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L'éternelle problèmatique de la collecte des ressources bancaires en Algérie: Perspectives de développement de l'épargne (1ère partie)

par Benchohra Menouar*

Dans son rapport de l'année 2016 1 la Banque d'Algérie note un tarissement de la liquidité bancaire, et appelle les banques commerciales à une stratégie de collecte des ressources, « d'autant plus que la part de la monnaie fiduciaire dans la masse monétaire globale est extrêmement élevée». Une vérité qui est devenue au fil des années une tautologie.

En fait, quiconque suit l'information économique sait que le problème de la collecte des ressources bancaires ne date pas d'hier, il est endémique mais dont le débat a toujours été escamoté grâce au concours des recettes pétrolières : il suffit d'examiner les rapports annuels de la Banque d'Algérie des dix dernières années et bien au-delà pour constater cette évidence.

Il y'a presque deux ans 2 Le gouverneur de la Banque d'Algérie de l'époque avait tenu les mêmes propos en déclarant qu'il était préoccupé par de la baisse des liquidités dans le circuit bancaire et le risque d'assèchement du financement des entreprises.

La diminution de l'encours des dépôts à vue et à terme collectés par les banques primaires de 2,2% durant l'année 2015, comme le notait le rapport annuel de la Banque d'Algérie, était suivie encore une fois d'une baisse plus accentuée de 2,3% en 2016. Cette année là le Gouverneur de la banque d'Algérie exhortait les banques commerciales à aller chercher l'épargne auprès du public et échanger de l'argent entre elles.      D'ailleurs, dans son rapport de 2014 la Banque d'Algérie reconnaissait explicitement que la part des dépôts principalement à vue collectés par les banques, avait augmenté au détriment des dépôts à terme compte tenu de la hausse des dépôts du secteur des hydrocarbures (52,1 % contre 48,9 % en 2013; le prix du pétrole avait entamé sa chute dès la mi-2014.

En 2017, c'est l'effet inverse : la diminution des ressources des banques était liée aux déficits des paiements extérieurs, conséquence de la chute des recettes du pétrole. Cette situation a contraint les banques au recours au refinancement auprès de la Banque d'Algérie comme c'est le cas en second semestre 3. Pour plus d'illustration, en remontant à l'année 2009, nous retrouvons une situation similaire à celle d'aujourd'hui et le même constat évoqué dans le rapport de la Banque Centrale :«L'activité collecte des ressources à vue et à terme des banques a connu globalement un tassement, voire une baisse inhérente à l'effet du choc externe sur les ressources du secteur des hydrocarbures.»

Dans tous les cas, nous constatons qu'au fil des ans la situation en matière de collecte des ressources bancaires ne s'est jamais améliorée en dehors de l'apport des revenus tirés des hydrocarbures, mais qu'elle s'est détériorée davantage depuis leur chute.

A la lumière de la politique des taux d'intérêt, nous allons présenter quelques exemples qui dénotent à nos jours que la problématique de la collecte des ressources bancaires en Algérie n'a jamais été prise véritablement au sérieux ni par les pouvoirs publics, ni par la Banque d'Algérie, ni par les banques primaires.

1 - En 2013, il s'est produit la libéralisation des taux par la promulgation du règlement n° 13-01 du 08 avril 2013 fixant les règles générales en matière de conditions de banque applicables aux opérations de banque et dont l'article 9 cite: « Les taux d'intérêt créditeurs et débiteurs sont librement fixés par les banques et établissements financiers. Les taux d'intérêt effectifs globaux sur les crédits distribués par les banques et établissements financiers ne doivent, en aucun cas, dépasser le taux d'intérêt excessif fixé par la Banque d'Algérie.»

Malheureusement, la libéralisation des taux n'a pas eu l'effet escompté comme pour les années précédentes : les dépôts à terme collectés par les banques publiques ont chuté de 19,6 % en 2012 à 10,7 % 4. Il en est de même pour les revenus du secteur des hydrocarbures qui ont reculé et donc les dépôts à vue bancaires aussi.

2 - En 2009, en remontant quatre années plus tôt, nous retrouvons le règlement n° 09-03 du 26 mai 2009 au contenu quasi-identique fixant les règles générales en matière de conditions de banque applicables aux opérations de banque dans son article 5 qui cite: « Les taux d'intérêt créditeurs et débiteurs ainsi que les taux et niveaux des commissions applicables aux opérations de banque sont librement fixés par les banques et établissements financiers. La Banque d'Algérie peut, toutefois, fixer le taux d'intérêt excessif. Les taux d'intérêt effectifs globaux sur les crédits distribués par les banques et établissements financiers ne doivent en aucun cas dépasser le taux d'intérêt excessif.»

Malgré cela, comme nous l'avons mentionné précédemment, l'année 2009 a connu de la même manière un assèchement du financement bancaire. Cette situation néfaste et de risque probable de liquidité bancaire, a poussé dès le début de 2015, année fortement marquée par la crise financière à la suite de la chute des prix du pétrole, la Banque d'Algérie à prendre des mesures afin de permettre aux banques de recourir au refinancement (le règlement n° 15-01 du 19 février 2015 relatif aux opérations d'escompte).

3 - En janvier 2016, pour le lancement du crédit à la consommation, le président de l'ABEF (Association des banques et des établissements financiers) déclarait à la radio de la chaîne trois: «les banques disposent désormais des instruments réglementaires et juridiques pour démarrer, dans quelques jours, l'octroi des crédits», et que chaque banque « est en droit d'en définir les conditionnalités». Dit d'une autre manière, chaque banque est libre de fixer les taux qu'elle juge rentables. Il s'en est suivi une situation où les banques ont appliqué d'une manière anarchique ce règlement et pratiqué des taux d'intérêt créditeurs ayant atteint des niveaux démesurés, échappant à tout contrôle, même à celui de la Banque d'Algérie alors que l'une de ses premières missions est la gestion et la surveillance des banques primaires.

Ce dérapage n'a pris fin qu'en septembre 2017, presque deux années après, par l'introduction d'une instruction de la Banque d'Algérie visant à mettre fin aux taux d'intérêt excessifs dénoncés par les emprunteurs. En outre, l'expérience a montré que l'absence de concurrence interbancaire, fomentée par les banques publiques elles-mêmes, a neutralisé l'effet de causalité et a essoufflé le marché interbancaire.

La gestion difficile de la politique monétaire par la Banque d'Algérie, conjuguée à l' incapacité des banques publiques à drainer l'épargne, dans des conditions favorables, témoigne globalement d'un marasme profond et endémique de l'activité bancaire dans notre pays.

Le retour à la réglementation des conditions créditrices, en 2017 par la Banque d'Algérie notamment, est perçue comme un moyen d'éviter que les banques et les établissements financiers ne retombent dans les errements du passé.

Ce mouvement de déréglementation - réglementation des taux d'intérêt sans résultat - fait preuve de difficultés que rencontre la Banque d'Algérie mais fondamentalement du manque de maturité professionnelle des banquiers en Algérie. Et l'on peut se poser la question suivante : pourquoi nos voisins réussissent-ils mieux que nous dans ce domaine avec les mêmes situations économiques et conditions d'exercice de l'activité bancaire ? Sinon, comment expliquer qu'en périodes de libéralisation des taux, notamment en 2009, 2013 et 2016, les banques n'ont jamais su drainer un minimum d'épargne ?

Perspectives de développement de l'épargne

Pour pallier cette pénurie de ressources bancaires et limiter les effets cumulés de facteurs tels que les plafonnements des taux d'intérêt, l'inflation, la politique fiscale 5, certaines options peuvent être envisagées telles que:

Une régulation monétaire pragmatique; La substitution au marché financier; L'excédent budgétaire;

La vulgarisation du marché des devises.

Une régulation monétaire pragmatique

Notre pays se trouve dans une situation où l'épargne interne reste l'ultime recours pour financer les investissements et promouvoir les entreprises puisque depuis des années les tentatives - dévaluation de la monnaie entre autres-menées dans le but d'attirer les capitaux étrangers ont toutes échoué. La politique monétaire menée depuis de longues années pour la mise en place d'un système bancaire viable mais surtout une stabilité financière, ne semble pas apporter ses fruits. Le secteur bancaire est celui qui a pris le plus de retard en Algérie. La gestion de la monnaie par la Banque d'Algérie dès les années 2000 par le recours aux réserves obligatoires mais aussi par la reprise directe de l'excès de l'offre avait pour seul but de créer une pénurie de liquidités pour pouvoir mettre en place sa politique monétaire. Un rapport établi entre 2005 - 2006 par l'OCDE mentionnait que la liquidité bancaire très importante en Algérie, a été progressivement réduite par une politique active de la Banque d'Algérie de «reprise de liquidités ». Cette opération, jointe à un relèvement du taux des réserves obligatoires, a permis de réduire la croissance de l'excès de liquidités des banques. Le rapport ajoute que grâce à la politique monétaire restrictive de la Banque d'Algérie, l'inflation a pu être contenue avec des taux modérés de 3,6 pour cent en 2004 et de l'ordre de 5 % en 2005.

L'excès de liquidité serait un frein à la politique monétaire menée par la Banque d'Algérie car, selon cette hypothèse, il facilite l'accroissement du crédit et donc l'inflation. Par contre, quand le crédit est cher, il n'y a pas de création de monnaie et donc pas de liquidité.

Mais quel est l'intérêt de vouloir réduire la liquidité bancaire et l'inflation aussi bas dans un pays qui cherche à se développer ?

Telles étaient également les recommandations du FMI en 2014 6 la politique monétaire de la Banque d'Algérie, par l'entremise d'une pénurie de liquidité structurelle au sein des banques rendrait le marché interbancaire plus actif ..

Malheureusement, cette alternative de rendre le marché bancaire performant est un échec incontestable : depuis des années, la Banque d'Algérie semble fourvoyée car même en dépit des actions menées pour la résorption des liquidités et l'imposition d'un taux de réserves obligatoires, sa politique monétaire bute. Pour preuve, après avoir fait marche arrière en procédant à la diminution du taux de réserves obligatoires qui passe de 12%, en 2013, à 8% en 2016 et à 4 % en août 2017, elle rehausse une nouvelle fois ce taux à 8% depuis le 15 janvier 2018. Au demeurant, cette volte-face en une période de temps si courte (quatre mois) n'a pas eu les effets escomptés car les liquidités étaient déjà réduites au second semestre 2017, ce qui a requis le recours de plusieurs banques au refinancement auprès de la Banque d'Algérie au cours de second semestre de 2017. 7

Pour rappel, Les réserves obligatoires représentent les liquidités et les avoirs que les banques et institutions financières doivent obligatoirement déposer auprès de la Banque Centrale. Plus le coefficient de ces réserves obligatoires est faible, plus les banques commerciales pourront accorder des crédits et inversement, si la Banque Centrale augmente ce taux, celles-ci seront plus réticentes car une bonne partie de leurs avoirs sera gelée en monnaie centrale.

Ces constatations nous amènent à soulever deux questions : pourquoi la Banque d'Algérie s'entête-t-elle à suivre une politique monétaire restrictive et les recommandations du FMI et de la Banque Mondiale ? Quel est l'intérêt de cibler l'inflation puisque cette politique n'a permis aucun essor économique, la croissance étant toujours faible ?

Le contrôle de l'inflation concerne les pays développés et non les pays ?'en recherche de développement'' comme le nôtre ; il ne peut y avoir, pour les pays en voie de développement, de croissance sans inflation. L'expérience a montré que seuls quelques pays industrialisés, de la zone euro, les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande, la Suède, la Grande-Bretagne et exceptionnellement l'Afrique du Sud, qui avaient adopté cette stratégie dans les années 90 et qui avaient fait du contrôle de l'inflation un moyen de politique économique - et non une fin en soi - ont réussi à maintenir la croissance mais surtout l'emploi à long terme.

Ce n'est pas le cas des pays en voie de développement. La communauté des Etats indépendants (CEI) regroupant les anciens pays de l'Est et la Russie qui ont adopté comme priorité la lutte contre l'inflation et le renforcement d'un taux de change stable dans des conditions presque similaires à celles de notre pays aujourd'hui en vue de soutenir une économie de marché par la privatisation et stimuler l'investissement par l'apport des capitaux étrangers, ont obtenu une perte de production importante qui s'est répercutée sur la croissance.

Les pays de l'Amérique latine ont favorisé, pendant les mêmes années, un programme anti-inflationniste qui a conduit à une progression ralentie du PIB par habitant, ce qui a poussé les gouvernements à opter alors en faveur d'autres mesures pour stimuler la croissance. Dans notre pays, on se presse à tout moment d'afficher les résultats de l'inflation pendant que le pays connaît encore d'énormes problèmes économiques.

En outre, si les réserves obligatoires ne sont pas rémunérées à un taux incitatif, 8 cela va avoir un effet boule de neige, une sorte d'effet d'entraînement négatif de la part des banques commerciales.

Celles-ci vont chercher à compenser cette imposition à relever les taux de leurs crédits ou à diminuer les aux de rémunération des dépôts, notamment en cas d'augmentation du montant de ces réserves. Tout cela constitue un frein à la collecte des ressources..

Et l'exemple d'emballement des taux d'intérêt survenu en 2017 est très significatif et risque de persister en raison de l'effet conjugué de la hausse cette fois-ci du taux de réescompte (refinancement hors marché) qui a été rehaussé de 0,25%, passant de 3,50% en 2016 à 3,75%, car de la même manière, quand la Banque d'Algérie augmente le taux de ses opérations de refinancement, les banques commerciales vont répercuter cette hausse sur les coûts créditeurs et débiteurs qu'elles pratiquent. Par ce fait, la Banque d'Algérie doit assurer la cohérence dans les objectifs de sa politique monétaire et des mesures dictées aux banques commerciales afin de leur permettre de jouer leur rôle d'intermédiaire financier.

A ce titre, on peut citer les mesures adoptées par le Mexique, dans les années 1988 - 1990 , période de libéralisation financière similaire à la nôtre, telles la suppression de certains contrôles des taux d'intérêt, l'élimination des taux d'intérêt maximum et l'autorisation de paiement d'intérêts sur les comptes courants afin de promouvoir l'épargne financière, mais surtout la suppression des exigences des réserves obligatoires et leur remplacement par des ratios de réserves légales et par un coefficient liquidité à 30%.

Les responsables de la banque d'Algérie déploient leurs efforts continuellement en faisant la chasse aux liquidités aux moyens des instruments monétaires quand il y a un excès mais s'alarment aussitôt dès qu'il y a une pénurie.

C'est tout le paradoxe : comment traiter le problème lorsque le remède en soi est accusé d'être à l'origine de la maladie ?

Le plus grand problème dans la politique monétaire dans notre pays n'est pas l'excès de liquidité, mais la déficience dans la gestion de l'allocation des ressources bancaires.

Les autorités monétaires n'ont jamais véritablement consacré le développement du secteur bancaire comme priorité du développement économique.

La Banque d'Algérie a encore beaucoup de chemin à parcourir avant que sa politique monétaire n'atteigne ses objectifs, malgré les mesures déployées pour faire face à la crise de liquidité bancaire..

A la lumière de ce qui précède, la Banque d'Algérie devrait aborder une approche plus pragmatique en changeant ses pratiques et procéder impérativement à un diagnostic par l'étude de l'interaction entre la politique monétaire qu'elle mène et l'activité des banques primaires pour déterminer et évaluer les difficultés dans ce domaine et lever les contraintes.

Il est indéniable que les différentes théories monétaires ont montré leurs limites et la crise financière de 2008 est manifestement une remise en cause notamment du monétarisme. Et pour preuve, récemment encore, le mini krach de la Bourse de New York qui s'est produit en date du 5 février de cette année avec la chute, en une journée, de l'indice Dow Jones de 5% et les cours des actions des principales entreprises américaines. Pour cause une diminution du chômage ou augmentation d'emplois suivie par une hausse des salaires, de la masse monétaire, donc de l'inflation et au bout une crainte de relèvement des taux d'intérêt par la tutelle des marchés financiers.. C'est la preuve de la déconnexion entre la sphère financière et celle de l'économie réelle, entre la théorie et la pratique et c'est un exemple d'antithèse monétariste car c'est la baisse de l'emploi qui aurait eu, en principe, de telles conséquences.

A suivre

*Retraité, ancien sous directeur au Trésor public



SOURCES:

1-Voir article journal liberté A la une / Actualité Créances non performantes, collecte des ressources, finances publiques?Par Rabhi Meziane le 04-12-2017 12:00 Le constat accablant de la Banque d'Algérie

2- Voir le quotidien national ouest info du 17 janvier 20l6

3. Voir Tendances monétaires et financières au premier semestre 2017 Banque d'Algérie

4- Rapport de la banque d'Algérie 2013

5 - Ces éléments importants ont été abordés dans la première partie de ce présent article intitulée « les facteurs limitatifs de l'épargne» mais a été retranchée en raison de la longueur du texte et fera l'objet d'une publication à part.

6- Voir étude sur la stabilité financière de l'Algérie FMI juin 2014 )

7 - Voir rapport Tendances monétaires et financières au premier semestre 2017, rapport de la BA)

8 -Ce taux étant de 1.75 % en 2004 , a stagné les années suivantes à 1% ensuite a été rabaissé à 0,5% à ce jour,