Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Un des enjeux majeurs dans la
construction des politiques publiques, à destination des jeunes peu qualifiés,
est de prendre en compte la multi-dimensionnalité des expériences, des trajectoires
et de la vie de ces jeunes. Afin d'élaborer des politiques qui associent
justice, justesse et efficacité, il s'agit de comprendre qui sont ces jeunes et
ce qu'ils vivent.
Comprendre ce que les jeunes vivent suppose, non seulement, de prendre en compte les dimensions socio-économiques et les situations familiales mais aussi les expériences spécifiques, singulières et multidimensionnelles des jeunes, non seulement d'où ils viennent mais aussi ce sur quoi ils vont pouvoir s'appuyer pour choisir, entamer ou construire une trajectoire leur permettant de s'insérer durablement. Si certaines expériences sont invalidantes (discrimination, pauvreté, assignation à un statut dévalorisé...) et d'autres validantes (obtention d'un diplôme ou d'un titre, expérience professionnelle positive, stabilité financière,...) on peut voir que, dans des conditions égales, certains jeunes vont se sentir faibles, honteux, peu motivés ou ne disposant d'aucune compétence alors que d'autres vont se vivre comme compétents, fiers et contrôlant leur situation. Au-delà des dimensions objectives de l'existence, ce sont des dimensions subjectives qui vont venir jouer, dans la capacité des jeunes à se prendre en charge. Prendre en compte ces dimensions subjectives est aussi important que de prendre en compte les dimensions objectives, dans une perspective de construction de dispositif visant à accroître les compétences mais aussi la confiance en soi, le contrôle de soi, la capacité à s'autodéterminer ou encore les capacités à nouer avec d'autres des relations positives et porteuses de sens, autant de dimensions et de variables primordiales dans le cadre de l'insertion sociale et professionnelle, mais aussi dans la gestion des transitions. Approcher les jeunes de façon multidimensionnelle consiste, en quelque sorte, à s'intéresser aux situations vécues par eux, dans différentes sphères et aux modalités selon lesquelles ces situations sont vécues, représentées ou traduites, avant d'aborder, en tant que tel, leur projet de vie. Dans le champ de l'insertion socioprofessionnelle, il s'agit essentiellement de s'intéresser aux rapports des jeunes à l'école et aux savoirs, aux rapports des jeunes à leur situation de chômage, à leurs rapports à l'emploi, à leurs rapports à leur culture d'origine et à la culture d'accueil et à leurs rapports aux dispositifs d'activation et d'insertion. Il est aussi utile de s'intéresser aux situations plus générales de ces jeunes. Qu'est-ce qu'être un jeune peu qualifié? À ce titre, on peut dire qu'être jeune, ce n'est pas être un adulte comme les autres. Les jeunes dont on parle sont des jeunes qui sont in fine, en situation de transition sociale et plus fort, de transition identitaire. Ils se situent, en quelque sorte, dans un entre-deux statuts (élève-chômeur-travailleur), souvent un entre-deux culturel (culture familiale d'origine - culture du travail). Situés dans un entre-deux, devenus - temporairement et en quelque sorte - sans statut reconnu si ce n'est un statut négatif de sans emploi, de peu qualifié ou de «loubard», ils sont aussi souvent sans grandes ressources financières mais surtout sociales, de réseau ou des ressources identitaires. Sans statut, ils n'ont, aussi, aucun rôle à jouer si ce n'est celui de chercheur d'emploi. Est-ce à dire qu'ils sont «perdus»? Loin de là et les situations connaissent une grande variabilité. Si elles ne sont pas nécessairement activées, car les jeunes sont soumis à des phénomènes d'exclusion, de relégation, de désaffiliation et de stigmatisation qui affectent leur être au monde, ils disposent, bien souvent, d'avantage de compétences que celles que de nombreux acteurs ont tendance à leur attribuer. Avoir un jeune en situation de chômage en face de soi lorsqu'on travaille dans le domaine de l'insertion, c'est souvent avoir un jeune triplement stigmatisé. Une première fois par son milieu, une deuxième par son échec scolaire et une troisième par sa situation de chômage. Cela peut aussi être un jeune instable répondant peu aux sollicitations, un jeune dont on dira qu'il n'est pas motivé ou qu'il n'a pas les compétences sociales nécessaires pour trouver un emploi. Comprendre que les comportements des jeunes ne s'expliquent pas par leurs caractéristiques essentielles, mais par des phénomènes sociaux. Comprendre que la situation d'échec scolaire et l'expérience du chômage ont pu contribuer à forger des individus, transitoirement, en situation de mésestime d'eux-mêmes et en perte de confiance par rapport au système (parfois en colère, décalés, apathiques,...) ou à la perspective d'obtenir un emploi, c'est déjà, se donner les moyens de penser des processus et des dispositifs de réhabilitation et de reconnaissance sociale. Ces constats peuvent, d'une certaine manière, faire peur mais ils sont - heureusement - loin d'être inéluctables. Le passage par la case chômage sera durable pour certains jeunes mais transitoire pour la plupart. Et si la capacité à s'en sortir dépend, essentiellement, des ressources et du réseau disponible pour se construire une autre image de soi-même, le rôle des acteurs de l'insertion peut être central, dans la construction d'expériences réhabilitantes, qualifiantes ou capacitantes. Comment les professionnels peuvent se doter au mieux des capacités et outils nécessaires pour favoriser, chez les jeunes, des transitions positives? Telle est la question centrale, comme un essai de mise en évidence, aux différents niveaux de l'action publique (professionnels, dispositifs et partenariats) des facteurs d'échec et de succès en matière de transitions des jeunes. Analyser le rapport à l'emploi Après la dimension sociale et scolaire de l'expérience du jeune, il convient de s'interroger sur son rapport à l'avenir en général et à l'emploi en particulier. Si l'approche globale est un horizon à atteindre, de nombreux acteurs travaillent principalement ou uniquement sur cette dimension. Le rapport à l'emploi des jeunes est la dimension centrale de leur insertion potentielle et l'essentiel des dispositifs contribuent à catégoriser les jeunes en termes de distance à l'emploi ou d'employabilité. Comme le rapport ou le lien à ses origines ou à l'école, le rapport à l'emploi est une réalité complexe et multidimensionnelle qu'il s'agit d'explorer et d'analyser afin de se donner, en tant qu'accompagnateur, les moyens pour agir. Le rapport des jeunes à l'emploi s'inscrit dans une diversité de modalités qui dépendent de facteurs multiples. La façon dont les jeunes se représentent l'emploi est un facteur déterminant de leur insertion ou non-insertion professionnelle potentielle. Ainsi, plusieurs études tendent à montrer que les perceptions que les personnes ont du marché de l'emploi, vont être prédictives de leurs chances d'insertion. Un jeune qui se représentera le marché de l'emploi comme fermé, par exemple, considérant qu'il n'y a pas d'opportunité à saisir, que les employeurs n'engagent pas des jeunes peu qualifiés ou exigent systématiquement de l'expérience ou qu'il n'y a pas d'emploi à cause de la crise, aura significativement moins de chances de s'insérer que le jeune qui conçoit le marché de l'emploi comme ouvert, comme dynamique et comme offrant des opportunités à condition de se mettre en condition pour les saisir. Le travail des conseillers, des accompagnateurs,... peut être un accompagnement de l'expérience d'insertion. Il consiste alors à jouer le rôle de médiateur, dans une expérience concrète de travail ou de stage par exemple. Ce type d'accompagnement a beaucoup de chances de succès. Comprendre le rapport à l'emploi, c'est aussi comprendre que le fait, pour un jeune, de dire «Je veux n'importe quel emploi», est une demande légitime. Les jeunes ont souvent peu de connaissances du marché de l'emploi, peu de compétences à faire valoir et souhaitent, avant tout, gagner leur vie. Ils ne sont pas dupes de leur situation ni de leur statut social et troquer leurs rêves pour choisir d'occuper un emploi peu qualifié, souvent précaire, avec des horaires difficiles,... s'apparente d'avantage à une résignation qu'à un choix positif. Qu'ils n'aient pas de projet précis est tout à fait normal dans leur situation et ne doit pas faire l'objet d'un jugement négatif par les accompagnateurs. Occuper une fonction précaire et peu qualifiée ne serait un plaisir et un projet positif pour personne. Comprendre le rapport à l'emploi des jeunes, c'est aussi comprendre ce qui les motive pour rechercher un emploi et mettre en évidence les aspects négatifs ou positifs qu'ils perçoivent dans le fait de travailler, analyser ses craintes et ses espoirs et mobiliser les facteurs de renforcement positif à la recherche d'un emploi. C'est aussi anticiper les obstacles possibles comme les refus des employeurs, par exemple. Le jeune ne doit pas se sentir entièrement responsable des échecs qu'il va pouvoir vivre car cela le démobiliserait complètement et ne correspondrait pas à la réalité (s'il ne trouve pas facilement du travail, c'est aussi lié au contexte) ni se sentir tout à fait irresponsabilisé au risque de cultiver le sentiment de n'avoir aucune prise sur sa situation à cause du poids du contexte La notion de responsabilité doit être abordée, plus en profondeur mais ici encore, il est utile de rappeler que l'accompagnateur doit ouvrir, avec le jeune, une voie vers une possibilité réelle d'insertion. Des efforts consentis par le jeune pour rechercher un emploi ne doivent pas se solder par des échecs totaux ou par des expériences, uniquement, vécues sur un mode négatif au risque de contribuer à la démobilisation, à la rupture de confiance ou à l'isolement. Un des rôles de l'accompagnateur est donc d'accompagner les expériences de sorte à ce qu'elles puissent faire l'objet de co-évaluations contribuant à mettre en évidence les aspects positifs de l'expérience et les effets d'apprentissage qu'elle permet. Dans ce cadre, le rapport entre jeunes et professionnels va prendre une tournure particulière. Pour les professionnels, il s'agira, tout à la fois, d'accompagner ou d'aider le jeune et de vérifier que celui-ci recherche bien un emploi. Pour le jeune, il s'agira, bien souvent, de faire en sorte que le professionnel juge qu'il en fait suffisamment pour mériter un accompagnement. Ceci ne condamne pas nécessairement le travail des facilitateurs, des conseillers à l'emploi mais peut facilement mener à des jeux de dupes et à des stratégies d'adaptation réciproque dans lesquelles les professionnels peuvent avoir le sentiment de se faire utiliser ou duper et dans lesquelles les jeunes peuvent avoir le sentiment d'être surveillé et contrôlé et de devoir «la jouer fine» pour chercher des emplois qui ne demandent pas un effort physique.. Dans un tel contexte, le travail consistant à pouvoir établir avec le jeune une relation professionnelle où chacun s'en tire gagnant est relativement complexe. Il s'agira - en quelque sorte - pour le professionnel, de transformer la contrainte en opportunité, de partir d'un contexte de possible méfiance réciproque pour co-construire une relation de confiance réciproque et porteuse de sens. Les professionnels, bien souvent attachés à la possibilité d'établir une réelle relation d'accompagnement peuvent, alors, être déçus des comportements des jeunes et les jeunes souhaitant qu'on leur fournisse un emploi peuvent être déçus qu'on s'attache, essentiellement, à vérifier qu'ils adoptent les comportements nécessaires. A suivre |
|