Algérie importe tout ce qu'elle consomme et n'exporte que ce que recèle son sous-sol. Peu à peu le rêve s'est effiloché. L'égoïsme des hommes avait pris le dessus. Les mentalités dépravées aidant, des ouvriers naïfs et des cadres inconscients ont cassé leur outil de travail pour subir ensuite des licenciements massifs, imposés par des restructurations qui se sont avérées stériles.

Voyant une aubaine dans les bouleversements nés après la tombée du mur de Berlin, les décideurs algériens n'ont fait qu'imiter la nouvelle oligarchie russe qui s'est accaparée de tous les leviers économiques de l'ex-URSS. Des joyaux industriels sont cédés à des groupes étrangers et la plupart sont jetés à la casse. Des cartels d'importateurs de containers sont apparus suite à la levée du monopole de l'Etat sur le commerce extérieur. Des milliardaires sont nés de la triste pluie d'octobre et d'autres avec le flot du Téra dollars des années fastes. Aujourd'hui, des entreprises publiques et non des moindres se voient obligées de recourir à l'endettement extérieur quand des fortunes amassées, d'une façon ou d'une autre, se trouveraient placées dans des paradis offshores.

L'économie rentière est à bout de souffle, elle a surtout profité à une minorité qui gravite autour des centres de décision, la majorité subira les contraintes de la crise financière. Si dans les années 70 le pays était démuni de compétences et faisait le plein emploi, il se permet aujourd'hui des milliers de chômeurs de luxe. N'ayant pas vécu l'enthousiasme et la fierté des premières années de l'indépendance, la nouvelle génération se pose des questions et doute de son avenir, car elle estime qu'elle n'aurait pas les privilèges qu'ont eus ses parents.

Le dirigisme franquiste a eu ses limites en Espagne, tout comme le maoïsme en Chine et si ce n'était pas l'arrivée des réformateurs à la tête de ces deux pays, le sous-développement serait encore leur souci majeur. Le rejet de l'autoritarisme doit s'appliquer autant à l'économie qu'au social parce que la liberté d'entreprendre va avec la liberté de prendre en charge son propre destin. Le parallèle n'est pas loin, l'Algérie a aussi besoin d'une nouvelle classe politique jeune, réformiste qui puisse décomplexer le passé colonial dans lequel s'y sont fixés ses parents. Elle en a assez de lire les sempiternelles histoires des autres, elle est capable d'en écrire elle-même la sienne.