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Prêcher dans le désert ?

par K. Selim

Avec le risque de paraître prêcher dans le désert ou, plus insultant, de chercher un strapontin au gouvernement, le Front des forces socialistes (FFS) continue dans sa démarche qui consiste à essayer de faire « bouger les lignes», à rechercher un consensus de raison entre les tenants du système et la société - dans ses expressions diverses - pour aller vers un changement où tout le monde a à gagner. Objectivement, il n'existe aucun signal qu'il y a un quelconque répondant de la part des tenants du régime dont les représentants visibles continuent de faire des discours plombés sur l'Algérie qui se «porte bien» avec des «institutions qui fonctionnent».

Plus personne ne se demande d'ailleurs si ceux qui tiennent ces discours y croient un «chouia». C'est totalement secondaire et on a appris à ne pas se faire d'illusion à ce propos. La seule conclusion à tirer de ce discours de plomb est qu'il n'existe aucune velléité chez les différents pôles du pouvoir d'aller vers le changement. Il n'existe aucune urgence réelle. Il y a de l'argent, la Coupe du monde a permis d'occuper les esprits, l'été - avec sa léthargie habituelle - prend le relais. Abdelmalek Sellal est chargé d'assurer le service minimum tandis qu'on ne parle plus de la révision de la Constitution. L'idée qu'on a « du temps» persiste, jusqu'à l'absurde, au sein du régime, amplifiée par une présidence de quatrième mandat bien évanescente.

Les segments « critiques» que sont, malgré eux, les médias sont sous sommation avec une reprise en main politique du secteur. La manne publicitaire ayant été «gérée» avec une approche politicienne qui a créé une inflation de titres, cela donne du champ à une politique de «redressement» tout aussi politicienne. Les tenants du statuquo, l'absurde statuquo, ne manquent pas de moyens alors que les oppositions déjà faibles sont, structurellement, empêchées de faire de la politique avec les Algériens.

Dans le monde entier, on a manifesté pour Gaza, à Alger, cela est resté interdit. Ceux qui voulaient dire la solidarité et la colère des Algériens ont été invités à aller en salle? avec Sidi Saïd et Louisa Hanoune. Alger, hormis pour le football - les fans du MCA, d'El Harrach ou du Nahd n'ayant pas tendance à attendre des autorisations pour s'exprimer -, reste sous l'interdit décrété après la marche des arouchs. Rien ne doit troubler le ronron et les vacances de l'après-élection présidentielle. Les opposants, confinés dans des espaces clos quand ils ont une «autorisation», en sont réduits à attendre l'étincelle annonciatrice d'un clash au sein du régime? Que rien n'annonce.

Car, il est évident que si l'Algérie n'est pas entrée dans une transition vertueuse, le régime mène, en interne, sa propre mise à jour. La seule négociation politique qui existe en Algérie est celle qui existe entre les détenteurs du pouvoir. Aucun changement majeur n'a été annoncé après la présidentielle, le général Toufik est toujours en place, Amar Saadani aussi. Décodé, cela indique qu'on négocie encore un nouveau «consensus» interne, entre soi, sans les autres, c'est-à-dire les Algériens, à qui on sert la rengaine des institutions qui «fonctionnent». D'un pays stable «qui exporte la stabilité», pour reprendre la dernière trouvaille de notre brillant ministre des Affaires étrangères.

Vu sous cet angle, plutôt déprimant, le FFS semble bien prêcher dans le désert en essayant de faire bouger les lignes alors que le système ne montre aucune disponibilité à bouger. Pourquoi le FFS s'entête-t-il à appeler à un consensus pour le changement que le régime ne veut pas et combat ? Il a pour lui les arguments, faussement lointains, que la gestion rentière n'a pas d'avenir même si on croit avoir trouvé le graal avec le gaz de schiste. Il a pour lui ce qui se passe dans une région en plein tourment, où la cause première des crises est l'autoritarisme et les changements constamment entravés et reportés. Et là, il suffit d'ouvrir les yeux pour observer comment des pouvoirs, arcboutés dans le statuquo et le rejet d'une citoyenneté pleine à exercer autant qu'à apprendre, n'ont rien vu venir. Pour le malheur de leurs pays et de leurs peuples.

Le FFS fait le pari, presque impossible, que les tenants du régime puissent transcender leurs intérêts immédiats pour s'inscrire dans une démarche vertueuse de rendre le pays à ses citoyens pour le protéger. Et se protéger. C'est une vision qui relève d'une autre culture que celle qui est enracinée au sein du système. Les responsables du FFS semblent tellement inquiets de l'autisme des tenants du système qu'ils ont décidé de prendre les risques de sortir du « ni-ni» qui, on a appris à le savoir, est plus confortable que la recherche de solution.