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«Quant à la prudence et à la constance,
je soutiens qu'un peuple est plus prudent, plus constant et meilleur juge qu'un
prince. Ce n'est pas sans raison qu'on dit que la voix du peuple est aussi
celle de Dieu. On voit l'opinion publique pronostiquer les événements d'une
manière si merveilleuse qu'on dirait que le peuple est doué de la façon occulte
de prévoir et les biens et les maux. Quant à la manière de juger, on le voit
bien rarement se tromper ; quand il entend deux orateurs d'égale éloquence lui
proposer deux solutions contraires, il est bien rare qu'il ne discerne pas et
n'adopte pas la meilleure». (Machiavel, « Discours sur la première décade de
Tite-Live, Traduction Jean Vincent Perier, Charpentier, 1855)
Le changement de système politique est une œuvre de longue haleine, qui demande plus que des idées claires et des objectifs réalistes et réalisables, mais également de la constance et de la patience. Des manifestations populaires, si impressionnantes soient-elles, si massive y soit la participation, demeurent sans effet si elles ne s'inscrivent pas dans la durée. Il ne faut pas se faire d'illusion : la partie n'est jamais gagnée d'avance si l'on ne se place pas dans une perspective de constance dans la mobilisation populaire. Croire que ceux qui tiennent les instruments essentiels du pouvoir, c'est-à-dire l'argent et les forces de sécurité, vont accepter de céder aux pressions populaires, si celles-ci ne sont qu'une agitation passagère, est une dangereuse illusion. Un bon point à l'actif des autorités publiques : la modération dans les réactions face aux manifestations Il faut souligner que, jusqu'à présent, on n'a vu aucun signe indiquant que les autorités publiques seraient disposées et prêtes à écouter la voix du peuple, et à commencer à répondre à ses demandes. On doit tout de même reconnaître et souligner qu'elles se sont abstenues de recourir à l'usage illimité de la force, et que les organes de sécurité déployés sur le terrain pour veiller à l'ordre public ont fait montre d'un très grande modération, et ont réduit au strict minimum leur agressivité professionnelle. On ne peut que rendre hommage à leur comportement au-dessus de toutes critiques. Ils ont tout fait pour que les manifestations, qui ont brassé jusqu'à plus d'un million de participants, se passent dans le calme et la sérénité propre à une foule civilisée et consciente de ses responsabilités civiques. Jusqu'à présent opacité dans les desseins des autorités publiques Mais ce sont là des comportements passifs, dans le sens où le refus de la violence manifesté par les citoyens s'est reflété dans le refus d'en découdre montré par les forces de l'ordre. Jusqu'à l'heure actuelle, les autorités publiques n'ont, cependant, pas révélé leur réaction, par des décisions claires, devant les revendications des citoyens. Et on peut se demander, légitimement, si la modération actuelle des forces de l'ordre est plus d'ordre tactique que stratégique, et qu'elle a été adoptée uniquement dans l'attente de prise de décisions qui iraient à l'encontre de ce que les manifestants cherchent à travers leurs marches. Les autorités chercheraient-elles à temporiser avant de « découvrir leurs batteries », ou considèrent-elles comme légitimes les revendications exprimées par les manifestants ? Nul ne le sait pour l'instant, car les autorités tardent à exprimer leur analyse de la situation, et les éventuelles réponses ou solutions qu'elles préparent pour affronter cette crise et y mettre fin d'une manière ou d'une autre. Les trois options aussi risquées l'une que l'autre Théoriquement, les options de ces autorités sont nombreuses et diversifiées. Mais toutes ne sont pas libres de menaces d'évolution peu favorables à ces autorités. - La temporisation : si elles temporisent, la protestation pourrait s'étendre à d'autres secteurs sensibles du système politico-administratif, avec des possibilités de dérapages pouvant déboucher sur le désordre total, qui, jusqu'à présent, a pu être évité. De plus, cette option pourrait amener à une escalade des revendications, et à la radicalisation, qui ne veut forcément recours à la violence, mais simplement multiplication des manifestations et autres modes de protestation au point où elles aboutiraient à un arrêt total de toutes les activités qui définissent une vie sociale normale. Cette menace n'a rien de théorique, et on a vu ce genre de scenarios dans d'autres pays qui ont vécu des périodes de tourmente semblables, toutes choses égales par ailleurs à celles par lesquelles passe notre pays. Donc, la tergiversation des autorités publiques et leur tentative de gagner du temps pourrait ne pas tourner à leur avantage et même produire des effets qui aboutiraient à une accentuation de la crise et à un effondrement du «SMIG » de la légitimité qui leur permet de contrôler encore les mécanismes du pouvoir politique. Le recours à la répression : la seconde option serait le recours à la répression, qui, sans aucun doute, ne serait pas répugnante pour certains milieux gouvernants, d'autant plus qu'ils pourraient y voir la solution idéale pour retourner à la situation d'antan, et à la sauvegarde d'un statu quo, sous couvert de « stabilité et de sauvegarde de la paix publique » qui serait favorable à leurs intérêts politiques aussi bien que matériels. Cette option a, pour eux, l'avantage de transformer l'expression pacifique de revendications n'ayant rien d'exorbitant, en situation d'atteinte à la sécurité de l'Etat et à l'intégrité du territoire, et à leur permettre à déployer, de manière légitime, toute la force brute dont dispose l'Etat. Cependant, une telle option risquerait de ne pas aboutir aux résultats qui en seraient attendus, car même si les manifestants choisissent de ne pas riposter par la violence, une telle option aggraverait la situation de crise de légitimité qui touche actuellement les autorités publiques, et pourrait enclencher une situation de soulèvement touchant toute la population, et aboutissant à la résistance civique pacifique et généralisée, et, peu à peu, à l'option de la grève insurrectionnelle et au renversement du pouvoir en place par l'effondrement de l'ordre public que ne pourraient plus maintenir les forces de sécurité. Donc, dans les deux cas, option de temporisation et option d'usage de la répression armée, les perspectives pour les autorités publiques de reprendre le contrôle de la situation et d'imposer leur projet seraient pour le moins hasardeuses. Et de plus, elles se baseraient sur une analyse du mouvement actuel qui va dans le sens de la réfutation de sa force et de sa durée, comme de la profondeur des convictions qui la meuvent. Il ne s'agit pas d'un simple mouvement d'humeur d'une bonne partie de la population algérienne, mais d'un tsunami populaire qui a des racines profondes et est animé par des convictions assises, et difficiles à dissiper tellement elles sont ancrées dans l'esprit de la population. L'acceptation des revendications populaires : la troisième option serait, pour les autorités publiques, de prendre des mesures d'apaisement qui vont au-delà de l'abstention de l'usage de la force publique et de la temporisation. Cela impliquerait, évidemment, qu'elles ne prennent pas le chemin de la confrontation politique en s'obstinant à refuser d'abandonner leur projet actuel d'imposer le chef d'Etat présent, « mort ou vif », pour un cinquième mandat, alors qu'il a manqué, du fait de ses déboires de santé, une bonne partie de son troisième mandant, et qu'il est passé avec une majorité peu convaincante, pour finalement effectuer un quatrième mandat « virtuel », car déjà démuni d'une bonne partie de ses capacités intellectuelles. Le bon vieux temps des manœuvres dilatoires, des ruses d'évitement des obstacles, de la menace d'usage de la force ou de manipulation de l'opinion publique par des arguments fallacieux, les fausses nouvelles, les provocations et les incitations à la violence milicienne ou partisane, ne sont plus de mise. Absence totale d'institutions - relais crédibles pouvant assurer un dialogue crédible entre les autorités publiques et des représentants de la société civile Il faut souligner que le vide politique créé par une volonté de gouverner le pays sans partage, en écartant des prises de décisions tant les « partis présidentiels » que les « partis de l'opposition » tout comme les institutions élues, et le système de contrôle de la Constitution, les autorités se sont rendu la tâche de sortie de cette grave crise encore plus difficile. Les « partis présidentiels » ne disposent plus, si elles en avaient avant, de la crédibilité leur permettant de jouer un rôle quelconque dans l'apaisement des esprits et le retour au calme normal. Les « partis de l'opposition » manquent totalement de charisme comme de projet, et ressemblent à des machines à bavarder sans prise sur l'opinion publique, qui les méprise à juste titre. L'Assemblée Populaire Nationale est devenue, au fil du temps, une machine d'enregistrement des décisions arrêtées au sommet de la hiérarchie, et ne représentent plus que les intérêts des individus qui la composent, plus préoccupés à profiter des privilèges de leur position qu'à défendre les intérêts de leurs électeurs et, donc, totalement décrédibilisés, sans appel, dans l'esprit de la population qui ne leur accorde aucune importance et aucun poids dans le contexte actuel. Les associations à missions limitées de la société civile sont plus des machines à pomper une partie de la rente que l'Etat redistribue généreusement à ceux qui acceptent d'être sa claque, que de véritables institutions de relais entre l'Etat et les citoyens, destinées à lui permettre d'être à leur écoute et à prendre en charge leurs préoccupations, aussi légitimes soient-elles. En conclusion L'extrême personnalisation de l'exercice du pouvoir politique dans le pays a débouché sur cette crise actuelle, et a rendu encore plus compliquée la sortie de cette crise. Ce mode de gouvernement a abouti à la désertification politique, par la stérilisation de toutes les institutions relais indispensables pour assurer la liaison constante entre les autorités publiques et les citoyens. Ni les partis politiques « présidentiels », ni les partis dits « d'opposions », ni l'Assemblée nationale, ni évidemment le Conseil de la Nation, ni même le Conseil constitutionnel, ou les associations de la « société civile », ne peuvent servir, de manière crédible, d'instances de reprise de contact avec les citoyens, sous quelque forme que ce soit, et d'élaboration d'une solution de sortie qui ne grève ni les intérêts politiques des citoyens, ni les intérêts politiques de l'Etat, comme fondement de la continuité de la Nation et de l'intégrité territoriale, ni même les intérêts d'intégrité et de sauvegarde personnelle des détenteurs actuels du pouvoir. Les Machiavel de tout niveau se retrouvent donc fort démunis quand face à cette crise dont ils portent seuls la responsabilité et qui soulève des millions de citoyens décidés à être écoutés et à voir leurs justes revendications pour l'instauration d'un vrai Etat de droit et le respect de la fonction présidentielle, profondément ternie par la volonté des autorités publiques d'y maintenir un grabataire au bord de la phase finale de sa vie sur cette terre de pleurs et de souffrances. |
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