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L'Algérie
catholique, XIXe - XXIe siècles, préface de Jacques Frémeaux,
Oissila Saaidia, Paris,
Editions du CNRS, 2018, 314 pages
Dans un ouvrage enrichissant l'historiographie du fait religieux en contexte colonial, Oissila Saaidia, professeur à l'université Lyon II et directrice de l'IRMC (Institut de recherches sur le Maghreb contemporain) à Tunis nous propose une histoire de la religion catholique en Algérie de 1830 à nos jours, avec un intérêt particulier pour le XIXe siècle. Cette histoire a subi un anathème à cause de son association à la mémoire de l'Algérie française. Pourtant, la religion catholique a pu aussi servir la cause de l'anticolonialisme avec la figure du cardinal Duval, archevêque d'Alger (1954 - 1988), qui a dénoncé la torture pendant la guerre d'Algérie. Oissila Saaidia l'oppose justement à Monseigneur Lacaste (1946 - 1972), évêque d'Oran, plus proche des Européens d'Algérie, bien qu'il soit resté en fonction après l'indépendance. D'autres ecclésiastiques ont aussi soutenu la guerre de libération nationale algérienne. Ami de Che Guevara et de Fidel Castro, l'abbé Alfred Berenguer (1915 - 1996), enfant de l'Oranie, d'origine espagnole, a participé activement à la lutte diplomatique du FLN en ralliant plusieurs pays d'Amérique latine à la cause algérienne (Michel Kelle, Cinq figures de l'émancipation algérienne édité en France chez Karthala et en Algérie chez Casbah Editions avec une préface d'Aïssa Kadri et une postface de Jean-Philippe Ould-Aoudia). A l'indépendance, il a enseigné l'espagnol au lycée du chahîd Docteur Benaouda Benzerdjeb de Tlemcen. L'ouvrage de Oissila Saaidia se situe dans une historiographie des contacts entre catholiques et musulmans en situation coloniale tout en se montrant soucieux de la connaissance du terrain. Il suit trois axes essentiels : l'histoire de l'Eglise en tant qu'institution en Algérie, l'histoire des croyances et des pratiques religieuses des catholiques dans la colonie et les interactions entre les catholiques et les musulmans. Les processus d'hybridation, d'acculturation et les syncrétismes culturels, notamment dans le domaine des superstitions populaires, sont également évoqués. Les annexes apportent d'utiles compléments d'information avec la liste des évêques d'Algérie (1838 - 2016) pour chaque diocèse et des statistiques sur la population catholique et sur le clergé de la colonie. Les sources utilisées sont clairement répertoriées. Elles sont archivistiques. Fruit de recherches menées sur de longues années, les Archives d'Outre-mer à Aix-en-Provence ont été exploitées avec profit, mais aussi les Archives nationales françaises, les Archives de l'archevêché d'Alger et les Archives des pères blancs à la Maison généralice de Rome. Les documents de terrain conservés sont beaucoup plus importants pour Alger que pour Oran à cause des aléas de la guerre d'Algérie. Les sources utilisées font aussi largement appel aux imprimés à l'instar des Semaines religieuses d'Alger et d'Oran. Elles sont aussi juridiques, tout en montrant le contraste avec la situation sur le terrain. L'ouvrage reproduit l'ordonnance du 28 février 2006 du président Bouteflika fixant les conditions d'exercice du culte non musulman. L'histoire de l'Eglise en Algérie, écrite par Oissila Saaidia, montre que la colonisation a été totale dans cette colonie de peuplement. Au même titre que l'école et la santé, l'Eglise a été une institution coloniale, de surcroît, en très forte symbiose avec l'armée d'Afrique. Se légitimant par le passé prestigieux de l'Eglise romaine, elle profite de la conquête pour se réimplanter dans un espace islamisé d'où elle avait disparu en créant un réseau de paroisses, de diocèses, d'églises et de couvents. Sans le soutien financier de l'Etat colonial, elle n'aurait pu se développer. Rares étaient les prélats en conflit avec les autorités. Le toast d'Alger à la République en 1890 du cardinal Lavigerie, archevêque d'Alger et de Carthage, siège épiscopal restauré en 1884, est un épisode connu. Oissila Saaidia note l'exception de Mgr Bussière, vicaire général d'Oran et évêque de Constantine (1913 - 1916) en conflit avec les responsables politiques à cause de ses idées antirépublicaines. Reprenant une thèse développée dans son ouvrage Algérie coloniale, musulmans et chrétiens : le contrôle de l'Etat (1830 - 1914), paru aux Editions du CNRS en 2015, selon l'auteur, l'Eglise coloniale a été essentiellement concordataire même après la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat en 1905, celle-ci étant applicable en Algérie à partir de 1908. Si les congrégations enseignantes ont dû quitter la colonie comme en métropole, la guerre scolaire a été moins virulente. L'Eglise a été un instrument de la colonisation en Algérie dans le but de la modeler à l'image de la France. Mais, des différences ont subsisté. Le clergé devait porter la barbe selon une ordonnance de 1853 pour susciter le respect chez les musulmans. Sur ce point, les religieux catholiques imitaient le prophète Mohammed. L'Eglise d'Algérie est aussi une institution de contact avec les musulmans, ce dont témoigne sa tentation missionnaire. Concernant les croyances et les pratiques religieuses, dans des diocèses beaucoup plus étendus qu'en métropole, entre 52.700 et 87.500 km2, la religion catholique a été un repère spatial et temporel majeur pour les colons, surtout dans les espaces ruraux, où ils étaient minoritaires, à l'instar du diocèse de Constantine, mais aussi dans les grandes villes peuplées d'Européens d'origine latine pour qui le christianisme est un élément majeur de l'identité. Dans une société coloniale plurale, pour reprendre une expression de John S. Furnivall, reprise dans les travaux de Jacques Frémeaux, la religion catholique assurait l'unité et garantissait la distinction des colons par rapport aux colonisés, mais aussi vis-à-vis des protestants et des juifs. Suite au décret Crémieux en 1871 leur accordant la nationalité française bien avant les Espagnols, les Italiens et les Maltais en 1889, les juifs algériens ont subi l'antijudaïsme et l'antisémitisme à la fin du XIXe siècle lors de la crise antijuive, particulièrement longue et virulente à Oran de 1895 à 1905 avec les graves émeutes de 1897, mais aussi dans l'entre-deux-guerres et sous le régime de Vichy où ils ont été déchus de leur nationalité (voir Geneviève Dermenjian, la crise anti-juive oranaise de 1895 à 1905, Paris, L'Harmattan, 2000). Le catholicisme algérien n'était pas déconnecté de l'Eglise de France. Il est traversé par les mêmes débats autour du catholicisme social et de la création d'une démocratie chrétienne. La biographie consacrée par François Renault à Mgr Lavigerie montre qu'il était un conseiller écouté du pape Léon XIII, auteur de l'encyclique Rerum Novarum en 1891, à l'origine de la doctrine sociale de l'Eglise. Le livre de Oissila Saaidia contient un passage très intéressant sur les deux visites en Algérie en 1904 et en 1907 de Marc Sangnier (1873 - 1950) un des précurseurs de la démocratie chrétienne et le fondateur du Sillon, en Algérie. Comme dans la France du XIXe siècle, le culte marial est très prisé par les migrants espagnols, italiens et maltais qui peuplent la colonie. Le rosaire est une illustration de cette piété mariale. L'adoration du Saint-Sacrement, caractérise, comme en métropole, la pratique extériorisée des catholiques dans l'Algérie coloniale avec ses patronages, ses processions et ses œuvres. Le catholicisme algérien a été français, méditerranéen et romain en lien avec la Congrégation pour la propagation de la foi qui ambitionnait à l'origine de faire de l'Algérie non pas un diocèse, mais un vicariat. Sur les interactions entre chrétiens et musulmans, Oissila Saaidia nous explique également que l'Algérie a été une terre de mission avec la création de la Société des missionnaires d'Afrique ou « pères blancs » en 1868 par le cardinal Lavigerie, mais sans prosélytisme. Généralement, le clergé séculier se consacrait plutôt aux Européens et le clergé régulier aux autochtones. Pour autant, le discours colonial dominant sur les autochtones, dont l'Eglise produit le volet religieux, les assignait perpétuellement à leur identité ethnique et religieuse déterritorialisée d'Arabes, de Kabyles et de musulmans. Les rares conversions de musulmans à la religion catholique ont surtout été enregistrées en Kabylie pour des raisons d'ordre socio-économique comme l'a étudié Karima Direche Slimani dans Chrétiens de Kabylie (1873 - 1954), une action missionnaire dans l'Algérie coloniale (Paris, Bouchene, 2004). Il s'agit de « conversions de la misère » de quelques milliers de marginaux dans une région ayant été durement touchée par la répression des insurrections de 1854, de 1864 - 1867 et de 1871, par la famine en 1867 - 1868 et par les épidémies. Par leur action médicale en Kabylie, les pères blancs ont pu susciter des apostasies. En effet, pour les musulmans, ces convertis étaient des apostats ou m'tournis. Ils vivaient en marge de la société kabyle, souvent dans les hameaux chrétiens, en bas du village ancien. Beaucoup d'entre eux ont opté pour l'émigration après la première guerre mondiale. Selon le discours religieux colonial, les Algériens étaient surtout les catholiques, ce qui constitue une spoliation sur le plan identitaire. Cette doxa faisait peu de cas des juifs, des protestants, des athées et des processus d'hybridation complexe existant dans la société coloniale. Cette essentialisation à connotation raciste des musulmans, nécessairement fanatiques, pour les catholiques, est exacerbée à l'occasion de crises comme la révolte de Margueritte en 1901 étudiée par Christian Phéline. En effet, les colons conservaient en mémoire les insurrections des Algériens musulmans au XIXe siècle fondées sur l'appel à la guerre sainte. Sur l'histoire de l'Eglise catholique dans l'Algérie indépendante, sans trop privilégier les sources orales, l'ouvrage contient des développements intéressants dans une société algérienne qui officiellement privilégie l'unitarisme arabo-musulman, mais qui, en réalité, a connu de nombreux métissages culturels. Quelques ouvertures de la part du pouvoir ont eu lieu ces dernières années avec le colloque international consacré à Saint Augustin en 2001, la restauration de Notre Dame d'Afrique, terminée en 2010 et de la basilique « Lala Bouna », consacrée à Saint Augustin à Annaba, achevée en 2013. Ces deux édifices religieux sont des lieux saints partagés entre les chrétiens et les musulmans. Ce n'est qu'en 2006 que l'Eglise d'Algérie a pu obtenir un statut officiel de la part de l'Etat algérien, tout prosélytisme lui étant interdit. Elle est confrontée à de nombreux défis : le vieillissement de son clergé, l'aide à apporter aux migrants subsahariens et un cadre réglementaire contraignant. Pour autant, les relations entre catholiques et musulmans semblent plus matures ces dernières années en Algérie. Expression de ce renouveau, l'Eglise catholique en Algérie a pu honorer ses martyrs au nombre de 19 dont Mgr Claverie, évêque d'Oran, les 6 moines de Tibhirine, tués entre 1994 et 1996. Ils ont été béatifiés le 8 décembre 2018 dans la chapelle de Santa Cruz qui surplombe la baie d'Oran avec sa tour et sa statue de la Vierge. Lieu saint partagé, Marie dans le Nouveau Testament / Maryam, seule femme ayant donné son nom à une sourate du Coran, incarne la mère universelle. La cérémonie était présidée par le cardinal Giovanni Angelo Becciu, préfet de la congrégation pour la cause des saints envoyé par le pape François, du ministre algérien des Affaire1s religieuses Mohammed Aïssa et de 1.200 personnes dont les familles des victimes invitées. Comme l'a écrit Mehdi Boukhalfa, journaliste au Quotidien d'Oran, cette cérémonie a permis une véritable « communion » entre chrétiens et musulmans pour panser les plaies de la « tragédie nationale » des années du terrorisme. Le livre de Oissila Saaidia est un travail important permettant de penser toute la diversité des héritages culturels en Algérie. Il vient assurément combler un manque. Il existe peu de travaux sur les contacts entre chrétiens et musulmans en situation coloniale et postcoloniale. Espérons que cet ouvrage suscite des vocations d'historien aussi bien en Algérie qu'en France. *Docteur en histoire |
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