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A chaque recul du
prix du pétrole, la question du taux de change administré resurgit, et ce
depuis au moins novembre 1985. Comme si le taux de change n'était pas lié à
l'ensemble de la structure des taux (intérêt, salaire, profit, etc.).
Un exemple: nous dévaluons; automatiquement les importations coûteront plus cher; aussi l'ensemble des produits importés renchérissent sur le marché national impactant le panier de la ménagère (produits de consommation) et les matières premières ainsi que l'équipement des producteurs -biens intermédiaires et machines). Les effets inflationnistes sont donc certains, en particulier sur les revenus fixes (salaires, rentes et impôts) puisque les entrepreneurs ne feront que répercuter les hausses de prix des imputs reconstituant leurs marges bénéficiaires. Les bénéfices de la dévaluation n'apparaissent qu'au plan des équilibres financiers globaux (budget de l'État et balance des paiements), si et seulement si elle n'est pas la seule variable d'ajustement des politiques publiques. Aussi si elle est suivie par des réajustements des salaires (nominaux) ou du maintien des subventions des produits de «première nécessité» (aucun de leur prix ne bouge), alors les effets désirés de cette dévaluation s'évaporeront dès sa mise en œuvre. Elle ne sera bénéfique que pour les détenteurs de stocks de produits dont la valeur augmentera ; et peut-être pour quelques segments de clientèle des banques qui verront allégée une partie de l'encours de crédits accordés. La dévaluation n'est pas qu'un sujet économique (compétitivité internationale) ou social (constitution d'entrepreneurs du lendemain : l'après-pétrole). Elle est éminemment politique car elle concerne tous les acteurs : aussi bien les salariés et les dirigeants d'entreprise que les pouvoirs publics et les banques (centrale et primaires). Dans les pays à économie ouverte, le taux de change est une affaire des marchés financiers ; dans ceux dont l'économie est (relativement) administrée, le taux de change est toujours double: un pour l'économie officielle (les banques) et un autre pour l'économie souterraine (le marché parallèle). Les expériences multiples de dévaluation dans ces derniers pays depuis la Glasnost et la chute du mur de Berlin ont toutes montré qu'elle n'a été profitable que pour les oligarques (ou leur recomposition selon le degré de collusion avec les pouvoirs publics; la Russie de Eltsine puis de Poutine en est un bon exemple). Ceci étant dit, la dévaluation ne peut être un sujet tabou et encore moins la question à éviter. Elle s'inscrit dans les réformes structurelles auxquelles l'Algérie sera tôt ou tard soumise. Des réformes touchant tous les secteurs ? et pas seulement ceux économiques ? surtout à l'ère de la mondialisation numérique, dite de la quatrième industrialisation. En effet, le parapluie de la manne pétrolière ne durera qu'un temps ; il n'aura couvert que deux (peut-être trois) générations d'Algériens qui ont été couvés par un Etat-providence généreux et dispendieux, une classe politique plus attachée à ses intérêts privés immédiats qu'aux besoins internes inhérents des générations futures. Aujourd'hui, avec la Révolution du Sourire portée par une jeunesse éduquée, en large partie diplômée et mondialisée (et donc avertie : usant de moyens et modes d'expression du XXIe siècle), ces réformes structurelles ne peuvent plus être des sujets d'experts, débattant des méthodes et timings des mises en œuvre dans les cabinets ministériels ou conférences de think-tanks (plus ou moins inféodés à la pensée unique libérale prônée par les organisations issus de Bretton Woods; et ce même en Chine). Les Algériens veulent aujourd'hui plus que jamais savoir avec quelle «sauce» ils s'en sortiront, à quelle politique (publique), ils entendent adhérer ! La dévaluation est l'un des instruments possibles de cette politique mais, selon toute apparence, elle n'est pas le sujet prioritaire ; et peut-être à tort. Les gouvernements successifs depuis le contre-choc pétrolier de novembre 1985 ont chacun pris le chemin d'une administration douce du dinar dévalué (rappelons-nous l'époque de 1 DA = 1 FF) tout en promettant deux réformes mères: celle des banques (et des assurances et réassurances) et celle des impôts (et du cadastre du foncier urbain et industriel). Si la première a pu être entamée avec l'ouverture du secteur au privé national et international (sans pour autant s'engager dans une régulation par le marché) ; la seconde est restée lettre morte depuis, au moins, la tentative lancée par M. Hamrouche (un homme visionnaire et courageux que les lobbies au sein des appareils d'États, civil et militaire, ont éjecté au nom ...d'autres priorités !). Ce premier gouvernement du président Tebboune ne me semble pas assez chaud pour prendre le chemin de la dévaluation ou même d'une quelconque réforme économique structurelle ; il est comme paralysé par les urgences politiques (face au Hirak) et sociales (face aux revendications corporatistes qui n'ont pas été satisfaites depuis ces dernières années de statu quo syndical et patronal). Le paradoxe ici est de le voir ouvrir de multiples chantiers (certains novateurs) sans pour autant engager des débats tant avec les différents syndicats et partis politiques qu'avec les nouvelles forces sociales émergeant depuis le 22 février, ne serait-ce que expliquer les tenants et aboutissants de son programme d'action ou des priorités pour l'ensemble des secteurs d'activité ou pour chaque secteur. Pourtant la «communication» est au cœur de la politique envisagée par M. Tebboune tant pour l'édification des bases d'une nouvelle république que pour l'agir gouvernemental (et de façon générale : l'agir institutionnel). Les Algériens constatent une paralysie de l'appareil productif (avec ses lots de chômage forcé), un creusement des déficits du budget et de la balance de paiements, une contraction des réserves de change ; des sujets préoccupants donc que l'Exécutif ne paraît pas prendre à bras le corps. Le Hirak ne peut être rendu comptable de la fragilisation ? d'autres diront la «clochardisation» - de notre économie et notre société. Il est vrai que la situation semble de plus en plus confuse au plan institutionnel et politique : l'on ne sait pas qui tient réellement les commandes, comme on ne sait pas ce que préparent certains courants politiques sortis tout droit des calandres de l'immédiat après-Octobre 88. Il y a en Algérie comme cette sorte de «tragique lucidité du paralytique» qu'ont connue les différentes gauches latino-américaines au lendemain du putsch de Pinochet (au Chili) : personne ne sait à qui se vouer ! Cet état de fait rend difficilement lisibles les enjeux économiques de quelque nature qu'ils soient. Mais chacun sait que «time is money» ; or chez nous trop de choses sont restées en attente depuis plusieurs décennies. Il serait temps de chercher à construire un consensus pour éclairer l'avenir de tous, que ce premier gouvernement reste ou parte, que M. Tebboune accomplisse ou pas tout son mandat ! *Economiste |
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