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Amis, ennemis,
partenaires, adversaires : la relation entre journalistes et responsables
politiques peut paraître, parfois, ambiguë : «off the record», micros fermés,
certaines déclarations sont faites en toute intimité. Mais que se passe-t-il,
lorsque la confiance est brisée ?
En Algérie, depuis la création des chaines de télévisions privées, les journalistes s'entichent des personnalités politiques, qu'ils s'empressent ensuite de descendre en flammes, à croire que c'est consubstantiel au métier. Sans doute, gagneraient-ils à modérer leur emballement, à supposer que cela soit possible, après ce qui s'est passé ces dernières semaines, où une chaine de télévision privée a décidé de passer, presque en boucle, un propos tenu, en aparté, par Abdelmalek Sellal, à un sénateur du FLN, originaire d'une wilaya de l'Est du pays ; il en a résulté une polémique autour de ce qui a été considéré comme une «offense» aux habitants de toute une région. Il faut reconnaitre que l'exploitation qui en a été faite, n'est pas dénuée d'arrière pensée politique et à l'évidence, c'était du pain béni pour certains candidats en lice. De toute manière, que se passe-t-il quand un journaliste et, a fortiori, la chaine de télévision qui l'emploie, décident de ne pas respecter le «off» ? Mais tout d'abord, qu'est-ce que «le off» ? Pendant un déjeuner, un déplacement en voiture, en train, en avion, une personnalité politique distille analyses et confidences à quelques journalistes politiques, ou amis l'accompagnant. Ce n'est pas à proprement parler une interview ; la règle veut que le journaliste utilise ces informations pour mieux comprendre, mieux raconter la situation politique, mais sans citer, nommément, l'auteur de ces propos. Cette même règle exige du journaliste qu'il doit respecter la personnalité qui fait la déclaration et qu'elle refuse qu'elle sorte, l'idée étant de permettre audit journaliste de saisir le contexte dans lequel la déclaration a été émise. La personnalité peut, aussi, accepter, mais à condition que l'on conserve le secret sur son identité, un secret qui vaut à l'égard du public, mais qui peut s'imposer de manière plus absolue. Sur le principe, la pratique paraît, parfaitement, fondée : à quoi bon mettre dans l'embarras celui qui a fait la déclaration ? Mais, certains journalistes pris dans le tourbillon de la quête du scoop ne mesurent pas l'effet de déflagration qui s'attache à la diffusion d'un propos ou à la publication d'une information émis en «off». Un journaliste est un «gentlemen-cambrioleur» a expliqué Nicholas Domenach, un célèbre chroniqueur Français ; «il est dans sa nature et même dans sa mission de voler une part d'information, mais il doit le faire avec élégance» Il a dit aussi : «dans un journalisme idéal, on pourrait imaginer que les journalistes, à travers un «gentlemen-agreement», soient les maîtres de la relation avec les politiques, qu'ils définissent, eux-mêmes, les règles du jeu, sans arrogance ni allégeance ; mais le métier est sans doute trop humain, pour que l'idéal y trouve sa place» En Algérie, le foisonnement des journaux fait que la concurrence dans le secteur est féroce. C'est la course à qui sortira le scoop ou la nouvelle frappée du fameux sceau racoleur «aadjel» ; les fuites ou «off brisés» font souvent l'effet d'un séisme médiatique et mettent en péril les hommes politiques ; certains journalistes ne prennent aucune précaution, ni celle consistant à vérifier la teneur encore moins celle confortant la source de leurs informations. Nous avons déjà évoqué le code du «gentlemen-agreement», il faut dire qu'il doit reposer sur une règle bâtie sur la confiance mutuelle,-homme politique-journaliste- ; or la difficulté de la pratique est évidente. En faisant face à une concurrence accrue, entre les médias, comment un journaliste détenant une information brûlante, exclusive, un scoop, pourrait-il respecter cet accord, basé sur le bien-fondé de la morale ? EXCLUSIF ET EXCLUSIVITE Quant au contenu des informations rapportées sous le couvert du confidentiel et bien qu'elles ne soient pas, toujours, utiles ou passionnantes, le public en raffole et se délecte des «radars» et autres «périscopes» qui les hébergent ; les petites phrases, les blagues, croqueuses et ravageuses donnent l'impression au lecteur de découvrir, enfin, «ce qui se passe derrière les coulisses». Exclusivité, actualité, concurrence, voilà trois bonnes raisons aux médias, pour dévoiler un «off» qui fait la différence, accroche le chaland et fait vendre. Oui mais inutile de préciser la palette infinie de manipulations possibles du «off», officieux, donc non officiel, tel que celui attribué à Abdelmalek Sellal, dont le propos se voulait, tout simplement, taquin à l'adresse d'un sénateur, de surcroit ami et loin donc de «l'insulte», dans laquelle on voulait l'enrober, par calcul politicien. Cela a été exploité, délibérément, par ses adversaires politiques, qui ont pris une partie de la presse pour une annexe de l'opposition ; cette presse, privée notamment, a trouvé matière à faire trainer la polémique, parce qu'elle fait vendre et il faut l'admettre, également, elle donne «du grain à moudre» aux adversaires du quatrième mandat, car c'est la cible principale en fait. Mais ce qui pose problème dans l'absolu, ce sont les propos d'Abdelmalek Sellal, qui ont été sortis de leur contexte, pour être instrumentalisés. Il est allé jusqu'à s'en excuser, sans se faire prier, lui qui n'a de cesse de dire «qu'il aime les gens, sans distinction». POURQUOI N'A-T-ON PAS VOULU LUI EN DONNER ACTE ET CLORE LE DEBAT ? Pourquoi ne tourne-t-on pas cette page, infiniment moins grave que celle relative au dérapage du président Français, François Hollande «sur la sécurité en Algérie», dont les regrets ont satisfaits Alger qui a vite tiré un trait sur cet incident ? La réponse est éminemment politique et cela fait partie de cette campagne présidentielle, dont les candidats ont, pourtant, promis de se respecter mutuellement. Depuis quelques jours donc, l'image d'Abdelmalek Sellal est mise à rude épreuve par ses adversaires politiques, mais aussi par des journaux hostiles au quatrième mandat ; normal que ce dernier «essuie les plâtres», d'autant plus qu'il ne s'attend pas à ce qu'on lui réserve un traitement de faveur, lui qui, pendant cette campagne électorale, aura à répondre à ses détracteurs en arborant, tout d'abord, la casquette de Premier Ministre pour expliquer son action à la tête du gouvernement et enfiler, ensuite, l'autre casquette, celle de leader de l'équipe de campagne du président candidat ; et là il aura, non seulement, la charge de défendre les couleurs de ce dernier, mais aussi son bilan de trois mandats successifs ; il aura surtout à justifier les motivations ayant poussé Abdelaziz Bouteflika à postuler pour un quatrième mandat. Tout ceci pour dire qu'il n'aura pas le temps de souffler, ni de ménager sa monture car la charge a été sonnée, notamment, par ce journaliste qui vient de commettre à son encontre, un brûlot (*). Il en a tout à fait le droit, Sellal étant un personnage public et en tant qu'individu, il l'a comme on dit, «rhabillé pour l'hiver» ; il l'accuse, également, «d'avoir, sensiblement, accélérer la marche du pays vers l'inconnu», en tant que Premier Ministre. De tous les premiers ministres passés, Abdelmalek Sellal, il faut le reconnaitre, a été celui qui a réussi la performance de voyager dans les 48 wilayas du pays : campagne électorale avant l'heure, ont dit certains ; peut-être bien, même si beaucoup d'autres ont estimé que son périple, avec quelques membres du gouvernement a permis de remettre à niveau pas mal de projets en souffrance et, d'en inscrire d'autres, dans un souci de rattrapage et d'équilibre régional. Assurément, l'ex-premier ministre, n'a laissé personne indifférent ; il a été, abondamment, «croqué» par tous les caricaturistes du pays ! Les facebookers se sont emparés de son image, ce qui a peut-être contribuer à le rendre accessible, peut-être aussi sympathique, mais certainement très populaire dans l'Algérie d'en bas, dont il a su déchiffrer les codes linguistiques et régler, peu ou prou, les problèmes. Rappelez-vous de sa visite dans la wilaya d'Ain-Temouchent, où il s'est permis le luxe de régler, in situ, le cas de ces souscripteurs très en colère qui ont été arnaqués par un promoteur indélicat ; il a solutionné leur problème, en deux temps trois mouvements, en instruisant, en leur présence, Abdelmadjid Tebboune et Nouria Zerhouni, wali de la wilaya et, en guise d'accord, il leur a demandé, eux qui étaient ravis de la tournure positive prise par leur affaire, un simple «check» (lui serrer la main, façon jeunes). C'EST ÇA, AUSSI, LE STYLE SELLAL ! Il tranche, assurément, avec tous ces politicards, langue de bois, et «rétro-pédaleurs» ; tous ces déclinologues qui n'ont de cesse de noircir le tableau-Algérie. Ces donneurs de leçons, ces parangons de morale, de vertu et de nationalisme se plaisent pourtant à vivre dans ce pays et profitent qui, d'une retraite dorée ou tel autre, d'une rente assurée. Ils viennent maintenant qu'ils sont, soit disant dans l'opposition après avoir été aux affaires, déclarer à leur adversaire politique, «vous n'avez pas le monopole du patriotisme !» Faut-il rappeler que cette réplique est en fait empruntée à Valéry Giscard d'Estaing qui a sorti, entre les deux tours de la présidentielle française, son fameux «vous n'avez pas le monopole du cœur», quand il a fait face à François Mitterrand, le 10 mai 1974. Cela n'a pas gêné aux entournures nos parangons qui se sont, sans coup férir, attribués la paternité de ce «copier-coller», qui en définitive, respire l'hypocrisie et fait pschitt, comme dirait l'autre ! Tout comme ce «Moi, président?» d'un hebdomadaire panafricain, édité en France, qui met à la grande «une» la photo du candidat Ali Benflis, qui rappelle, étrangement, la formule de François Hollande en campagne électorale. Si vraiment cette formule a été reprise par le candidat ou à son compte, elle serait d'une indigence et d'une maladresse inouïe. Certes, nous sommes en campagne électorale, tous les coups sont permis, mais il y a quand même des lignes rouges à ne pas franchir : il ne faut pas jouer avec l'unité nationale et la stabilité du pays ; comme on dit, il ne faut pas souffler sur les braises et s'indigner ensuite des étincelles ! Après Batna, d'autres pyromanes tentent d'allumer le feu en Kabylie, à croire cet article publié par un quotidien francophone ce samedi 22 mars 2014 : «Ouyahia veut-il provoquer la Kabylie ?», l'auteur reprochant à ce dernier «d'avoir attribué la constitutionnalisation du Tamazight à Bouteflika et non à Massinissa». Après les journalistes, posons cette question aux candidats : le temps n'est-il pas venu de nous parler de bilans et de programmes ? Les algériens veulent savoir, ils veulent désormais qu'on parle à leur intelligence ! Alors, pour ceux qui viennent de rendre publiques leurs promesses électorales, qu'ils disent comment ils vont faire pour ramener le taux de croissance de 7% à un taux de deux chiffres ? Comment ils comptent financer leur «Revenu Minimum National» qu'ils destinent aux sans emplois ? Qu'ils disent aussi comment ils vont faire pour faire passer nos exportations hors hydrocarbures de 1 à 5 milliards de dollars ? Que ceux d'en face, parlent, également, de leurs 15 ans de gouvernance, de leur bilan, de ce qui n'a pas marché et comment ils comptent y remédier, si d'aventure leur bail est prolongé ? En définitive, on peut dire qu'à l'inverse des élections passées, celles du 17 avril 2014, se joueront, en grande partie sur les plateaux des chaines de télévisions satellitaires et les réseaux sociaux ne seront pas en reste. Et gare à ceux ou celles qui se gausseraient, encore, du brave type de Mascara, ou ceux, plus téméraires, qui riraient des turpitudes de Kaci Tizi-Ouzou ou l'inspecteur Tahar ; ils risqueraient de mettre en émoi la moitié du pays et d'aucuns, n'hésiteront pas à les qualifier de provocateurs. En définitive, de ce qu'on a qualifié «d'impair» du Premier Ministre et du tohu-bohu qui en a découlé, on peut tirer au moins les conclusions suivantes : 1. en politique telle que pratiquée dans nos contrées d'ici-bas, on ne s'embarrasse pas de scrupules pour marquer des points à son adversaire, et la fin semble justifier les moyens. 2. le «gentlemen-agreement», presse et personnel politique, tel que souhaité, n'est pas pour demain, dès lors où il est difficile en cette période de campagne électorale, de distinguer le journaliste-militant, du militant-journaliste. 3. on peut, peut-être, rire de tout en Algérie mais cela dépend avec qui et Abdelmalek Sellal, en homme avisé, saura en tirer les conséquences. Renvoi : (*) Voir l'article d'Abed Charef intitulé «Quand l'Algérie rit jaune» in «Le Quotidien d'Oran» du jeudi 20 mars 2014. |
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