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Dans cet essai de
réflexion sur l'urbanisme et l'architecture en Algérie, à travers le cas
d'Oran, nous voulons rendre compte de l'ampleur de ce constat mitigé, et devenu
général au point de s'imposer par lui-même concernant l'état de chantier de nos
villes.
Généralités sur l'urbanisme algérien Les villes algériennes connaissent un certain nombre de difficultés qui l'empêchent d'atteindre le niveau des villes du monde développé d'en face, et nombreux sont ceux qui, sous l'effet de l'évidence, associent ces difficultés à la qualité de la gestion politico administrative, aux incompétences des architectes et des ingénieurs et au désengagement du citoyen. Les choix entrepris par les acteurs de la construction et de l'aménagement sont tout le temps remis en cause. Ils génèrent dans les officines opaques de décisions politico administratives, des tiraillements liés essentiellement aux intérêts partagés des secteurs publics et privés. Cette situation faite de démission d'une partie des acteurs publics et privés, de tensions et de conflits d'intérêts ?parallèles1? explique en partie le manque de qualité dans le domaine de la production de l'espace urbain ; elle aggrave, selon les architectes et les urbanistes engagés, l'état «détérioré»2 de nos villes. Mais surtout elle retarde l'émergence d'une réelle volonté de faire laquelle, est censée s'imposer par sa régularité en termes d'autorité publique et la qualité de sa démarche. L'inflation des lois L'espace urbanisé est victime d'une anarchie dont les choix d'Etat ne sont pas les seuls responsables. En même temps, devant l'ampleur de cette anarchie que le particulier, notamment dans la périphérie ne cesse d'aggraver, la loi en prolifération ne semble pas être l'ultime remède. L'inflation des lois, par rapport à une réalité que les comportements des acteurs publics et privés n'aident pas à leur application, atteste de l'incapacité de l'Etat à s'imposer par la rigueur. Cette forme d'impuissance démontre que l'urbanisme est loin d'être une simple question de corpus juridique3 . Aussi, il ne s'agit pas seulement de décréter une loi, mais d'assurer son application de façon régulière, et de lui éviter par-là, les récidives de l'occasionalité4. Le constat d'échec de l'urbanisme algérien est d'autant plus inquiétant quand il provient des officines officielles et qu'il ne présage pas pour autant d'un changement particulier dans les attitudes et les choix du système algérien. En effet, une circulaire ministérielle stipule que: «Le cadre bâti ou édifié cette dernière décennie a permis de satisfaire aux besoins quantitatifs mais a créé un environnement urbain de qualité médiocre et d'une grande pauvreté. Il en résulte un déracinement des bâtiments, isolés de l'espace urbain par une situation périphérique et/ou une clôture. Les références à l'ordre urbain et à l'architecture sont ignorées ainsi que les règles de composition urbaine qui visent à permettre la croissance de la ville sans éclatement. L'absence d'ordre perceptible, de bâtiments remarquables et la réception de constructions semblables, formées d'éléments identiques rendent difficile l'orientation et l'identification des habitants à leur milieu.»5. La méconnaissance des outils et des principes d'urbanisme Toutefois, nous ne nous en cachons pas de dire que nous n'adhérons pas dans le fond totalement à ce constat officiel. La quantité, par exemple, ne justifie aucunement l'absence de la qualité, et ne doit pas être sujette d'une perception péjorative. Il est trop facile de s'allier aux idées reçues que de les interroger, particulièrement lorsqu'elles paraissent évidentes6 . La médiocrité n'est pas dans la forme globale du projet, encore moins dans son caractère chiffré, mais dans l'ignorance et/ou l'interprétation et les applications des principes de l'urbanisme et de l'architecture, comme ceux de la charte d'Athènes. Concernant l'Algérie, SIMOUNET (Roland) affirmait en ce sens qu' « il y a eu, autant de la part des architectes désarmés que de l'administration, en peine et - en panne- de textes structurés, une interprétation superficielle de la charte où seul quelques points furent retenus par facilité.»7. Même en France, CHOAY (Françoise) a relevé dans ses observations de la pratique professionnelle de l'urbain la méconnaissance des architectes et des responsables de la charte. « On peut imputer effectivement à ce document une part importante de responsabilité, notamment dans la conception des grands ensembles et du logement social, surtout en France, par le canal de disciples précis (dont il ne s'agit pas de dresser ici la liste) et plus encore de certains hommes politiques et de grands commis de l'Etat impliqués dans la Reconstruction puis dans l'urbanisme, dont Raoul Dautry et surtout Claudius-Petit sont les figures emblématiques. Ce qui m'a constamment frappé à l'époque où, dans le cadre de mes chroniques de France-Observateur (l'hebdomadaire de Gilles Martinet et d'Hector de Galard) et de l'?il, je me trouvais engagée sur ?le terrain?, c'est le petit nombre d'architectes (et encore plus petit nombre d'urbanistes) qui avaient effectivement lu la charte. Tous la citaient comme référence et caution de leurs actions ou exactions, mais bien peu avaient eu l'occasion ne serait-ce que de la parcourir. Le contenu en était transmis par voie orale, au gré d'élaborations personnelles, à la manière des mythes.»8. C'est pour dire ô combien la méconnaissance des outils d'urbanisme théoriques d'abord, et juridiques et pratiques ensuite, peut influer de façon très négative sur la production de la ville. Peut-être, afin de mieux signifier l'importance de la connaissance de la discipline, WIEZOREK (Daniel) met l'accent, dans son étude de L'art de bâtir les villes de SITTE (Camillo) sur « La formation et l'emplacement institutionnel de ses agents, la nature de leurs tâches, leurs procédures d'intervention. »9. CHOAY (Françoise), dans un texte que nous avons lu quelque part, formule quasiment le même constat, et insiste sur l'importance de former les responsables chargés de la gestion de l'espace urbain dans les domaines de l'urbanisme et de l'architecture. Politique nationale comme priorité et urgence La plupart des critiques imputent la gestion objectée de l'espace urbain dans nos villes à une certaine politique nationale qui a œuvré, depuis l'indépendance, dans le sens de la priorité, de l'urgence, particulièrement dans le secteur de l'habitat, et qui a banni par sa pratique excessive de l'interventionnisme politico administratif, pratique qui se poursuit à ce jour, le temps de la réflexion, la nécessité de la philosophie, au point de l'avoir dénigré complètement dans le regard des premiers concernés de la construction : les diplômés d'architecture10. En effet, comme pour FOURA (Mohamed), depuis « Les années 1970, la construction de logements pour le plus grand nombre, selon nos décideurs était dominée par les exigences d'urgence, de célérité et de rendement. L'urgence, là comme ailleurs est une commode invention des décideurs pour légitimer l'à peu près, le vite fait, le « on verra plus tard », la non - concertation (« on n'a pas le temps). C'est au nom de l'urgence qu'on a édifié les grands ensembles, ce coup de poignard dans le dos des villes, cette bonne conscience de l'urbanisme moderniste alliée à la promotion immobilière libérale? »11.»12 . Un cadre de l'administration, outré par la façon de faire de nos administrateurs, a tenté de nous expliquer par la caricature comment un technicien de l'administration élabore dans la hâte un cahier de charge. « Nos cahiers de charge sont principalement des textes juridiques et des recommandations que l'on reprend pour tous les projets de la même manière, quelles que soient leurs affectations. Ils sont les mêmes pour tous les projets. Mais sur le projet en question, sur son origine, son originalité, sa particularité de projet, comment a-t-on décidé du choix, qui a décidé, sur la manière de le percevoir, dans quelle stratégie envisage-t-on son élaboration, sur les soucis esthétiques liés à son élaboration architecturale et urbaine, généralement rien n'est indiqué. Le ministère de tutelle exige des autorités locales des projets à réaliser, le haut responsable local (le wali) exige de ses chefs de services des propositions, les chefs de services transmettent les adjonctions aux techniciens qui ne se cassent pas la tête ; au hasard ils notent des projets comme le réaménagement d'une place, au pif ils indiquent l'enveloppe nécessaire à sa réalisation. Toutes les propositions sont faites de cette manière et transmises au ministère. Ce dernier approuve ou désapprouve grâce à des commissions formées je ne sais comment. Tout est fait dans l'imbroglio total. Personne ne sait rien du choix du projet établi, comment et dans quelles conditions il a été retenu. Enfin les budgets sont alloués et ce n'est que bien des années plus tard, que l'on se rend compte que le budget a été exagérément renfloué, ou qu'il a simplement disparu dans la nature.»13. Focalisation sur la géométrie de la forme urbaine et l'alignement du bâti Maintenant, tenter de faire croire qu'une bonne architecture ou ce qui est plus juste, une architecture avec un grand A14 , et un urbanisme réussi tiennent à l'application de principes qui seraient une forme de garantie pour l'ordre urbain, est selon nous une illusion, voire une erreur fatale. Franchement, la circulaire ministérielle citée ci-dessus « semble avoir des ambitions académiciennes, par rapport à des critères de faisabilité que ses propres rédacteurs seraient incapables peut-être de désigner clairement»15. Car qu'est-ce qu'un ordre urbain si ce n'est dans la tête d'un technocrate qu'une simple affaire de ligne droite qu'il faut imposer pour faire l'alignement urbain, et quelle est la portée de la règle dans l'esprit de ceux qui sont appelées à l'appliquer pour aboutir à ce fameux ordre ? Il peut s'agir simplement de la volonté de faire appliquer un urbanisme technocratique qui tue par sa rigidité le plaisir de vivre dans la ville. Aussi, pour revenir à la circulaire en question, nous partons de l'idée que la forme de l'objet et sa répétition ne sont pas condamnables en soi. Dans l'haussmannisation nous retrouvons ce type d'esprit. Des constructions et des ornementations qui se répètent. PINSON (Daniel) fait le rapprochement entre les ensembles haussmanniens et les grands ensembles et les qualifient d'assommants16. Mais cela n'est qu'un avis parmi tant d'autres. Au-delà de ces questions qui peuvent être à la base d'un véritable travail sur l'espace, nous nous interrogeons sur notre focalisation sur la forme urbaine selon ses deux orientations devenues courantes: alignement et/ou rupture jusqu'à ce qu'elles deviennent fortement déterminantes pour la qualité de nos environnements urbains. Dans les travaux de notre département d'architecture d'Oran, nous percevons les prémices de ce type de considérations au tout début du mémoire de magister de Mme YAMANI (Malika). Notre collègue note que: «L'urbanisation récente semble échapper à la logique de la ville cohérente même si, actuellement, elle est orientée suivant des instruments d'urbanisme. Oran, dans son extension, a perdu les notions fondamentales qui font la cohérence de la forme urbaine d'une ville, à savoir la rue, la place, la continuité, les repères, les espaces publics, les espaces verts conçus et non résultants. L'espace urbain au niveau de l'extension est jugé insatisfaisant à plusieurs titres. Mais, les marques de discontinuité sur le plan spatial et de la forme urbaine qui affectent considérablement le paysage, nous préoccupent.»17. Mme YAMANI semble croire que ce qui est «cohérence» est liée aux configurations des rues, des places à travers leurs modes d'organisation les plus courants dans «l'urbanisme européen», que sont l'alignement et la forme géométrique. Cette cohérence est à distinguer absolument de la cohérence du territoire, comme celui des villes qui se ramassaient sur elles-mêmes, dans leurs forteresses durant plusieurs siècles, et qui se forçaient d'une certaine manière à contenir leurs propres mutations, souvent pour des raisons liées à leur sécurité18. Autrement dit, pour ne relever que le cas d'Oran, nous pensons que nous n'affirmons rien de nouveau en disant que la faisabilité de la ville ancienne, Sid el Houari, ne s'est pas matérialisée suivant les mêmes règles ayant guidé la création de la ville coloniale du vingtième siècle, et qu'elle ne s'accorde pas par l'analyse des besoins qu'elle exprime avec la logique des planifications urbaines actuelles qui sont loin d'avoir engendré à elles seules la forme globale des périphéries post coloniales. Dans un ton plutôt littéral, COLAROSSI (Paolo) exprime assez bien cette distinction. Il note à propos de la forme des villes d'Algérie que « L'ampleur et la rapidité de la croissance [des villes algériennes] survenue dans les quinze, vingt dernières années, se lit facilement dans la forme de la ville, à partir de la confrontation entre les parties historiques et les quartiers récents, dont l'étendue est nettement supérieure à celle des premières. Les rues, la disposition et l'implantation des nouveaux quartiers, les types d'édifices, surtout dans les quartiers d'intervention publique, apparaissent clairement comme les produits récents de la ville contemporaine. La dimension de la ville contemporaine est alors facilement lisible et comparable avec la dimension de la vieille ville, généralement petit « centre historique » colonial, désormais perdu dans la grande étendue de la ville et évidemment hors échelle par rapport au rôle, qu'il garde souvent, de centre urbain.». Vers la fin de l'urbanisme ou pour un urbanisme de hauts responsables Il est sûr que seule une lecture horizontale de l'histoire urbaine de nos villes nous conduit à constater que les outils juridiques en usage à l'heure actuelle pour leur production, ont peut-être atteint leurs limites. Devant l'ampleur de l'urbanisation galopante, les autorités ne respectant pas toujours les planifications établies, ont peut-être bien fait d'accompagner cette urbanisation par la projection d'équipements publics à différents lieux de l'extension Est d'Oran en recourant à de nouvelles techniques de construction, et en vue d'imposer une touche de qualité encore recherchée. Ainsi donc, même si nous émettons un avis d'urbaniste défavorable vis-à-vis du futur palais des congrès, nous reconnaissons, cependant, qu'un projet comme celui-ci peut contribuer à l'amélioration de l'architecture dans notre ville. Nous n'oublions pas que c'est l'urbanisme autoritaire qui a permis aux grandes villes d'être ce qu'elles sont, comme l'haussmannisation de Paris, pour ne pas dire sa « napolisation », aussi nous parlons bien de projets de MITTERRAND qui ont longtemps guidé la politique urbaine de la capitale française, sans oublier aussi que dans l'histoire de notre ville il eut un général Lamoricière secondé par l'ingénieur AUCOUR qui a été exemplaire dans le domaine de l'urbanisme. Pourquoi donc ne parlerions nous pas de projets de BOUTEFLIKA d'Alger ou de projets de l'actuel wali d'Oran ? Notes 1- Par cette expression nous entendons les intérêts liés à la corruption qui gangrène les institutions d'Etat. 2- Nous reconnaissons que ce mot est fort devant les efforts importants que nos autorités nationales et locales fournissent pour moderniser nos villes, nous pensons plus particulièrement au tramway d'Oran et la rénovation entreprise depuis peu des différents réseaux de la ville. 3- Nous faisons particulièrement allusion à la loi n°8/15 portant sur la conformité des constructions qui veut donner l'illusion à nos décideurs et nos urbanistes (-architectes) que l'on peut améliorer le paysage urbain en achevant la construction de ce qui est déjà une bêtise avérée. 4- Nous pensons particulièrement au cas de l'Algérie et les comportements de ses dirigeants. Nos villes ne sont nettoyées de fond en comble qu'au passage des Présidents de la République, les invités étrangers et les responsables nationaux et locaux. Les opérations de lifting concernent seulement les artères que ces responsables parcourent. 5- Circulaire d'orientation du ministère de l'urbanisme et de la construction n° 04/BCC/87, cité in le mémoire de magister de TAHRAOUI (Djillali), Relation entre la forme urbaine et l'animation urbaine, le cas d'Oran, soutenu le 1er juillet 2004, sous la direction de Mme BEKKOUCHE (Ammara), au département d'architecture d'Oran (USTOMB). 6- Nous pensons aux polémiques que nous suscitions au travers de nos articles précédents sur la question, en vue de provoquer un débat dynamique sur l'urbanisme. 7- « La leçon d'Alger », Entretien avec SIMOUNET (Roland) architecte, in La ville (revue trimestrielle), janvier 1995, n°1, p.43. 8- La charte d'Athènes et après ? (dossier), Urbanisme (revue), n° 330, mai - juin 2003, p. 49-50. 9- WIECZOREK (Daniel), Camillo Sitte et les débuts de l'urbanisme moderne, Office des Publications Universitaires (Alger), 1984, p. 09. 10- Nos diplômés d'architecture nous semblent incapables de mener une réflexion objective et encore moins philosophique dans les domaines de l'urbanisme et de l'architecture. Bien que ça aide, le professionnalisme des devis les aveuglent. 11- PAQUOT (Thierry), in Le monde diplomatique, janvier 2000. 12- FOURA (Mohamed), A propos de la qualité architecturale et urbanistique, in Le Quotidien d'Oran, dimanche 25 mai 2003, p.07. 13- Propos recueillis en juin 2009. 14- A lire Louis KAHN, Silence et lumière, Editions du Linteau, 1996. 15- Propos d'un ancien haut responsable Algérien. 16- PINSON (Daniel), Usage et architecture, L'Harmattan, 2000. 17- Mme YAMANI (Malika), De la crise de la ville fragmentée au projet urbain, Le cas de l'extension Est d'Oran, mémoire de magister soutenu au Département d'Architecture d'Oran sous la direction de Mr BRAHIMI (Kouider), juillet 2005, p.2. 18- Les villes du M'Zab dont l'urgence est en grande partie à l'origine de leurs emplacements et leurs configurations urbaines selon RAVEREAU (André), peuvent servir à illustrer cette approche. |