Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
1re partie
Peut-on croire à l’adage «Celui qui possède de l’or fait la loi» ? Il faut rappeler que la Chine et la Russie, depuis la crise financière de 2008, se sont lancées dans une course effrénée pour remplir leurs coffres d’or. Mais est-ce pourtant un pronostic suffisant pour conclure que ces achats d’or constituent l’envers d’une facette de la guerre des monnaies entre l’Est et l’Ouest ? Autrement dit, une guerre des monnaies par une guerre de l’or. Peut-on croire que la Chine a privilégié l’or comme arme dans une guerre des monnaies qui a pour objectif d’éliminer le «privilège exorbitant» que possèdent les Etats-Unis depuis la conférence de Bretton Woods (New Hampshire, Etats-Unis), en 1944 ? Il faut rappeler que le «privilège exorbitant» consiste à avoir sa monnaie comme monnaie de réserve principale internationale, sans même la couverture en or que le président a supprimée en 1971. C’est le «droit de seigneuriage» ou le droit du prince de frapper la monnaie qui dépasse de loin les frais de fabrication de la monnaie. Aujourd’hui, le dollar US compte pour environ 62% dans les réserves de change mondiales, l’euro environ 24%, la Grande-Bretagne et le Japon environ 7%, le yuan environ 2%. Les pays occidentaux pèsent pour 93% dans les réserves de change qui existent au niveau de toutes les banques centrales du monde. Les pays du reste du monde pour 5%. Pour les réserves de change dans le monde en yuans, il faut signaler que cette monnaie est dirigée par la Banque de Chine, et donc, par ses faibles fluctuations, est très stable. Le yuan compte par conséquent un «droit de seigneuriage très faible», à la fois par sa faible taille sur les réserves de change mondiales et par sa faible «flexibilité ancrée» sur le dollar. Une question cependant, la Chine procède à des achats massifs d’or. Qu’en sera-t-il demain de ces achats massifs d’or par la Chine et de l’internationalisation en cours de sa monnaie ? Qu’augurent-ils ? 1. LA CHINE N’A PAS CESSE D’ACHETER DE L’OR, DEPUIS 2009, AU PRIX FORT La Chine n’a pas cessé de procéder à des achats massifs d’or depuis la crise de 2008 ? Selon le World Gold Council, depuis le deuxième semestre 2005, la Chine et son alliée, la Russie, par leurs achats, ont incité les autres banques centrales à augmenter la part aurifère dans leurs réserves de change au détriment de celle du dollar ou de l’euro. Ces deux pays ont, à plusieurs reprises, sensiblement renforcé leurs réserves de ce métal via leurs propres banques centrales. Les banques centrales sont devenues des acheteuses nettes depuis 2009. Elles ont augmenté leurs réserves de 446 tonnes en 2012 et déjà de 180 tonnes rien que pour le premier semestre 2013. Mais c’est la Chine qui détient la palme dans les achats massifs de l’or, au point que tous les observateurs, y compris l’ancien gouverneur de la Fed américaine, Alan Greenspan, soupçonnent la Chine de procéder discrètement à une augmentation de ses stocks aurifères. «La Chine vise-t-elle à attaquer le dollar américain par ses achats massifs d’or ?», titrent des médias occidentaux. En 2009, Pékin avait confirmé qu’elle détenait 1.054 t d’or, soit 75% de plus que 6 ans auparavant. En 2010, ses importations d’or sont passées à 209 tonnes en 2010. En 2011, la Chine a importé 431 tonnes d’or. En 2012, elle a encore importé le montant colossal de 834,5 tonnes. En 2013, elle a battu tous les records en important 1.176 tonnes d’or. En 2014, elle importa 886 tonnes d’or. Il est certain que les achats massifs d’or par la Chine ne sont pas motivés pour le seul objectif de diversifier ses réserves de change qui se montent à 4 trillions de dollars. Il y a comme une crainte sur la situation financière et monétaire dans le monde depuis la crise financière de 2008, et surtout ces milliers de milliards de dollars déversés par les Etats-Unis et l’Europe dans le cadre des politiques monétaires non conventionnelles ou «quantitative easing ou QE» pour soutenir leurs économies. D’autre part, la Chine est consciente que les Etats-Unis comme l’Europe ne peuvent détenir indéfiniment le leadership mondial sur le plan financier et monétaire, et qu’inévitablement ils vont le perdre, et le partager avec les puissances économiques montantes. Et si cette situation prévaudra dans un avenir plus ou moins proche, cela signifiera «la fin des politiques monétaires non conventionnelles. La fin des injections monétaires massives ex nihilo, la fin de l’augmentation de la dette publique américaine et européenne et le recours à l’imposition pour le financement des déficits publics. Les règles financières et monétaires internationales changeraient complètement». Aussi peut-on dire que la Chine ne fait qu’anticiper ce rendez-vous de l’histoire en achetant massivement l’or. Des analystes occidentaux avisés ne répèteront jamais assez que le métal jaune est «l’antimatière» de la planche à billets (QE). Et comme nous le rappelle la question de Gillian Tett, directrice de la rédaction américaine du Financial Time, posée à l’ancien gouverneur de la banque centrale américaine, Alan Greenspan, sur l’or, lors de son interview le 29 octobre 2014, dans le «Council on Foreign Relations», un des think tanks les plus écoutés d’Amérique. (1) Gillian Tett: J’imagine qu’en ce moment, c’est parce qu’il y a beaucoup d’interrogations sur la valeur des devises fiduciaires «qui perdent de leur crédibilité…» Greenspan: Bien, c’est là que je voulais en venir. «A chaque fois qu’il y a de grosses incertitudes, la moitié de ce qui détermine le prix de l’or se met à bouger». Et ce qu’on peut remarquer dans ces achats massifs d’or par la Chine, ils se sont effectués à des prix forts. Le 30 novembre 2009, l’once d’or est passée par un haut de 1.175,75 US dollars. En 31 décembre 2010, le prix de l’once d’or a encore augmenté pour atteindre 1.405,5 US dollars. Le 31 août 2011, le prix de l’once a atteint un pic historique de 1.813,5 US dollars. Le 28 septembre 2012, le prix a légèrement baissé mais toujours très haut, à 1.776 US dollars. Idem, le 31 janvier 2013, à 1.664,75 dollars. Le 28 février 2014, à 1.326,5 US dollars. (Source: voir note 2) Les achats d’or se sont effectués malgré la formidable hausse des prix de l’once par rapport au prix courant (le plus élevé) de l’année 2000. A 293,65 US dollars, le 31 octobre 2000. Des augmentations de prix de 400,39% en 2009 par rapport à 2000. A 478,63% en 2010, 617,57% en 2011, 604,8% en 2012, 629,39% en 2013 et 451,72% en 2014. 2. UNE HAUSSE DES «RESERVES D’OR DE LA CHINE», SELON LE WORLD GOLD COUNCIL, POUR «UN CAS DE COUP DUR» La Chine est le premier producteur d’or mondial. Elle a produit 428 tonnes en 2013. La 7e fois consécutive que la Chine était numéro un mondial en terme de production. La consommation a également progressé rapidement. Le volume des ventes de bijoux en or a été de 400 milliards de yuans en 2013 (60,84 milliards de dollars). Ses gisements d’or se montent à 8.196 tonnes, la Chine est classée au 2e rang mondial. Pourquoi alors malgré «ce quadruplement, quintuplement des prix de l’or… depuis la crise financière de 2008», la Chine pourtant «premier producteur mondial» est aussi le «premier importateur d’or mondial» ? Que cachent ces achats massifs ? Les experts internationaux à travers mass-médias européens et américains, y voient, depuis la crise financière, les achats massifs d’or par la Chine comme une volonté de Pékin d’asseoir le yuan en monnaie internationale avec «pour visée de disputer le leadership du dollar et de l’euro dans le commerce mondial». Et si ce processus au fond n’est que naturel, et doit se faire parce que tout simplement, il est en rapport avec la taille de la puissance économique de l’économie chinoise «qui ne cesse de grandir et s’étendre sur le monde». Les Etats-Unis et l’Europe pensent-ils détenir «perpétuellement» la suprématie de leurs monnaies sur le monde ? Et si la Chine cherche, elle, à supplanter le dollar américain par son yuan ? Ces achats d’or de la Chine peuvent s’inscrire dans cette perspective. La Chine détient plus de 4 trillons de dollars, la Russie environ un demi-trillion de dollars avant la crise du rouble en 2014 – après la crise, les réserves de change russe sont passées à environ 380 milliards de dollars. Et la Chine commerce avec le monde entier. L’internationalisation de son yuan, qui a commencé dans ses transactions commerciales, lui permettra à la fois une maîtrise de sa monnaie, une implantation progressive du yuan en monnaie de réserve dans les banques centrales de l’ensemble des pays du monde, une libération progressive de sa monnaie des monnaies occidentales et surtout une «remise en question» de l’ordre des grandes monnaies de réserve de change du monde (dollar, euro, livre sterling et yen). Ce qui n’est au fond qu’un «processus naturel» auquel ne peuvent s’opposer les grandes puissances occidentales. Comme cela fut d’ailleurs pour sa montée en puissance, depuis la doctrine de Deng Xiaoping, le grand architecte de l’ouverture et la construction moderne de la Chine. Evidemment, lorsque cette échéance surviendra, des conséquences extrêmement graves se manifesteront sur le plan économique que sur le plan financier et monétaire tant pour l’Occident que pour les pays du reste du monde. En réalité de grave, c’est peut-être trop s’alarmer. Probablement ce ne sera qu’un meilleur réajustement de l’ordre de puissance économique à la réalité des évolutions économiques dans le monde. La question essentielle: «Comment l’Occident acceptera-t-il ce paradigme naissant» ? L’or jouera certainement un rôle central dans ce paradigme. Et la répartition des réserves d’or dans le monde est éclairante à plus d’un titre. Les Etats-Unis disent contrôler environ 8.000 tonnes d’or alors que les pays européens, pris dans leur ensemble, en possèdent près de 10.000 tonnes. Officiellement, la Chine se contenterait d’à peine 1.000 tonnes – 1.054 tonnes, selon le World Gold Council –, en un mot, pas de quoi s’asseoir à la table des grands. Et si la réalité de ses réserves est tout autre que celle déclarée ? Combien d’économistes n’hésitent pas à déclarer que la Chine n’est pas transparente dans les indicateurs macroéconomiques qu’elle transmet aux institutions internationales. Barry Eichengreen, un économiste américain, dans son article «Le yuan en chute libre» (3), écrit: «La Chine est un Etat si opaque qu’il est difficile de déterminer depuis l’extérieur laquelle de ces deux interprétations est correcte. Les mouvements futurs du renminbi nous en diront davantage». Dans une autre analyse, «Certains observateurs estiment toutefois que l’Empire du Milieu a massivement acheté, lors de la baisse récente, par des voies détournées et que l’on pourrait bientôt apprendre que la Chine contrôle désormais 5.000 tonnes d’or environ. Si tel était le cas, les règles du jeu auraient changé et les privilèges monétaires occidentaux, vieux de plusieurs générations, seraient mis à mal. On verrait alors que le roi est nu, comprenez que nos économies survivent grâce à de l’argent gratuit» (4). Et cet auteur n’a pas si bien dit. Les économies occidentales survivent réellement grâce aux QE, de l’argent gratuit. Mais que faire ? L’Occident n’a pas le choix que d’appuyer sur la pédale de la «planche à billets». CRISE OBLIGE. En revenant à la donne aurifère et son corollaire les questions géoéconomiques, géofinancières et géomonétaires, force est de dire qu’une autre crise couve et n’augure rien de bon. Et le métal jaune n’a pas aussi bien mérité son nom qu’aujourd’hui, celui de «l’antimatière» de la planche à billets (QE). Le monde ne prend pas conscience de cette nouvelle donne. Evidemment, celle-ci baigne encore dans l’opacité des politiques monétaires tant occidentales que chinoise. Ce qui nous fait dire que l’or, loin d’être «démodé», il est plus que jamais d’actualité. Il demeure le «baromètre» qui permet de juger la crédibilité à la fois des institutions financières et monétaires et des organisations politiques des Etats. Quant à la Chine, quand bien même nous ne pouvons pas lire les pensées de ses dirigeants, et qu’il y ait une opacité dans leur politique sur l’or, elle reste tout compte fait légitime. Les Chinois ne vont pas crier sur les toits leur stratégie. Comme d’ailleurs les banquiers centraux occidentaux américains et européens ne crient pas leur stratégie, comme ils l’ont fait en conciliabule avec leur allié, l’Arabie saoudite, sur le prix du pétrole. Ont-ils apporté, mis à part le pétrole de schiste, des arguments tangibles sur cette baisse rapide du pétrole ? Quant à la Chine, on comprend son souci. Mieux vaut l’or que le dollar, et elle s’y prépare. Pour les Américains et Européens, mieux vaut le dollar, l’euro et l’or. Ce qui signifie qu’en dernière analyse, et c’est une hypothèse présentée par le World Gold Council – il est loin d’être exclu que le gouvernement chinois puisse considérer que l’importante épargne des Chinois (autorisés à détenir de l’or depuis 2004), en grande partie placée en or, ajoutée aux réserves d’or de la Banque de Chine, constituent «une réserve en cas de coup dur». A suivre * Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective. Notes: 1. Source : Cfr – https://www.goldbroker.fr/actualites/alan-greenspan-recommande-investir-or-proteger-crise-645 2. Ces chiffres peuvent être consultés dans le site : http://www.gold.org/. [Downlad the gold price in a range of currencies since december 1978] 3. «Le yuan en chute libre», par Barry Echeingreen, paru le 12 mars 2014. www.project-syndicate.org 4. «L’or mondial: un formidable enjeu», par François Gilliéron, le 29 juillet 2013. www.letemps.ch |
|